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Studi Africanistici Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi 3
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Studi Africanistici
Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi
3
Direttrice:
Anna Maria DI TOLLA
Comitato scientifico:
Domenico CANCIANI
Mansour GʜAkI
Ahmed HAʙOUSS
Luigi SERRA
Miloud TAïFI
Tassadit YACINE
Pubblicato con contributi del Dipartimento Asia, Africa e Mediterraneo
su fondi di ricerca di Ateneo ex 60%

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UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI NAPOLI “L’ORIENTALE”
DIPARTIMENTO ASIA, AFRICA e MEDITERRANEO
LANGUES ET LITTÉRATURE BERBÈRES:
DÉVELOPPEMENT ET STANDARDISATION
Studi Africanistici
Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi
3
a cura di
Anna Maria Di Tolla
NAPOLI 2014

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SOMMAIRE
ELDA MORLICCHIO
Avant-propos ...............................................................................................
7
ANNA MARIA DI TOLLA
Introduction ..................................................................................................
9
MOHAMED AGHALI-ZAKARA
Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel. Langue touarègue......... 15
MAHMOUD AMAOUI
Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification de la
ponctuation berbère...................................................................................... 31
FATIMA BOUKHRIS
Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral ............................... 41
ANNA MARIA DI TOLLA
La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain .. 55
MANSOUR GHAKI
La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique ......................... 71
HACHEM JARMOUNI
La littérature amazighe orale: de la performance au texte ........................... 83
KHADIJA MOUHSINE
La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui :
le roman et la nouvelle ................................................................................. 97
SAMIRA MOUKRIM
Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité dans un
processus de standardisation de l’amazigh ? ............................................... 107
KAMAL NAÏT-ZERRAD
Pour une base de données toponymiques berbère en ligne .......................... 121
VALENTINA SCHIATTARELLA
Documentation d’une langue en danger: le berbère de Siwa ...................... 127
NOURA TIGZIRI
Apport de l’informatique dans l’aménagement de la terminologie amazighe .. 137
MOHAND TILMATINE
Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh.
Le cas des exonymes .................................................................................... 145
COMPTES RENDUS............................................................................................. 167
LES AUTEURS .................................................................................................... 181

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Avant-propos
Les « Journées d’études sur la langue et la littérature berbères », dont les actes
sont publiés par Anna Maria Di Tolla, représentaient un événement important pour la
communauté scientifique internationale. Ces journées sont le fruit de la collaboration
entre les universités de la Méditerranée, cette mer qui nous unit et doit continuer à
nous unir, malgré les événements dramatiques de ces derniers temps. Dans le
contexte actuel se confirme l’engagement de l’Université « L’Orientale » à maintenir
son attention aux langues et cultures des pays de la rive sud de la Méditerranée et à
encourager par la connaissance, la culture et l’accueil.
L’une des réalités importantes de l’espace méditerranéen est incontestablement
le Berbère ; les activités du Centre d’Études Berbères sont l’épreuve de
l’engagement dans ce domaine ; la publication récente du volume, Awal n
Imazighen. Itinerari narrativi nella letteratura orale berbera del Marocco:
problematiche e prospettive, Il Torcoliere, UNIOR, Napoli, 2012, témoigne de la
vitalité des études berbères au sein de l’Université « L’Orientale » de Naples.
Les contributions sont consacrées en premier à la langue amazighe et à la
littérature berbère orale et écrite. Le grand intérêt de la linguistique générale,
concernant les relations entre oral et écrit, pose des questions très complexes,
surtout en ce qui concerne les langues et les cultures, telles que le berbère, qui ont
eu une tradition orale très importante.
L’autre thème abordé est la standardisation. Il apparait difficile quand on
s’occupe d’une langue parlée dans des pays géographiquement séparés, de comme
sauvegarder chaque variété en garantissant la continuité des traditions
linguistiques, tout en cherchant à mettre en place un processus de standardisation.
La reconnaissance du Berbère comme langue officielle en 2011 au Maroc aura
été un événement important. Une langue sortie de l’espace familiale pour devenir
une langue institutionnalisée et enseignée dans les écoles et les universités, ne peut
qu’espérer un avenir meilleur.
La langue berbère est aussi une langue de migration et il est de ce point de vue
important de le promouvoir en tant que langue et littérature de même qu’il est
important de promouvoir la connaissance historique, ethnoculturelle et socio-
économique des pays nord-africains car on ne peut pas connaître une langue en
ignorant ses composantes culturelles et humaines.

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Avant-propos
« L’Orientale » croit fermement en ces principes comme l’atteste son
engagement scientifique et didactique vieux d’un siècle pour les études berbères.
C’est en effet, en 1913, au sein de ce qui était alors l’Istituto Universitario
Orientale qu’a été institué l’enseignement de langue berbère confié au professeur
Francesco Beguinot, éminent savant dont les travaux sur les dialectes berbères
témoignent de l’importance de son apport à la communauté scientifique
internationale.
Il est intéressant de rappeler que déjà à l’époque, le professeur Beguinot
collaborait avec un assistant libyen dont la langue mère était le berbère. Il
reconnaissant, il y a un siècle, le rôle central des « lecteurs », témoins de leurs
langues et de leurs cultures, malgré les difficultés de se déplacer et d’établir des
contacts.
Pour toutes ces raisons, l’Université « L’Orientale » maintient l’enseignement
de langue et de littérature berbères, convaincue de son rôle et de sa responsabilité
de sauvegarder et de promouvoir les langues et les cultures qui font également
partie de notre culture aussi bien pour le passé que de nos jours, comme le
démontrent bien les événements récents.
Naples, le 28 Novembre 2013
Elda Morlicchio
Magnifico Rettore dell’Università degli Studi di Napoli “L’Orientale”

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Introduction
Dans ce volume publions les actes des Journées d’Études Internationales sur :
Langue et littérature berbères : développement et standardisation organisées à
l’Università degli studi di Napoli « L’Orientale » (28-29 Novembre 2013).
La communauté linguistique berbère a réalisé durant les dernières décennies un
important processus de récupération et de développement de sa langue et de sa
littérature orale et écrite. Le berbère s’est développé dans des conditions
défavorables, en-dehors de tout appui institutionnel et s’est trouvé confronté à
d’importants défis. Il s’agit, par conséquent, d’une langue et d’une littérature en
évolution, entre progrès et difficultés. Cependant, elles ont conduit certaines
expériences fondamentales qui ont fonctionné.
Si le berbère a été reconnu comme langue officielle au Maroc en 2011, c’est
parce qu’il est une langue vivante dans les familles, dans l’éducation, à l’université,
dans la littérature, dans la musique, à la télévision ou sur internet, et qu’il a
bénéficié de stratégies de développement. L’une des principales a été le travail
effectué sur la standardisation et le développement du corpus de la langue qui a
constitué un des fondements des études sur le berbère.1 Le processus de
1 Dans les dernières décennies, parmi les colloques, séminaires et ateliers sur la standardisation,
on cite ceux organisés à : Bamako (1984, 1991), Ghardaïa: (1993), Parigi (INALCO- 1996, 2000) ;
Utrecht (1998), Tizi Ouzou (2001), Bejaïa (2001), Rabat (Centre Tarik Ibn Zyad - 2001); Boumerdès
(HCA 2002), Meknès (2002), Rabat (IRCAM 2003), Barcelone (2007). Parmi les publications, voir
les recommandations et la synthèse élaborées par Salem Chaker, 1996, « Propositions pour la notation
usuelle à base latine du berbère (Atelier du 24-25 juin 1996/b, INALCO/CRB ; synthèse des travaux) »,
in Études et documents berbères, n° 14, 239-253 ; Actes du colloque international sur la
standardisation de l’écriture amazighe ; Synthèse des travaux, Barcelone, 26-28 Avril 2007,
Linguamón-Casa de les Llengües, Barcelona, 25 p.; Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA), Actes
du Colloque International sur la standardisation de l’écriture amazighe, Boumerdès du 20 au 23
septembre 2010, HCA, Alger ; Meftaha Ameur - Abdallah Boumalk, 2004, Standardisation de
l’amazighe: Actes du séminaire organisé par le centre de l'Aménagement Linguistique, Rabat, 8-9
décembre 2003, Institut de Culture Amazighe, Rabat ; Mohamed Aghali-Zakara 2011,
« Standardisation du berbère. Néologie et didactique en touareg », in Amina Mettouchi
(éd.), Parcours berbères. Mélanges offerts à Paulette Galand-Pernet et Lionel Galand pour leur 90e
anniversaire, Berber Studies, Harry Stroomer (ed.), University of Leiden/ The Netherlands, Rudiger
Köppe, Köln, Vol. 33, 535-659.

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Introduction
standardisation est un travail technique, mais standardisation et développement
d’une langue supposent un travail collectif complexe. Dans le développement de la
langue, comme dans toutes les langues d’origine, on ne peut séparer le matériau
linguistique de sa problématique sociolinguistique et socioculturelle. À l’heure
actuelle, le chemin parcouru grâce à la standardisation a été nécessaire et positif.
Les études sur les variantes dialectales ont été nécessaires et méritent d’être
connues et utilisées. La contribution de Valentina Schiattarella (Documentation
d’une langue en danger : le berbère de Siwa) s’insère dans ce contexte. L’exposé
présente un projet de documentation du siwi, variante berbère parlé dans l’oasis de
Siwa, en Égypte, en danger de déperdition.
Il est évident qu’il faut une réelle volonté de la part de la communauté linguistique
pour que le berbère récupère ses espaces, en tant que moyen de communication pour
exprimer tout ce qui est essentiel dans les sociétés actuelles. Samira Moukrim (Quel
statut pour les phénomènes liés à l’oralité dans un processus de standardisation de
l’amazigh?) a pour objectif d’étudier certains phénomènes spécifiques à la langue
parlée. La standardisation de l’amazigh a pour principe d’éliminer les variations non
fonctionnelles et aussi les phénomènes liés à la production de l’oral comme les
répétitions, hésitations, autocorrections, amorces… lesquelles sont très fréquentes dans
la parole spontanée. Or, ces phénomènes ont une réelle valeur fonctionnelle car ils sont
porteurs d’informations. Servant d’indices de la mise en place de syntagmes par le
locuteur, ils correspondent à la mise en œuvre en temps réel des structures de la langue
et pourraient donc nous renseigner sur le fonctionnement de l’amazigh. Par ailleurs,
l’intégration de l’amazigh dans les nouvelles technologies de l’information, nécessite la
prise en compte de ces phénomènes (appelés disfluences) car ils constituent une réelle
difficulté en termes d’annotation.
Dans le domaine spécifique berbère, le problème de l’orthographie, aboutissement
du passage de la langue parlée à la graphique a occupé les berbérisants pendant
longtemps. Mahmoud Amaoui (Quelques éléments de réflexion pour servir à la
codification de la ponctuation berbère) approche le degré atteint par la standardisation
de l’orthographe (basé sut l’alphabet latin) ainsi que le développement et la
multiplication des productions écrites dans le domaine berbère suffisant pour amorcer
aujourd’hui la réflexion sur la ponctuation.
Le travail de standardisation de la langue amazighe entamé il y a de cela des
décennies, s’est jusqu’à présent concentré sur la langue elle-même et plus
particulièrement sur les questions graphiques sans vraiment aborder la
standardisation de segments spécifiques du système linguistique berbère. La
contribution de Mohand Tilmatine (Onomastique et aménagement linguistique de
l’amazigh) essaye d’explorer un de ces champs encore peu investis par les travaux
de standardisation de la langue berbère : l’onomastique et plus particulièrement la
toponymie. Kamal Naït Zerrad (Pour une base de données toponymiques berbère
en ligne) dans sa contribution suggère de créer une base de données toponymiques

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Introduction
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qui devrait réunir tous les toponymes berbères. En dehors de la recherche
scientifique sur les noms de lieux, ce sera aussi une force de proposition dans le
contexte de l’évolution de l’état de la langue berbère : évaluation des toponymes
comme endonymes, suggestions pour des éléments liés (gentilé, exonymes…).
L’absence d’un organisme officiel dédié à la toponymie berbère devrait encourager
les chercheurs à faire face à cette question fondamentale.
Dans le domaine berbère, l’un des objectifs qui devrait guider l’enseignement
du berbère à grande échelle, à la lumière des évolutions récentes en Europe en au
Maghreb, c’est-à-dire certainement l’urgence et la diversité des besoins en matière
de pédagogie, mais aussi de susciter un dialogue entre littéraires et linguistes, en
considération aussi des nouveaux outils technologiques.
Mohamed Aghali-Zakara (Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel.
Langue touarègue) examine la situation complexe et spécifique de la société
touarègue à partir du premier tiers du XXe siècle, alors que s’organisa le début de la
scolarisation, c’est-à-dire l’apprentissage de l’alphabet latin pour écrire le français.
La connaissance de l’alphabet arabe, quant à lui, il remonte à plusieurs siècles dans
le milieu religieux. Depuis les années soixante-dix, on assiste à la mise en place de
l’alphabétisation des adultes dans l’écriture latine pour ceux qui utilisent déjà
l’écriture touarègue, les tifinagh.
Nora Tigziri (Apport de l’informatique dans la l'aménagement de la
terminologie amazighe) constate que la langue amazighe a vu son passage à l’écrit
et son enseignement rencontrer d’énormes problèmes dus non seulement à un
manque d’outils didactiques mais aussi à l’absence d’une terminologie adéquate.
S’il est vrai que des glossaires ont vu le jour, que des terminologies foisonnent sur
le terrain, il n’en demeure pas moins, qu’aucun des travaux de collectes, de
dépouillement, d’analyse de toutes ces données n’ait été réalisé jusqu’à ce jour afin
de disposer d’une source complète. Cette contribution présente un projet qui
consiste à la confection d’un dictionnaire ou une base de données de la langue
amazighe contenant la terminologie de spécialité (linguistique, littérature,
civilisation, informatique, medias, terminologie scolaire, etc.). Pour ce faire le
chercheur ne fait pas uniquement un travail de mise en place d’un dictionnaire avec
tous les outils théoriques et méthodologiques qui s’imposent, mais il élabore aussi
un travail d’aménagement de l’écriture et du lexique. Les matériaux utilisés
proviennent d’un dépouillement systématique de toutes les sources existantes
(glossaires, lexiques, manuels, etc.).
Quant à la littérature orale et écrite, quel est son rôle dans la standardisation de
la langue ? Les études sur l’oral et l’écrit sont un domaine privilégié de la
recherche actuelle de la linguistique et des sciences humaines et sociales en
général. Le problème de l’oral et de l’écrit nous amène à considérer le fait que les
sociétés berbères sont en voie de transformation et le clivage oral-écrit est très
important dans ce contexte. Comment saisir l’articulation entre langue et littérature,

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12
Introduction
entre l’étude de la langue et les genres de textes, et les problèmes de la
standardisation d’un texte oral ?
Fatima Boukhris (Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral) à
partir de l’examen de quelques expériences de normalisation du texte de littérature
orale, approche le problème de la standardisation du texte oral qui se pose sous
plusieurs angles, notamment celui de la normalisation de la transcription du corpus
oral disponible et de la gestion de la variation linguistique à la lumière des normes
graphiques et lexicales proposées.
Afin d’étudier convenablement la littérature amazighe orale, il convient au
préalable de consacrer une réflexion à l’oralité comme mode culturel spécifique de
communication verbale, contexte au sein duquel se produit nécessairement cette
littérature. Selon Hachem Jarmouni (La littérature orale de la performance au
texte), l’oralité est le cadre d’une énonciation consciemment proférée selon un
mode spécifique à l’occasion de situations soumises à un certain degré de
ritualisation. Elle est basée sur la notion de performance qui constitue la réalisation
concrète de l’œuvre orale. Mais cette forme, par nature évanescente, motive le
recours à la transcription ou à l’enregistrement pour la sauvegarde de l’œuvre
orale. Cet acte s’avère réducteur car le produit ainsi obtenu se trouve coupé de sa
situation et ne représente qu’un élément de l’édifice sémantique basé sur d’autres
composantes lui conférant sa dimension sociale.
La question de l’oral et de l’écrit ne peut pas être seulement envisagée dans le
cadre d’une opposition entre langue orale et langue écrite ou forme phonique et
forme graphique du message, même si cette question est importante. Le jeu
complexe de l’écrit et de l’oral vise à explorer les voies par lesquelles il est
possible de définir le « va et vient » entre ces deux modes d’expression et de
comprendre comment on peut valoriser le patrimoine oral berbère en le transcrivant
sans lui faire perdre une essence qui reste profondément liée aux valeurs sociales
de la communauté.
Le problème de la littérature orale berbère fait partie aujourd’hui d’une
perspective plus large de la recherche, ce qui constitue l’étude des changements
culturels et sociolinguistiques en Afrique du Nord. La tradition, le patrimoine et la
mémoire ne sont pas l’acquisition spontanée d’un groupe qui l’acquiert de manière
passive et sont essentielles dans le fonctionnement de l’organisation sociale
puisqu’ils sont liés à la défense et au renouvellement de l’identité socioculturelle.
Anna Maria Di Tolla (La littérature orale berbère. La narration des contes du
Sud-Est marocain), dans cette contribution essaye d’analyser le processus de
transmission qui se produit comme un argument récurrent dans les études sur la
littérature orale qui est une référence à l’identité des berbères. En partant de ce
postulat, elle cherche certains enjeux impliqués dans le processus de préservation /
innovation, en partant de quelques exemples concernant les contes berbères du
groupe berbère des Ayt Khebbach du Sud-Est marocain.

Page 13
Introduction
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Le but de ce volume est aussi de réfléchir sur les multiples aspects concernant la
langue et la littérature berbères, comprendre si les chemins parcourus ont été utiles, si
la culture berbère, sa langue et sa littérature peuvent s’être appauvries ou si elles se sont
enrichies au fil du temps et qu’il en est l’avenir ? En effet, Khadija Mouhsine (La
littérature amazighe écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle) examine un tournant
très important dans l’aire culturelle amazighe avec notamment la publication de
nouvelles et de romans. Ceci marque le passage de l’oralité à une littérature écrite qui
emprunte les normes et les conventions universelles de ces genres narratifs. À partir de
la lecture de quelques-unes de ces productions, la contribution présente les auteurs, les
différentes thématiques et les stratégies d’écriture des textes retenus.
Enfin, une réflexion intéressante a été proposée par Mansour Ghaki sur la
périodisation de l’histoire de l’Afrique du Nord (La périodisation de l’histoire du
l’Afrique du Nord antique). Les indépendances ont tout fait pour « imposer », par des
présupposées idéologiques, leur lecture de l’histoire, la périodisation doit refléter des
réalités historiques et de civilisation qui font la spécificité amazighe de l’Afrique du
Nord. Le fait que l’écriture ait été introduite à des endroits et à des moments déterminés
entraine « une régionalisation » du début de l’histoire ; si le littoral connait l’écriture dès
les XIe-VIIIe siècle av. J. C., l’intérieur devra attendre plusieurs siècles pour, soit utiliser
le libyque, soit maitriser le phénicien. Cette situation explique la persistance de la
protohistoire et ses manifestations dans certaines régions tout au long du Ier millénaire av.
J. C. et dans les régions méridionales durant une partie du Ier millénaire après J. C.
Notre objectif pour ce colloque a concerné aussi l’intensification des activités
de recherches scientifiques entre les diverses universités européennes et
maghrébines, le renforcement des relations de coopération entre les Institutions. Ce
colloque a été organisé grâce aussi à la convention signée avec l’Université
Mohamed V de Rabat. À l’occasion du colloque, L’Université « L’Orientale » a
signé une convention avec l’Université de Tizi Ouzou en Algérie.
Nous remercions l’ex Recteur de l’Université L’Orientale, la prof. Lida
Viganoni, l’actuelle Rectrice Elda Morlicchio, le Bureau des affaires intérieures et
des relations publiques pour le soutien qu’ils ont donné à la mise en œuvre de ces
« Journées d’Études » et « Il Torcoliere » pour l’impression de ce volume. Nous
remercions également les proff. Luigi Serra et Roberto Tottoli pour leur présence
au Colloque, l’équipe du Département Asie, Afrique et Méditerranée et du Centre
d’Études Berbères qui ont rendu possible l’organisation de cet événement.
Un remerciement tout spécial à Son Excellence M. Hassan Abouyoub,
ambassadeur du roi Mohammed VI du Maroc. Sa participation et son attention ont
démontré sa sensibilité aux thématiques du Colloque, en tant que chercheur et en
tant que berbère d’origine.
Naples, 13/12/2014
Anna Maria Di Tolla

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Introduction

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MOHAMED AGHALI-ZAKARA
Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel
- Langue touarègue -
Par tradition, le processus didactique était fondé sur l’audio-oral sans
support matérialisé par l’écrit, notamment dans l’acquisition de tous les
éléments fondamentaux de la société. C’est par l’emploi des messages oraux
que l’on acquiert les connaissances générales et les règles endogènes régissant
la communauté dans toute sa diversité et ses usages, la formation technique
relevant de la pratique des métiers. Cette approche pragmatique reste très
prisée.
La société touarègue n’étant pas totalement analphabète, puisqu’elle possède
son propre alphabet - ensemble de caractères appelés tifinagh - elle combine très
souvent l’oral et l’écrit. Aussi, concernant l’usage des tifinagh, on constate une
didactique binaire consistant à transcrire des énoncés oraux par des signes
graphiques que l’on écrit sur le sable afin d’en maîtriser la forme et le sens. Cette
méthode didactique repose aussi sur la mémorisation de textes courts en vers. Ces
textes mnémotechniques facilitent l’apprentissage des signes constituant l’alphabet
de cette écriture.
On verra, en diachronie, comment la pratique scripturale s’est progressivement
substituée à la tradition orale dans le processus didactique moderne.
En effet, l’écrit joue un rôle de plus en plus important au regard de la
prépondérance d’antan de l’oralité dans la société traditionnelle, y compris en
zone touarègue. Cette prédominance de l’écrit est activement renforcée par
l’action conjuguée de deux facteurs primordiaux : l’éducation et
l’enseignement.
Un bref rappel diachronique du contexte général permet de suivre l’évolution de
la situation actuelle. En schématisant globalement au niveau macro-systémique, on
peut remarquer que ces nécessités de changement sont encouragées par
l’enseignement dans les écoles des zones nomades d’une part et l’enseignement
dans les zones sédentaires d’autre part. À ce système formel s’est ajoutée
l’alphabétisation des adultes à partir des années 1960.

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Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
I. État des lieux
L’école et les systèmes institutionnels ont effectivement contribué à reléguer
l’oral au second rang en raison des nouveaux besoins privilégiant l’écrit dans la vie
sociale, administrative et professionnelle.
En zone touarègue, l’impact de l’écrit a été relativement tardif par rapport aux
autres régions sédentaires du Sahel. En effet, l’école française qui en est l’un des
principaux vecteurs n’est apparue au Niger qu’à partir de 1944 dans l’Aïr, 1946
dans l’Azawagh ; en 1947 dans l’Adagh au Mali et seulement en 1949 dans
l’Ahaggar au sud de l’Algérie. Les Touaregs ont choisi l’analphabétisme comme
marque de résistance à la langue française, en récusant systématiquement
l’imposition de la langue du colonisateur ressentie comme un processus
d’assimilation. C’est pour cette raison que l’école a été longtemps refusée, ce qui
eut comme conséquence le faible taux de scolarisation. Ce n’est qu’après plusieurs
décennies, favorisées par la sédentarisation et les indépendances des années 60, que
la progression des effectifs des enfants touaregs scolarisés fut manifeste. La
scolarisation se développa lentement, de façon variable selon les régions.
Parallèlement au système scolaire, l’éducation des adultes fut mise en place en
utilisant les langues nationales dont le touareg (tamashaq au Mali, tamajaq au
Niger). L’emploi des langues africaines, dans les institutions officielles des pays
sahéliens pour l’alphabétisation des adultes, a été l’un des principaux moteurs du
passage à l’écrit.
La politique de promotion de ces langues africaines, et leur emploi à l’écrit
comme support dans l’enseignement et l’éducation, a été soutenue et encouragée
par la contribution efficace de l’UNESCO à partir de 1966.
La réalisation effective de ce passage à l’écrit a connu plusieurs étapes
décisives. En effet, pour commencer cette entreprise, il a fallu élaborer tous les
outils indispensables qu’exigent les activités subséquentes à savoir écrire et lire
dans ces langues. On créa, sous l’égide de l’Unesco des alphabets aménagés à
partir des caractères latins. Chaque langue africaine fut équipée de son alphabet
élaboré avec des signes correspondants à sa phonologie particulière.
Concernant la langue touarègue, bien qu’elle soit dotée de son propre alphabet
traditionnel, les tifinagh, il lui fut aussi établi un alphabet en caractères latins
comme pour toutes les autres langues. C’est cet alphabet qui est utilisé dans
toutes les institutions officielles au Sahel, notamment au Burkina Faso, au Mali
et au Niger.
Le processus du passage à l’écrit en touareg se révèle relativement plus
avancé dans ces deux derniers pays, en raison des activités de l’alphabétisation
des adultes d’une part et les expériences de l’enseignement des langues africaines
d’autre part.

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Mohamed Aghali-Zakara
17
I.1. Alphabet : choix des caractères graphiques
Le choix officiel des caractères graphiques s’est posé avec beaucoup plus
d’acuité concernant le touareg : le dilemme était soit de maintenir officiellement les
tifinagh, alphabet des Touaregs, soit de lui substituer l’alphabet arabe ou l’alphabet
à base latine, selon le choix des autres langues africaines sans écriture
traditionnelle.
Rappelons que les tifinagh sont la continuité scripturaire des caractères
libyques, attestés depuis plus de deux millénaires en Afrique du Nord où ces
caractères libyques ne sont plus en usage depuis environ le IIIe s. de notre ère. Il
n’existe pas d’œuvre écrite avec ces caractères, mais il subsiste un certain nombre
de stèles de l’époque punique et latine - stèles bilingues qui ont permis le
déchiffrement de presque tous les caractères libyques - et des inscriptions rupestres
qui témoignent de l’évolution des caractères libyques. Survivance de ces
caractères, les tifinagh constituent l’alphabet des Touaregs, encore bien vivant dans
quelques groupes. Bien qu’historiquement chargé d’un fort contenu identitaire pour les
berbérophones, cet alphabet n’a pas été retenu pour noter le touareg en 1966 car il
présente bien des difficultés qui le rendent peu compétitif à l’époque actuelle (non
cursif, uniquement consonantique…) ; une vocalisation s’impose si on veut en faire
un usage répondant aux besoins contemporains. L’évolution des tifinagh vers les
néo-tifinagh pourrait favoriser l’emploi de ce système graphique, dans l’avenir.
Mais il ne pourra avoir qu’un usage interne à la société touarègue qui s’en prévaut
comme signe identitaire et comme écriture ayant le privilège d’être hermétique aux
non-Touaregs, notamment ceux qui ne sont pas en contact avec cette communauté.
Concernant les caractères arabes, ils sont étrangers à la culture touarègue, sauf
pour les lettrés en arabe : ils sont perçus comme étant l’écriture du Coran, écriture
sacrée au regard des tifinagh, caractérisées par certains comme akatab n Iblis
“écriture du Diable”. Malgré cette sacralité conférant un préjugé favorable, il
subsiste de nombreuses complexités dans l’écriture des caractères arabes par
rapport à l’alphabet latin. En effet, aux nombreux signes diacritiques de cette
écriture, il faudrait ajouter des marques distinctives pour les consonnes
emphatiques du touareg qui n’existent pas toutes dans l’alphabet arabe, ainsi que
pour le schwa. De plus, la plupart des signes ont plusieurs formes selon leur place
dans le continuum graphique, ce qui constitue des difficultés supplémentaires.
I. 2. Adoption des caractères latins
Concernant les caractères latins, on sait qu’ils peuvent s’adapter à la phonologie
des langues africaines de même que pour le berbère en général et le touareg en
particulier. Ces caractères ont l’avantage d’être universellement connus et d’avoir
bénéficié des perfectionnements dus à une longue évolution. L’importance du

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18
Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
passé colonial en Afrique francophone, en particulier, ne devrait pas être un
argument d’opposition à retenir : cette circonstance historique est indépendante de
l’origine de cet alphabet latin, issu de longs tâtonnements millénaires dans une
vaste aire géographique, ayant abouti à une maniabilité universelle tout à fait
exceptionnelle. Ce sont ces critères d’adaptabilité aux phonologies particulières et
de maniabilité qui ont incité les pays sahéliens à adopter les caractères latins dès les
premières campagnes d’alphabétisation.
Il convient de rappeler que c’est surtout depuis la pénétration occidentale, à la fin du
XVIIIe s., que les Occidentaux ont tenté, avec des systèmes de notation personnels,
d’écrire des textes berbères en particulier et de faire des analyses de différents parlers.
Le plus souvent, il s’agit de notations pointillistes ou phonétiques approximatives ne
distinguant pas toujours certaines caractéristiques, technique de pionniers aux prises
avec un déchiffrage premier :
- les variations individuelles de prononciation, prises pour des phonèmes
pertinents du parler ;
- les variations locales ou régionales ;
- les variations contextuelles dues à l’environnement phonique de certaines
consonnes.
Ces premiers travaux ont largement contribué à affiner l’emploi de ce système
d’écriture qui a montré, d’emblée, que cet outil graphique avait suffisamment de
souplesse pour permettre son adoption afin d’écrire diverses langues, quelle qu’en
soit la spécificité.
À propos du touareg, la notation officiellement employée au Burkina Faso, au Mali
et au Niger est issue des travaux des experts de l’UNESCO réunis à Bamako en 1966.
Ils ont mis au point un alphabet pour noter les langues nationales de ces pays : dans un
premier temps, le but était d’alphabétiser les adultes dans leur langue et de fixer par
écrit la tradition orale ; dans un second temps, mettre au point un enseignement dans
les langues nationales de ces pays afin de sauvegarder le patrimoine de l’identité
culturelle. Le premier alphabet a été aménagé, puis amélioré pour s’adapter aux
phonologies particulières des langues concernées, à la suite de plusieurs conférences
dont les plus importantes sont celles de 1984 et de 1994.
Afin de faciliter les échanges, des supports pédagogiques et autres productions,
divers ateliers sous-régionaux ont permis de revoir certaines questions
d’harmonisation en suspens, notamment les spécificités dialectales (phonologie,
phonétique), la segmentation, la notation des différents éléments de la phrase, le
lexique néologique et onomastique (anthroponymes, toponymes ...). Le dernier
alphabet en vigueur au Sahel depuis 1999 résulte des conclusions d’une série de
rencontres des principaux spécialistes nationaux et internationaux. Cet alphabet
latin tient compte de l’état des connaissances en touareg. C’est ce dernier qui est

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Mohamed Aghali-Zakara
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actuellement en usage dans l’alphabétisation des adultes et l’enseignement
bilingue.1
1.3. Rappel des caractères et des règles de notations
a. inventaire :
a, ă, ə, b, c, d, ḍ, e, f, g, ğ,γ, h, i, j, ǰ, k, l, ḷ, m, n, ŋ, o, q, r, s, ṣ, š, t, ṭ, u, w, x, y, z, ẓ
b. voyelles :
minuscules : on compte 5 voyelles pleines / a, e, i, o, u / et 2 voyelles brèves / ă, ə/-
la longueur vocalique est notée par un accent circonflexe ( ^ ) / â, e, î, ô. û /
majuscules : voyelles simples : A, E, I, O, U
voyelles brèves : Ă,
c. consonnes :
minuscules : d, ḍ, e, f, g, ğ,γ, h, i, j, ǰ, k, l, ḷ, m, n, ŋ, q, r, s, ṣ, š, t, ṭ, u, w, x, y, z, ẓ
majuscules: B, C, D, Ḍ, F, G, Ğ, γ, H, J, ǰ, K, L, ḷ, M, N, ŋ, Q, R, S, Š, T, Ṭ, W, X,
Y, Z, Ẓ
consonnes emphatiques : elles sont notées par un point souscrit ḍ, ḷ, ṣ, ṭ, ẓ
consonnes tendues : elles sont notées par le redoublement de la lettre
correspondante.
Les sons notés autrefois par les digraphes sh, gh, kh, sont désormais notés
comme suit :
x remplace kh, γ remplace gh, š remplace sh, ǰ remplace dj, ğ remplace gy ou gy ;
le ğ est surtout fréquent en tafaγist (Mali, Niger), tadγaq (Mali) et tahaggart
(Algérie).
Les mots résultant d’assimilations lexicales sont notés comme ils sont réalisés
(notation phonétique et non morphologique) : par exemple pour le terme endogène
que les Touaregs utilisent pour désigner leur langue, il ne doit jamais s’écrire
*tamahaght ou tamahaγt, ni *tamashaght ou tamašaγt, ni *tamajaght ou tamajaγt
car ces formes ne sont pas réalisées en touareg, quelle que soit la variante
linguistique considérée. En conséquence on doit écrire le mot tel que celui-ci est
réalisé phonétiquement par les locuteurs selon leur parler : tamahaq, tamashaq ou
tamajaq, c’est-à-dire qu’on ne doit pas avoir recours à une reconstruction
morphologique car, dans la pratique langagière, la constrictive sonore vélaire γ (gh)
et la dentale t s’assimilent en réalisant l’uvulaire occlusive sourde q ( ق de l’arabe).
Cette réalisation en q est attestée dans tous les parlers touaregs, alors que cette
assimilation n’existe pas dans les parlers berbères septentrionaux : au Maroc on dit
tamazight pour les parlers de l’Atlas Central, terme étendu maintenant, comme
1Alphabet officiel, Ministère de l’Éducation Nationale (MEN).

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générique pour dénommer tous les parlers berbères du Maghreb. Autre argument
important : en tifinagh, c’est la notation phonétique qui est observée.
I.4. Spécificité du système vocalique touareg
Comportant sept phonèmes, le système vocalique touareg se révèle plus
complexe que celui des parlers berbères septentrionaux réduit à trois voyelles.
Actuellement, on distingue cinq voyelles “ordinaires” : a, i, u, e, o, dont la longueur
â, î, û, ê, ô, est une opposition de durée, marquant une opposition de sens dans le
système lexical et dans le système verbal particulièrement par opposition aspectuelle :
iktăb “il a écrit”, iktâb “il a fini d’écrire”, ou “c’est écrit”.
Deux voyelles brèves ə, ă, dont le statut n’est pas définitivement établi même si
elles permettent de dégager des paires minimales pertinentes iləs “langue” et ilăs “il a
recommencé”; elles sont identifiées comme des voyelles thématiques opposant
l’accompli à l’aoriste dans les verbes à conjugaison régulière, imăl “il a dit”, (ad) iməl
“il dira”, igrăw “il a trouvé”, (ad) igrəw “il trouvera”. Depuis les premiers travaux de
Foucauld du début du XXe s., publiés en 1951, jusqu’à ceux des auteurs
contemporains,2 on s’accorde à souligner que des analyses phonologiques plus
approfondies restent à faire. Actuellement, on considère que l’état des recherches
aboutit à la représentation suivante (selon les points d’articulation, degrés d’aperture) :
i
u
ə
e
ă
o
a
Les deux phonèmes ă et ə ne sont jamais réalisés longs. Pour la voyelle
antérieure la plus ouverte, on note que la quantité vocalique varie de la façon
suivante : â < a / ă / ə.
Les voyelles pleines i, u, e, o, a, peuvent être réalisées avec divers timbres en
fonction des consonnes de contact ou des effets stylistiques, prosodiques, voire
d’intonation particulière et de débit d’élocution relevant d’idiolectes.
Il existe des variétés phonétiques et dialectales dont cette notation phonologique
ne tient pas compte. De ce fait on n’a pas retenu le phonème / ε / qui n’est que la
réalisation phonétique de /e/ = /é/ au contact de consonnes emphatiques comme
dans : eəs “sommeil” réalisé / ε /əs par certains locuteurs.
2 Karl -G. Prasse, 1972 ; Lionel Galand, 1977 ; Naïma Louali, 1992 ; Mohamed Aghali-Zakara
(1981 ;1992 et 2010).

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I.5. À propos du système consonantique
Ce système est phonologique. Il est sensiblement le même dans tous les
travaux.3
La notation est phonétique quand les réalisations résultent
d’assimilations lexicales définitives. Il convient de signaler que les
assimilations grammaticales, résultant de proximités syntaxiques provisoires,
ne sont pas notées.
En bref on distingue les principales caractéristiques suivantes :
- les consonnes simples ont la même valeur qu’en français
- les consonnes pharyngalisées sont dites “emphatiques”
- les consonnes “tendues” sont accentuées
- les consonnes réalisées assimilées sont ou non écrites
- les pharyngales // et /ε/ sont fréquentes dans les parlers berbères du Nord,
notamment dans les mots empruntés à l’arabe. En touareg, dans les mots empruntés
à l’arabe, ces deux phonèmes passent respectivement à x (kh) et γ (gh), les
laryngales passent aux vélaires :
- les occlusives : leur transformation en spirantes, comme en kabyle, est
inexistante en touareg.
- la palatalisation subsiste, mais elle est moins répandue en touareg que dans les
autres parlers : en tayart, le t- devant -i- passe à c (=tš) > š ; le dj > ǰ : ejaḍ / eǰaḍ
“âne” : en tahaggart g > ğ egef / eğef “dune”.
- les changements phonétiques : passage de la laryngale /h/ à la sifflante sonore /z/,
à la chuintante sourde /š/ et à la sonore /j/ selon les parlers : ehəl > ezəl > ešəl > ejəl
“jour”.
« L’évolution, quand elle a eu lieu, s’est arrêtée à l’une des chuintantes ».4
I.6. Règles de notation et usage du trait d’union
Les règles de notation se fondent sur l’analyse morphosyntaxique qui distingue
les unités lexicales autonomes, dépendantes et complexes :
les unités lexicales autonomes sont notées isolement et comportent : les noms
simples, les pronoms indépendants, les verbes, les adverbes, conjonctions, les
prépositions, les interrogatifs, les supports de détermination, les modalités verbales
intégrant les indices de personnes ou désinences personnelles, les modalités du pluriel
associatif, les termes de filiation notamment.
• les unités lexicales dépendantes sont liées au lexème dont elles dépendent par
un tiret : les déictiques affixes de nom, les pronoms affixes de nom et de nom de
3 Charles de Foucauld 1952 ; Karl -G. Prasse, 1972 ; Lionel Galand, 1977; Lionel Galand, 2000.
4André Basset, 1959 ; Lionel Galand, 2002.

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Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
nombre, les pronoms affixes de parenté, les satellites de verbe (pronom régime
direct ou indirect, particules de rection qui sont préposés ou postposés au verbe, les
particules de réitération.
• les unités lexicales complexes ce sont surtout les anthroponymes et
toponymes, les noms communs : les composants sont reliés par des traits d’union,
selon la notation phonétique, généralement en un seul mot en onomastique, de
façon variable pour les anthroponymes, les toponymes s’écrivent avec des traits
d’union entre les composants.
Pour plus de détails sur tous ces aspects voir mon étude complète.5
Enfin parmi les principales règles de notation retenues, il faut mentionner que
les majuscules sont utilisées en début de phrase et au début des noms propres.
Ce bref rappel permet de mieux cerner le processus ayant conduit à valoriser
l’écrit des langues africaines. En examinant cette évolution progressive dans la
production écrite de plus en plus variée, on note que la qualité s’est améliorée
d’année en année par l’expérience. La formation des agents d’alphabétisation et des
enseignants des écoles expérimentales a contribué fortement à cette amélioration
tout à fait notable. Ce relatif progrès se révèle à la lecture de la documentation
grise : les supports d’enseignement, notamment les lexiques, les divers journaux
ruraux édités par les centres d’alphabétisation, les livrets ou manuels servant de
documents pédagogiques dans les écoles expérimentales, et la série de nouveaux
romans en langues africaines. Ce sont ces productions qui ont encouragé
résolument le passage décisif de ces langues orales à l’écrit.
Un bref panorama de ces diverses productions permet d’avoir une vision plus
globale de cette lente progression. Parmi les travaux résultants du passage à l’écrit,
en marge des publications académiques de type scientifique émanant des
chercheurs (v. bibliographie), il existe en touareg des productions locales
auxquelles se limite cette brève présentation. Dans les pays sahéliens, en
schématisant, on peut retenir trois phases principales permettant de préciser
l’évolution de ce passage à l’écrit :
- La première phase concerne les travaux des chercheurs occidentaux : certains
se sont focalisés sur l’analyse de la langue, notamment les publications de Ch. de
Foucauld, K.-G. Prasse, L. Galand et d’autres sur la littérature : P. Galand-Pernet,
J. Drouin, D. Casajus.6
- La seconde phase concerne les travaux réellement réalisés au Sahel par les
services officiels d’éducation et d’enseignement. On peut distinguer trois
principaux types de publications caractérisant ce passage :
5 Aghali-Zakara (2010 et 2011).
6 V. les références des plus importantes publications sont données en bibliographie à titre indicatif.

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o productions écrites destinées aux adultes : ce sont les supports des cours
d’alphabétisation ;
o productions écrites destinées aux scolaires en enseignement bilingue
touareg /français ;
o journaux de la presse rurale ;
o productions écrites résultant de travaux d’étudiants (mémoires et thèses).
-
La troisième phase est la continuité dans l’approfondissement des
publications pédagogiques. Il s’agit surtout de la réalisation de documents
améliorés : manuels d’enseignement, lexiques, ébauche des premiers dictionnaires
bilingularisés touareg/ français.
En examinant l’évolution de ces productions, on constate les efforts réalisés
pour améliorer tant l’application des règles de notation que la richesse des
contenus. Seule une analyse approfondie des divers types de production permettrait
de mieux comprendre ce notable progrès en rapport avec les moyens utilisés d’une
part et en tenant compte d’autre part des objectifs réellement visés par les
politiques nationales.
Dans cette brève présentation, on ne retiendra que cet effort d’élaboration de
documents servant de supports didactiques dans les institutions en charge de
l’alphabétisation des adultes et de l’enseignement expérimental des langues
nationales, dont le touareg (tamajaq/tamashaq). Concernant cette langue,
examinons quelques documents utilisés par les services d’alphabétisation afin de
découvrir les méthodes pédagogiques dont l’une est fondée sur des documents en
bigraphie.
I1. Alphabétisation des adultes en bigraphie : caractères latins et tifinagh
Les campagnes d’alphabétisation des adultes ont été lancées au Sahel après les
indépendances des années soixante. Des documents commencèrent alors à être
élaborés suite à l’adoption des alphabets à base latine décrits ci-dessus.
Parmi les diverses stratégies déployées par les agents d’alphabétisation, on
retiendra ici la méthode reposant sur des documents en bigraphie c’est-à-dire notés
en caractères latins et en tifinagh. Les textes sont écrits en tifinagh, écriture connue
de nombreux Touaregs, cette situation facilite l’apprentissage des caractères latins
qui leurs sont étrangers. Les thèmes traités dans ces textes relèvent des activités
sociales endogènes à leur société ou sont le plus souvent relatifs à leurs centres
d’intérêt. Les séances de lecture sont de ce fait assimilables à des réunions
récréatives voire ludiques. Cette ambiance où l’on devise semble reproduire les
retrouvailles des joutes coutumières et l’on s’amuse à deviner les correspondances,
les formes graphiques et les contenus des textes écrits à découvrir. Cette pratique
ludique se révèle stimulante et sollicite la curiosité de savoir. Ce type d’exercice

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Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
exhorte à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. À titre illustratif, les
documents ci-joints donnent une représentation de cette catégorie de supports
pédagogiques.
On retiendra ici, le journal Isalân dăgh təmajăq “Nouvelles en touareg”, dont
les informations sont le plus souvent publiées en bigraphie. Ce même processus se
retrouve dans de petits livrets ou manuels d’enseignement dans lesquels les textes
en bigraphie sont des contes ou des textes relevant des formes courtes (devinettes,
proverbes, aphorismes…).
Dans ces différents cas, les personnes qui connaissent déjà les tifinagh peuvent
les lire et s’aider des caractères tifinagh pour comprendre le texte écrit en alphabet
latin. L’apprentissage est plus aisé car il est basé sur les éléments de la vie socio-
culturelle des apprenants. On applique implicitement la méthode globale ciblée sur
les centres d’intérêt de l’apprenant qui de ce fait s’y intéresse et s’implique
volontairement. Ainsi ces apprenants participent-ils à tous les exercices de
décryptage des signes, de leur translittération et procèdent à la reconstitution de
textes qu’ils finissent pour lire après avoir maîtrisé les formes graphiques et la
valeur des caractères constituant ce système alphabétique.
Premiers journaux touaregs bilingues : haoussa et touareg

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Les illustrations suivantes sont extraites des publications parues depuis les
premières éditions des années 1966. Elles montrent l’évolution et l’orientation des
publications tant au Mali (doc. 1966, 1998…) qu’au Niger (1966, 1998, 1999 :
journaux locaux : Isalan, Albishinku, Ganga).
Manuel d’alphabétisation des adultes : texte en bigraphie, tifinagh
et caractères latins écrits à la main (Il s’agit ici de proverbes touaregs)
Manuel d’alphabétisation des adultes : texte en bigraphie, tifinagh
et caractères latins écrits à la main et à la machine
(Petites histoires ou fables faisant rire)

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Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
Le texte en tifinagh est segmenté, le texte en caractères latins est composé à la machine
Dans ces journaux en touareg, on peut lire des informations locales ou
régionales, des conseils sanitaires, des historiettes, des contes, de petits jeux
énigmatiques, mais aussi des nouvelles nationales et internationales. Les textes sont
en bigraphie : la version en touareg est écrite en caractères tifinagh et en caractères
latins. Il est intéressant de lire et de comparer les deux versions donnant une même
nouvelle comme celle du voyage sur la lune par exemple où l’on constate que le
texte en tifinagh est plus sommaire que celui en caractères latins. Le premier
semble coller à la tradition en donnant les informations essentielles alors que le
second, à tendance moderne, tend à fournir plus d’explications. Ce traitement de
l’information se réalise différemment en fonction des supports graphiques de
transmission et du public-cible. On pourrait à ce propos se référer à l’article de J.
Drouin7 qui examine les contenus.
La presse rurale a été durant deux décennies une riche base de supports de
lecture pour les centres d’alphabétisation. Les contenus et la qualité des textes se
7 Jeannine Drouin, 1989.

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sont améliorés d’année en année en dépit des insuffisances en moyens matériels
dont disposent les services. Les textes parus à partir des années 90 en sont un
véritable témoignage : à titre indicatif on peut retenir le texte sur le multipartisme.8
La publication des journaux locaux ou presse rurale a cessé depuis deux
décennies. Outre les romans, il existe quelques productions privées réalisées par
des associations comme l’APT (Association pour la Promotion des Tifinagh).
L’APT a été créée pour participer à la sauvegarde des tifinagh, patrimoine des
Touaregs. En partant de l’alphabet traditionnel, il a été élaboré un alphabet néo-
tifinagh susceptible de correspondre aux différents caractères de l’alphabet latin en
usage officiel dans l’enseignement expérimental du touareg.
*
On a vu comment, sur plusieurs décennies, des efforts ont été faits pour associer
traditions linguistique et graphique à l’acquisition d’outils, donnant accès à la
communication écrite internationale.
Ces objectifs ont été partiellement atteints en s’efforçant de protéger la culture
sociale.
8 Jeannine Drouin, 1997.

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Didactique du passage de l’oral à l’écrit au Sahel - Langue touarègue -
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ABSTRACT
Talking about the transition from oral to written in the Tuareg society means
facing a peculiar case : Tuaregs are not illiterate since they do have a script their
own, but they do not use it traditionally to record Speech which remained mainly in
the field of orality, at least till the early 20th century.
It is precisely at that time that school education started, in other words the
learning of the Latin script that transcribes the French language. As for the Arabic
script, its use dates back to several centuries among clerics. Since the seventies,
adult education to the Latin script has been going on, for those who already use
tifinagh - the Tuareg script. Hence their command of two ways of writing.
It is this complex and peculiar situation that I will expose here.

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MAHMOUD AMAOUI
Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification
de la ponctuation berbère
Précisons que la norme en matière de ponctuation est moins
contraignante que pour l’orthographe : un texte donné
n’a (en principe) qu’une seule orthographe, mais
il peut être ponctué de multiples manières selon
le tempérament et le style de chacun.1
Notre communication se veut une réflexion générale sur la codification de la
ponctuation dans le domaine berbère ; nous nous limitons ici aux écrits kabyles
notés en caractères latins.2 Il ne s’agit pas de propositions concrètes mais
d’indications et suggestions en rapport avec des données linguistiques et culturelles
que nous jugeons pertinentes en la matière. Par codification de la ponctuation, il
faut comprendre à la fois l’ensemble des signes typographiques de ponctuation,
leurs formes et leurs usages effectifs dans les différentes productions écrites.
Malgré son importance, la ponctuation n’a pas fait l’objet d’essais de
codification ni de travaux de réflexion. À notre connaissance, il n’existe pas encore
de codes typographiques dans les institutions utilisant le berbère. Dans ce domaine,
on note tout au plus quelques phrases insérées dans les divers travaux consacrés à
la notation usuelle.3 Quant aux grammaires berbères, parce qu’élaborées à partir de
1 Olivier Houdart - Sylvie Prioul, 2006, L’art de la ponctuation, Éditions du Seuil, Paris, 30.
2 La ponctuation des textes écrits en caractères arabe et en tifinagh pose d’autres problèmes que
nous ne pouvons traiter ici.
3 Voir les recommandations et la synthèse élaborées par Salem Chaker, 1996b, « Propositions
pour la notation usuelle à base latine du berbère (Atelier du 24-25 juin 1996/b, INALCO/CRB.
Synthèse des travaux) », in Études et Documents Berbères, n° 14, 239-253 ; Mohand Tilmatine, 2007,
« Standardisation de la langue amazighe : la graphie latine » in Actes du Colloque International sur
la standardisation de l’écriture amazighe. Synthèse des travaux, Barcelone, 26-28 avril 2007,
Linguamón-Casa de les Llengües, Barcelona, 25 p.; Kamal Naït-Zerrad, 2012, « Codification de
l’orthographe kabyle (et berbère en général) : critiques et propositions », in Actes du Colloque

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Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification de la ponctuation berbère
(et en référence à) la langue orale, elles ne comportent aucun chapitre consacré à la
ponctuation. Ce n’est que récemment que cette question commence à attirer
l’attention des chercheurs.4 Il faut dire que depuis une vingtaine d’années au moins,
la production écrite en berbère a connu un tel développement qu’il devient
impossible d’ignorer la question de la ponctuation et la codification de son usage.
D’apparence simple, la ponctuation se révèle en réalité, dans les langues qui en
connaissent des usages codifiés, un système complexe où entrent en jeu les aspects
linguistiques les plus divers : prosodie, syntaxe, sémantique, stylistique, etc. À ces
aspects linguistiques s’ajoutent des considérations d’ordre logique et d’autres liées
aux genres littéraires (roman, théâtre, poésie…) et à la typologie des textes de
manière générale (textes scientifiques, didactiques, journalistiques…). Pour notre
part, nous nous contenterons d’aborder ici les trois points suivants :
-
remarques sur l’usage de la ponctuation dans les différents écrits berbères ;
-
les signes de ponctuation et leurs formes ;
-
les règles d’usage.
I - Remarques sur l’usage de la ponctuation dans les différents écrits berbères
Tout essai de codification de la ponctuation doit prendre en considération
l’usage effectif de celle-ci dans les différents écrits. Mais sur ce sujet aussi, les
travaux de recherche sont rares pour ne pas dire inexistants ; on a pu recenser deux
articles où sont évoqués quelques aspects sur les usages de la ponctuation dans les
textes anciens et contemporains.5 Même si ces réflexions restent encore à
approfondir et à compléter par d’autres investigations, nous pouvons cependant
faire quelques remarques d’ordre général qui intéressent notre propos :
- La ponctuation berbère : un système emprunté au français
Le processus de transfert de l’alphabet français et de son écriture au berbère à
partir de la fin du XVIIIe siècle s’est aussi accompagné du transfert de son système
International sur la standardisation de l’écriture amazighe, Boumerdès du 20 au 23 septembre 2010,
HCA, Alger, 71-92.
4 Ramdane Boukherrouf, 2014, « La prise en charge de la ponctuation dans la transcription des
textes oraux en kabyle : cas du conte ‘Sin igujilen d’akniwen’ d’Auguste Moulieras », in Actes du 2e
Colloque International sur La langue amazigh : de la tradition orale au champ de la production
écrite (parcours et défis), Université Akli Mohand Olhadj, Bouira, 255-260 ; Salem Chaker, 2009,
« Structuration prosodique et structuration (typo-) graphique en berbère : exemples kabyles », in
Études de phonétique et linguistique berbère. Hommage à Naïma Louali, Peeters, Paris/Louvain, 69-
88; Mohand Mahrazi, 2014, « Le passage de l’oralité à l’écriture de l’amazighe : problème de la
ponctuation » in Actes du 2e Colloque International sur La langue amazighe : de la tradition orale au
champ de la production écrite (parcours et défis), Université Akli Mohand Olhadj-Bouira, 237-254.
5 Ramdane Boukherrouf, op. cit., 255-260; Salem Chaker, 2009, op. cit., 69-88.

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de ponctuation. Il suffit de parcourir quelques pages dans les ouvrages parus à cette
époque (grammaires, manuels d’apprentissage, recueils de la littérature orale
transcrite, traductions d’ouvrages religieux, etc.) pour constater que le système en
question est appliqué dans toute sa rigueur au berbère. Ceci se vérifie aussi bien
dans les formes des signes que dans leurs usages. Ainsi par exemple de la forme et
de l’usage des guillemets ; des usages du tiret, de la virgule, du point-virgule, des
points de suspension, etc. Les types d’espaces (fortes ou fines) entre les mots et les
signes ainsi qu’entre les signes eux-mêmes sont un autre indicateur de l’emprunt de
ce dérivé de l’écriture à la tradition française. Mais comment pouvait-il en être
autrement lorsqu’on considère les connaissances des auteurs de cette période en
matière typographique et les moyens techniques d’impression disponibles alors ?
Les emplois de la virgule dans les principaux textes berbères publiés aux XIXe
et XXe siècles, pour ne prendre que cet exemple, attestent de cette conformité à la
ponctuation française. Quelques réflexions ont déjà suggéré cet état de fait.6 Pour
notre part, un examen sommaire de quelques textes « anciens » mais appartenant à
deux périodes différentes, un recueil de poésie orale transcrite7 et des textes en
prose beaucoup plus récents (Aït Ali 1963), nous a montré clairement que ce signe
est utilisé pour les mêmes valeurs qu’en français, à savoir comme moyen de :
- coordonner entre des propositions indépendantes ;
- mettre en apposition des mots ou des syntagmes ;
- isoler du reste de la phrase les incises, les apostrophes et les propositions
explicatives.
- Évolutions et usages actuels de la ponctuation
Sous l’influence de facteurs divers, cette ponctuation a subi des transformations
significatives. Avec l’extension de l’écrit berbère aux autres domaines que celui de
la littérature orale (roman, nouvelle, écrits didactiques et scientifiques notamment),
le système s’est enrichi de nouveaux signes : parenthèses, crochets, tirets, etc. Mais
loin de déboucher sur une codification et une stabilisation, le développement de la
production écrite en berbère a au contraire mis au jour de nombreuses fluctuations
et difficultés en la matière. Ainsi, parlant des problèmes de la ponctuation dans les
textes modernes, S. Chaker écrit :
« Dans la majorité de ces textes, même si la situation est assez contrastée, le
décodage est souvent laborieux. En fait, presque toujours, il implique une oralisation
pour permettre le choix entre différentes interprétations possibles. La structure et les
6 Ramdane Boukherrouf, op. cit., 255-260; Salem Chaker, 2009, op. cit., 69-88.
7 Adolphe Hanoteau 1867, Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura, Imprimerie impériale,
Paris, 475 p.

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Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification de la ponctuation berbère
relations syntaxiques ne sont pas ou peu fournies par la représentation graphique
parce que la ponctuation y est un indice mal ou sous-utilisé ».8
Aux objectifs non didactiques des écrits (défense et valorisation de la langue)
avancés par S. Chaker pour expliquer cette « régression », on peut ajouter deux
autres raisons : l’influence de l’arabe et les problèmes techniques liés à l’édition.
L’influence de la ponctuation arabe apparait dans l’usage excessif de la virgule au
détriment du point ainsi que l’absence significative du point-virgule : nombreux
sont en effet les écrits qui n’utilisent pas ce signe. L’état de l’édition dans le
domaine berbère est une autre source de confusion et de fluctuation. Ainsi, notre
consultation d’un corpus littéraire, bien que limité, nous a permis de relever
quelques erreurs : l’usage simultané des guillemets français et anglais ; le tiret
court (ou trait d’union) à la place du tiret cadratin pour introduire les répliques de
dialogues dans le roman et la nouvelle ; l’absence parfois des guillemets dans le
discours rapporté.
II- Les signes de ponctuation et leurs formes
La première intervention dans la codification de la ponctuation consiste à
choisir les signes typographiques et leurs formes. Il ne s’agit pas évidemment de
revenir sur les acquis dû à un long processus historique d’appropriation de
l’écriture par le berbère. Il est en effet acquis que ce dernier, comme nous l’avons
souligné ci-dessus, a adopté le système de ponctuation français. Mais étant données
la dynamique des codes typographiques, la diversité des signes et de leurs formes
tels que nous pouvons l’observer dans les différentes langues, il est utile et même
nécessaire de reconsidérer cette question. Sur ce plan, trois axes de réflexion
doivent retenir notre attention :
a - le choix des signes et de leurs formes : arrêter la nomenclature des signes
typographiques de ponctuation à utiliser revient à faire un travail de sélection
et d’harmonisation ; nous pouvons introduire de nouveaux signes comme nous
pouvons aussi en écarter d’autres. Dans le cas qui nous préoccupe ici, il existe
plusieurs faits à reconsidérer, parmi lesquels les guillemets et les tirets. Ainsi,
les deux tirets qui servent à encadrer les propositions incises s’accommodent
mal du trait d’union très utilisé dans la notation usuelle pour relier les
morphèmes affixes aux noyaux prédicatifs (rappelons aussi que les tirets
peuvent être remplacés par les parenthèses). De même que la forme des
guillemets (anglais ou français) reste à préciser.
8 Salem Chaker, 2009, op. cit., 80.

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b - la combinaison entre les signes : il existe plusieurs possibilités de
combinaisons entre les signes de ponctuation et de dédoublement /
multiplication d’un même signe. Si certaines associations, entre les signes,
relèvent du style et même de la fantaisie des rédacteurs, d’autres, par contre,
sont intégrées dans l’usage et par conséquent elles doivent être codifiées. C’est
le cas particulièrement des guillemets qui peuvent s’associer avec le tiret, le
deux-points, le point, etc.
c - La définition des espaces : entre chaque signe et le texte, et entre les signes
eux-mêmes dans les cas de combinaisons, les espaces (espace fine ou espace
forte) doivent être définies et trouver des applications techniques.
III- Les règles d’usage
S’agissant des règles d’emploi des signes de ponctuation, il y a lieu de
distinguer entre les usages fonctionnels et ceux qui relèvent des conventions (i.e.
des usages sans pertinence syntaxique et/ou sémantique). Appartiennent à la
première catégorie les signes de ponctuation proprement dit, c’est-à-dire les
signes à valeur syntaxique comme la virgule, le point-virgule et le point (en
incluant les formes interrogative et exclamative). Relèvent de la deuxième
catégorie, plus au moins tous les autres signes typographiques à valeur discursive
qui servent à la structuration du texte : parenthèses, crochets, tirets, deux-points,
guillemets, etc.
1 - Les conventions
Sachant que pour une partie l’emploi des signes de ponctuation diffèrent d’une
langue à une autre (voir les différences notables entre le français et l’anglais par
exemple) et que la présence ou l’absence d’un signe, mais aussi sa forme et sa
place dans la phrase, peuvent relever des conventions, la codification doit se
conformer à l’usage le plus répandu avant tout. Dans ce cas précisément où la
structure et le sens de la phrase ne sont pas affectés, cette codification doit être
moins contraignante que pour les usages fonctionnels. Voici quelques cas qui
relèvent de cette catégorie :
- la virgule : quand ce signe n’est pas utilisé comme marqueur syntaxique, il
peut signaler des faits prosodiques (pauses et ruptures intonatives) sans valeur
linguistique. Sont aussi concernés par ce fait les contextes les plus divers : dates,
titres, sous-titres, etc. À l’inverse, des pauses et ruptures intonatives peuvent ne pas
être marquées à l’écrit par une virgule sans que cela affecte le sens de l’énoncé.
- le point : sa présence ou son absence dans certains contextes (en fin de
certaines formules, des titres, des sous titres, abréviations etc.) peut relever de la
pure convention ;

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Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification de la ponctuation berbère
- les guillemets : la question qui se pose est l’extension ou non de leur usage à
d’autres contextes que celui du discours rapporté et de la citation, à savoir la mise
en exergue, les néologismes, la distanciation de l’auteur…
- la majuscule : comme pour les guillemets, nous pouvons envisager pour la
majuscule un usage restreint au début de phrase et à l’initiale des noms propres, ou,
comme en anglais, un usage plus étendu (à l’initiale des noms de politesse, de
fonction, de nationalité, etc.)
2- Les usages fonctionnels
Dans une langue en voie de standardisation où les caractéristiques de l’oralité
prédominent encore largement, les faits prosodiques et l’environnement
situationnel jouent un rôle essentiel dans l’interprétation du discours. Ceci apparait
nettement quand il s’agit de délimiter dans l’ensemble du discours les énoncés et
de leur donner des interprétations syntaxiques et sémantiques. Des travaux réalisés
ces dernières années dans certains dialectes berbères ont clairement mis en
évidence ce rôle syntaxique des faits prosodiques comme l’intonation.9
Évidemment, à l’écrit ces faits sont absents. D’où l’importance de recourir à la
ponctuation pour « désambigüiser » certaines structures d’énoncés. Ainsi à l’écrit,
en l’absence de marques morphématiques spécifiques, le deux-points suivi des
guillemets ( : « ») restent indispensables pour distinguer entre le discours direct et
le discours indirect :
a) inna-yas ad d-yas
a’) inna-yas : « ad d-yas »
« il lui a dit qu’il viendra »
« il lui a dit : ‘‘il viendra’’ »
Par ailleurs, si le point et le point-virgule sont essentiels pour
l’identification/délimitation des phrases, c’est à la virgule que revient le rôle
d’indicateur des composants de la phrase et de la structure de leurs relations
syntaxiques. Cette affirmation est particulièrement vraie pour une langue comme le
berbère où le paradigme des morphèmes marqueurs de relations syntaxiques
(coordonnants, subordonnants…) est peu fourni et où la prosodie acquière une
9 Salem Chaker, 1991, « Eléments de prosodie berbère. Quelques données exploratoires », in
Études et Document et Berbères, n°8, 5-25 ; Salem Chaker, 1996a, « Syntaxe de la langue/syntaxe de la
parole ? Intonation et situation dans l’analyse syntaxique : quelques points controversés en berbère », in
Manuel de linguistique berbère II : syntaxe et diachronie, ENAG-Editions, Alger, 83-85 ; Naïma Louali
- Amina Mettouchi, 2002, « Structures intonatives en berbère : l’énoncé prédicatif à particule d- », in
Proceedings of International Symposium on Speech Prosody, Aix-en-Provence, 11-13 April, 463-466 ;
Naïma Louali, 2003, « L'accent en berbère : catégorie grammaticale et démarcation syntaxique », in
Actes du 2. Bayreuth-Frankfurter Kolloquium zur Berberologie, Frankfurt, 9-13 Juillet 2002, Berber
Studies, Rüdiger Köppe, Köln, 67-77.

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fonction syntaxique centrale.10 La présence de ce signe de ponctuation comme son
absence, sa place dans l’énoncé peuvent modifier le statut grammatical des unités, et
donc le sens de l’énoncé. Tous ces cas doivent faire l’objet d’un inventaire en vue de
leur codification. En attendant l’établissement d’un tel inventaire, nous donnons, à
travers les exemples qui suivront, un aperçu sur ce rôle central de la virgule :
- subordination / coordination sans marque
b) yugi ad iruḥ « il a refusé de partir »
b’) yugi, ad iruḥ « il a refusé, il va partir »
- syntagme nominal non prédicatif / syntagme nominal prédicatif
c) axxam n Meẓyan « la maison de Meziane »
c’) axxam, n Meẓyan « la maison est (appartient) à Meziane »
La même suite amputée du premier nominal, c’est-à-dire la suite « n + nominale »,
selon la place de l’accent, peut elle aussi, recevoir deux interprétations différentes:
- comme syntagme nominal non prédicatif
d) n Meẓyan « de Meziane »
- comme syntagme nominal prédicatif
d’) n Meẓyan « elle est (appartient) à Meziane ».
Dans ce cas précisément, il faudra recourir à un autre moyen que la virgule (un
point d’exclamation ?) pour distinguer entre les deux interprétations possibles.11
D’abord parce qu’il s’agit de la place de l’accent et non pas d’une pause ou d’une
rupture intonative. Ensuite on ne voit pas où l’on pourrait placer la virgule ?
- énoncé prédicatif à indicateur de thème / proposition relative non
prédicative
e) tazzla, yuzzel « pour ce qui est de la course, il a (vraiment) couru »
e’) tazzla yuzzel …« la course qu’il a fait…».
Ce dernier énoncé demande à être complété pour faire sens.
- proposition déterminative / proposition explicative
f) Leqbayel imezwura yunagen ɣer fransa, ur d-ttasen ara yal aseggas
« Les premiers Kabyles qui ont émigré en France ne reviennent pas tous les ans
au pays »
10 Salem Chaker, 2009, op. cit., 69-88.
11 Il est vrai que même à l’écrit le contexte peut aider à lever cette ambigüité.

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Quelques éléments de réflexion pour servir à la codification de la ponctuation berbère
f’) Leqbayel, imezwura yunagen γer fransa, ur d-ttasen ara yal aseggas
« Les Kabyles, les premiers qui ont émigré en France, ne reviennent pas tous les
ans au pays ».
- SPV (+ reprise leximatique de l’indice de p.) /SPV (+ reprise leximatique
du pronom affixe)
Selon que l’expansion référentielle est rattachée à l’indice de personne (g) ou au
pronom affixe du verbe (g’), le degré d’intégration prosodique de cette expansion
ne sera pas le même. Dans le premier cas n’il y a pas de pause entre le SPV et
l’expansion nominale :
g) tenγa-tt tγirdemt-nni
« le scorpion en question l’a tué »
Par contre dans le deuxième cas, l’expansion nominale est isolée du SPV par
une pause, ce qui justifie le recours à la virgule pour représenter cette rupture
intonative.
g’) tenγa-tt, tγirdemt-nni
« elle a tué le scorpion en question »
On le voit bien, l’auteur de la mise à mort et celui qui en est la victime dans le
premier énoncé se trouvent inversés les rôles dans le second par la simple présence
d’une virgule !
- SPN (précédé d’un indicateur de thème) / deux nominaux coordonnés
Dans les suites du type N1 + d + N2, quand l’état d’annexion de N2 ne peut pas
être marqué, seule la virgule peut différencier entre :
- un syntagme prédicatif nominal précédé d’un indicateur de thème :
h) argaz-nni, d gma-s « l’homme en question, c’est son frère »
- un syntagme non prédicatif composé de deux nominaux coordonnés :
h’) argaz-nni d gma-s
« l’homme en question et (accompagné de) son frère ».
Enfin, dans l’exemple qui va suivre ce n’est pas la présence ou l’absence de la
virgule mais sa place dans l’énonce qui influe sur le sens :
i) win yugin gma-s, yemmut
« celui qui refuse (qui ne veut pas de) son frère est mort »

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i’) win yugin, gma-s yemmut
« celui qui refuse, son frère est mort ».
Les exemples de ce genre sont nombreux. Mais, à ne considérer que les
questions évoquées jusqu’ici, la tâche s’annonce déjà très complexe. En réalité, il
faudra concevoir tout un code typographe pour envisager les cas les plus
importants qui nécessitent une codification. Tout en consacrant les usages
dominants, cette intervention sur la ponctuation doit distinguer entre les
conventions, nécessairement moins contraignantes, et les usages fonctionnels qui
doivent prendre la forme de règles prescriptives.
BIBLIOGRAPHIE
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démarcation syntaxique », in Actes du « 2. Bayreuth-Frankfurter Kolloquium

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zur Berberologie », Frankfurt, 9-13 juillet 2002, Berber Studies, Rüdiger
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MAHRAZI, Mohand, 2014, « Le passage de l’oralité à l’écriture de l’amazighe :
problème de la ponctuation » in Actes du 2e Colloque International sur « La
langue amazighe : de la tradition orale au champ de la production écrite
(parcours et défis) », Université Akli Mohand Olhadj-Bouira, 237-254.
NAÏT-ZERRAD, Kamal, 2012, « Codification de l’orthographe kabyle (et berbère en
général) : critiques et propositions », in Actes du Colloque International sur
la standardisation de l’écriture amazighe, Boumerdès du 20 au 23
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TILMATINE, Mohand, 2007, « Standardisation de la langue amazighe : la graphie
latine » in Actes du Colloque International sur la standardisation de
l’écriture amazighe ; Synthèse des travaux, Barcelone, 26-28 avril 2007,
Linguamón-Casa de les Llengües, Barcelona, 25 p.
ABSTRACT
The object of our communication is a global reflection on punctuation. In fact, the
extent reached by the standardization of Latin-based orthography and the development
and multiplication of written production in Berber now allow to start reflecting on this
topic. We do not aim at giving any concrete propositions but only some indications that
would be useful for future codifications. After a brief view of the use of punctuation in
ancient and modern texts, we will deal with punctuation signs and their forms. Then we
will examine its links with linguistic aspects (especially syntaxic and prosodic) and
pragmatic ones.

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FATIMA BOUKHRIS
Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
En hommage à Paulette Galand-Pernet
La production orale, dans la variété de ses formes et de ses genres, est la
première expression de la langue amazighe (berbère). C’est pourquoi un grand
intérêt a été porté à la collecte des textes oraux depuis la fin du XIXe siècle et
pratiquement pendant toute la période coloniale, avec un ralentissement pendant la
période post indépendance des pays maghrébins et un regain ces dernières années.
Le passage de cette production de l’oral à l’écrit a constitué le centre d’intérêt
des chercheurs berbérisants de l’époque des années 1970-1980, et a donné lieu à
diverses rencontres scientifiques consignées dans des actes publiés. Actuellement,
avec le nouveau statut de l’amazighe, en tant que langue officielle au Maroc, par
exemple, et l’avancée du processus de sa standardisation et de son intégration dans
le système éducatif, la question de la normalisation du texte oral se pose sous
plusieurs angles, notamment celui de la normalisation de la transcription du corpus
oral disponible et de la gestion de la variation linguistique, à la lumière des normes
graphiques et lexicales adoptées.
Toutefois, une question se pose : peut-on normaliser le texte oral, en lui
conférant une norme linguistique relativement stable, alors que le texte oral est de
nature vivant, dynamique, évolutif, voire aléatoire, et implique l’intervention de
plusieurs éléments, situations… Du reste, il est souvent un macro-texte.
Pour appréhender certains aspects de la question, nous avons choisi quatre
ouvrages renfermant des textes représentatifs de différentes étapes des études
amazighes et, en même temps, de l’évolution de la situation de la langue amazighe
au Maroc. Les textes choisis sont : Contes berbères du Maroc. Vol. I - Textes
berbères. Vol. II, de Émile Laoust (1949) ; Recueil de poèmes chleuhs I. Chants de
trouveurs, de Paulette Galand-Pernet (1972) ; Les merveilles du Rif. Contes
berbères, de Mohamed El Ayoubi (2000) ; et Anthologie de la poésie amazighe,
ouvrage coordonné par Driss Azdoud et édité par l’Institut Royal de la Culture
Amazighe (IRCAM) en 2011.

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
1. Le texte oral dans les études amazighes
On peut distinguer trois périodes des études amazighes : la période coloniale,
l’après indépendance des États maghrébins, et la première décennie du XXIe siècle.
a. La période coloniale
La collecte des textes tient une place de choix dans les études de cette époque.
Aussi une importante documentation sous forme de textes nous est-elle léguée. En
effet, nombreux sont les textes collectés et publiés, soit en complément de manuels
de grammaire, soit en tant que recueils de textes. Dans la première catégorie, nous
avons, à titre d’exemples, V. Loubignac (1925) qui a réservé la moitié du volume
aux textes qui complètent son étude des dialectes des Zaïan et des Ayt Sgougou, A.
Renisio (1932) qui a consacré 149 pages à des textes représentant les différents
dialectes étudiés (dialectes des Beni Iznassen, du Rif et des Senhaja de Sraïr) et É.
Laoust (1939), dont le Cours de berbère marocain se termine également par des
textes illustrant les variétés linguistiques objet de l’ouvrage. Dans la deuxième
catégorie, à savoir les recueils de textes, on peut citer, A. Basset (1963), É. Laoust
(1949), A. Roux (1942), H. Mercier (1937), entre autres. Ce sont des textes de
nature diverse : des recueils des différents genres de la littérature orale amazighe :
contes, poésies, formes courtes (proverbes et devinettes), des descriptions des us et
coutumes des communautés productrices, des conversations, etc.
Considérons de près les textes recueillis par É. Laoust (1949). Ils relèvent d’un
seul genre : les contes du Maroc. Deux volumes : le premier est consacré aux
contes, le second à leur traduction et annotations. Le premier volume commence
par un avertissement1 suivi de la transcription. L’auteur y fournit différentes
informations qui touchent :
- le classement des contes, fondé sur l’« intérêt folklorique : ils comprennent
des contes d’animaux, des contes plaisants, des contes merveilleux et des légendes
hagiographiques » ;
- l’annonce du contenu du deuxième volume, le nombre de textes (140
contes) ;
- les sources : les aires linguistiques de ces textes (« groupe Beraber-Chleuh »)
sont indiquées avec précision des parlers du groupe de chaque région : le domaine
du tachelhit « chleuh » et celui du tamazight « braber ». L’auteur donne le nombre
de textes recueillis par parler. Ce souci apparaît au niveau des textes qui sont
1 Émile Laoust, 1949, « Avertissement », in Contes berbères du Maroc. Vol. I - Textes berbères.
Vol. II - Traduction et annotation, Publications de l’Institut des Hautes Études Marocaines, Réédition
en 2012 par la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat et Institut Royal de la Culture
Amazighe, Série : Les Trésors de la Bibliothèque, n° 13, p. v.

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suivis, chacun, d’une note où figure le nom de l’informateur, du village et de la
tribu, et même la date de la collecte pour certains textes. Exemple :
- « Dicté par Allal ben Driss, des Ayt Ouahi, Zemmour, le 30 novembre 1922 ».2
- Une revue de littérature des références est donnée pour chaque groupe
linguistique, afin que le lecteur ait connaissance des « particularités dialectales » de
chaque variante, aux niveaux phonétique, morphologique, syntaxique et lexical. É.
Laoust ne manque pas de signaler ses propres travaux à consulter.
Outre l’avertissement qui prépare le terrain à la découverte des textes, É.
Laoust3 fournit « le système de transcription adopté ». Il est formé de 58 sons, en
plus de la notation des voyelles brèves (3), des voyelles longues, bien que
« rarement notées » et des voyelles nasalisées. C’est un système qui tend à rendre
compte de toutes les latitudes de prononciation des sons des groupes linguistiques
auxquels appartiennent les textes. À titre d’exemple : pour le phonème /l/, trois
réalisations sont données : l (dental), l emphatisé et ly palatalisé. Il en est de même
pour toutes les nuances phonétiques des voyelles. C’est dire le souci de l’auteur de
restituer, dans la limite du possible, les réalisations phonétiques propres à chaque
parler en notant même l’allongement et la nasalité quand ils se réalisent, alors qu’il
est souvent affirmé que ce sont des phénomènes marginaux en amazighe.
Le deuxième volume commence également par une introduction intéressante de
six pages, où sont livrées plusieurs informations (sur les régions et les habitants des
montagnes qui ont produit les textes, l’histoire de ces contrées, les travaux
effectués par d’autres berbérisants, des mises au point…). É. Laoust situe aussi ces
textes par rapport à ceux déjà collectés :
« Nos récits n’apportent rien d’inédit à la connaissance des folkloristes. Ce sont en
général des versions nouvelles, en dialectes différents, de contes connus, recueillis
par de nombreux berbérisants, dont R. Basset, Stumme, Rivière, Mouliéras,
Destaing, Biarnay, pour ne citer que les disparus ».4
Le volume comprend une bibliographie qui précède les textes traduits et
annotés. Ainsi, les textes recueillis par É. Laoust sont assortis de toutes les
explications et informations nécessaires pour rendre leur lecture accessible, aisée et
exploitable. Par ailleurs, ils sont inscrits dans les préoccupations et les courants de
l’époque, la première moitié du siècle dernier. L’auteur ne manque pas de signaler
ce qu’ils apportent par rapport aux textes antérieurs.
2 Idem, 5.
3 Idem, vii.
4 Idem, x.

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
b. La période post indépendance
Comparée à l’ère précédente, la période post indépendance laisse à constater un
certain ralentissement en matière d’engouement pour la collecte. Celle-ci est jugée
de moindre importance par rapport au travail d’analyse inscrit dans un cadre
théorique déterminé. En revanche, la problématique du passage de l’oral à l’écrit et
le caractère réducteur de la fixation par l’écrit de la production orale sont des
thématiques récurrentes.
Nous n’avons trouvé meilleur texte représentatif de cette époque que celui de P.
Galand-Pernet (1972) : Recueil de poèmes chleuhs I. Chants de trouveurs.5 La date
de parution de l’ouvrage est importante dans l’histoire des études berbères d’après
l’indépendance : l’avènement de travaux académiques sous forme de thèses, de
mémoires en linguistique notamment ; mais aussi en littérature, inscrits dans les
courants de linguistique et de littérature de l’époque, ou d’inspiration linguistique
(le structuralisme en particulier). P. Galand-Pernet marque ainsi une transition
entre la première époque et celle des années 1970, caractérisée par l’enthousiasme
manifeste pour la linguistique et son application dans d’autres champs
disciplinaires (dont la littérature).
Contrairement aux textes de É. Laoust, le recueil de P. Galand-Pernet combine
texte, traduction et annotations. « Chaque poème est présenté avec traduction en
regard »6 avec affectation du même numéro au vers et sa traduction ; de sorte que
l’on puisse lire aisément le texte et sa traduction simultanément. Les notes (pp.
132-298), d’une grande richesse, car elles portent sur tous les aspects (linguistique,
sémantiques, biographique, traductions littérales évitées dans les traductions libres
des textes pour ne pas les encombrer…), constituent plus de la moitié de
l’ouvrage :
« Ces notes discutent de l’établissement du texte, notamment en cas d’audition
difficile, indiquent les variantes proposées par l’auteur ou connues par d’autres
commentateurs, et donnent des explications grammaticales ou lexicales ».
7
Par ailleurs, une introduction d’une quinzaine de pages fournit toutes les
indications nécessaires pour accéder à la lecture et à la compréhension des poèmes
qui composent le recueil. Aussi P. Galand-Pernet commence-t-elle par le plus
général, à savoir le lieu de provenance des chants, le « Pays chleuh » (les limites
géographiques, l’émigration…), région où sont produits les textes choisis, puis « le
problème de la langue berbère » caractérisée par la diversité, « le sentiment
linguistique » chez les tachelhitophones, la question de l’existence d’une langue
5 Paulette Galand-Pernet, 1972.
6 Idem, 21.
7 Idem, 22.

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littéraire « une langue commune aux chleuhs, c’est le chleuh littéraire ».8 L’auteur
donne ensuite une revue de littérature sur les textes poétiques collectés
antérieurement, leurs sources, les caractéristiques (les limites des textes collectés,
le problème de la notation pas toujours minutieuse).9 Elle arrive enfin au corpus du
« Recueil de poèmes chleuhs » : comment a-t-il été constitué ? Par quels
informateurs ? Le lieu, la période, les séances de travail avec les professionnels
pour vérifier les textes, les interpréter et les commenter.
Il importe de signaler que P. Galand-Pernet accorde une importance capitale au
regard de l’autre, le compositeur pour les chants auxquels elle s’est intéressée :
« Une fois établi, chaque texte a été soumis d’abord à l’examen du compositeur, ou,
en son absence, à celui d’un autre compositeur : un commentaire professionnel est
précieux, car le trouveur, même s’il n’est pas le compositeur du chant qu’on lui
demande d’observer, sait le regarder comme un architecte regarde un édifice… ».10
L’introduction, qui est en fait une étude globale, traite également de « la langue
de la poésie chleuh » sentie par les locuteurs comme étant une langue poétique
différente de la langue usuelle. Pour l’auteur
« La langue poétique peut utiliser dans un même texte, en variantes libres par
exemple, la particule d’aoriste intensif ar et la particule da, qui ne se trouvent que
dans des parlers différents, ou bien, si elles se trouvent dans un même parler, sont en
distribution complémentaire… ».11
Il va sans dire que P. Galand-Pernet a mis le point sur la standardisation intra
dialectale qu’opèrent les chanteurs ambulants (rways), laquelle constitue un trait de
la littérarité. Le lecteur est ainsi préparé à lire et à apprécier la production de textes
poétiques qui lui sont offerts.
L’introduction se termine par le « Système phonologique et [la] transcription ».
L’auteur commence par signaler que :
« Le système phonologique de la poésie chleuh est celui que l’on retrouve dans
l’ensemble des parlers chleuhs ».12
C’est le système fondamental ou de base qui repose sur l’analyse phonologique
d’inspiration fonctionnaliste (A. Martinet). Des informations sont données sur les
8 Idem, 11.
9 Idem, 13.
10 Idem,16.
11 Idem, 17.
12 Idem, 18.

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
différents processus phonologiques du tachelhit et sur la notation choisie par
l’auteur, à savoir une transcription à tendance phonologique, sans notation du e
muet.13 P. Galand-Pernet signale qu’elle a suivi la transcription en vigueur chez les
« berbérisants et les arabisants français », laquelle constituera, par la suite, la
notation usuelle développée par les linguistes berbérisants dans l’esprit d’une
notation commune des données de l’amazighe. L’auteur informe également sur la
traduction qui accompagne systématiquement les vers, en passant de la
présentation dans l’espace textuel, aux problèmes de la traduction, aux solutions
retenues par l’auteur pour rester fidèle aux textes, entre autres.
L’on retrouve ainsi, dans l’introduction du Recueil de poèmes chleuhs, toute la
rigueur scientifique reconnue de P. Galand-Pernet en tant que chercheur qui a une
connaissance fine de la variété linguistique des textes poétiques présentés « … des
textes que j’aime pour avoir tant d’années essayé d’en trouver l’accès »,14 de la
problématique et du souci de rendre les textes tel qu’ils sont chantés, tâche qui n’est
pas aisée, d’où la masse d’informations importantes par lesquelles s’ouvre l’ouvrage.
En comparant É. Laoust (1949) et P. Galand-Pernet (1972), l’on ne peut que
constater que cette dernière marque une autre orientation dans la collecte des
textes. Elle l’affirme :
«… cette édition est avant tout un ouvrage de travail, destiné à des
spécialistes… ».15
Ce qui fait du recueil de textes de P. Galand-Pernet un ouvrage de référence des
points de vue rigueur de la collecte, qualité de la notation, des annotations et du
contexte sociolinguistique, littéraire, esthétique donné en introduction. Le système
phonologique lui-même dénote tout un travail d’investigation sur la phonologie du
dialecte tachelhit : il est doté d’un système commun aux différentes variantes qu’il
renferme, lesquelles se distinguent par des réalisations locales que les poésies des
trouveurs tendent à neutraliser.
Ainsi, si le travail de É. Laoust s’adresse aux folkloristes de l’époque, celui de
P. Galand-Pernet a pour cibles les chercheurs rompus aux disciplines des années
1970, dont la linguistique notamment.
c- La fin du vingtième siècle et début du vingt et unième siècle
Le troisième texte choisi dans cette étude est dû à M. El Ayoubi (2000), Les
merveilles du Rif. Contes berbères ; un travail venu une trentaine d’années après
13 Idem, 20.
14 Idem, 2.
15 Idem, 21.

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celui de P. Galand-Pernet. L’objectif en est de voir comment sont effectuées les
collectes de textes par de jeunes chercheurs maghrébins, à la fin du vingtième
siècle et début du vingt et unième. Le choix de cet ouvrage s’explique également
par le fait qu’il est consacré aux contes tout comme celui de É. Laoust (1949), avec
un intervalle de cinquante ans.
Voici quelques traits de l’ouvrage en question. Le titre oscille entre le régional « les
merveilles du Rif » et le global ou le pan-berbère : Contes berbères. Son introduction
(18 pages) est consacrée à la présentation du corpus, à la biographie de la conteuse-
informatrice, au pays et au parler des Ayt Weryaghel, langue des contes présentés, et
au système de transcription assorti des remarques. La bibliographie comporte
foncièrement des ouvrages de linguistique et des travaux sur la littérature berbère. Les
ouvrages de É. Laoust (1949) et de P. Galand-Pernet (1972) n’y figurent pas.
Parmi les informations importantes données :
- La provenance des contes, en l’occurrence la région natale de l’auteur :
« Il s’agit surtout de contes que j’ai collectés et enregistrés sur cassettes au cours de
la période allant de 1990 à 1997 dans le pays Ayt Weryaghel (ayt Wayaγer), ma
région natale, auprès de ma conteuse préférée Faṭima n Mubhrur, une rifaine,
monolingue, analphabète, âgée de 89 ans, originaire des Ayt Hdifa » (p. 11).
L’auteur enquête donc sur sa propre culture, la voix qui a transmis les textes est
une voix rifaine. Cette voix a un visage, dévoilé par la photo (p. 16) de la conteuse
qui a su garder les « merveilles du Rif ». Une biographie de trois pages met en
exergue « l’histoire d’une simple femme rifaine, [qui] nous amène à comprendre la
situation politique et socioculturelle de la région des Ayt Weryaghel... » (p. 19).
- Une présentation du corpus de contes avec un aperçu sur « les thèmes de ces
contes [qui] sont universellement connus » (p. 12).
- Les lecteurs visés par l’ouvrage : « les chercheurs qui s’intéressent à la
culture berbère, en général, et à celle du Rif en particulier. Il peut constituer un
outil de travail précieux, notamment aux linguistes berbérisants pour former un
lexique de base répondant aux normes scientifiques… » (p. 14).
- Les caractéristiques du pays et du parler des Ayt Weryaghel (avec une carte,
p. 23). El Ayoubi a notamment insisté sur les propriétés phonologiques et
phonétiques fort importantes pour un travail de collecte transcrit. Comme pour les
deux autres ouvrages, El Ayoubi donne le système de transcription adoptée, en
précisant que la notation « dans cet ouvrage a un caractère scientifique. Elle est
d’inspiration phonético-phonologique ».16 Par caractère scientifique s’entend la
16 V. dans la même page la note (1) qui signale, parmi les référence, les propositions de la table
ronde organisée à l’Université de Tilburg autour la standardisation de l’écriture berbère du tarifit
(Idem, 27).

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
notation usuelle commune aux linguistes berbérisants depuis 1996, ainsi que les
efforts faits par certains jeunes linguistiques et par les associations culturelles pour
standardiser l’écriture de la variante tarifit. Les différents contes qui constituent le
recueil sont transcrits d’une manière étroite : notation des allongements
compensatoires, du spirantisme,… dans le respect de la variante linguistique dans
laquelle ils sont produits.
- Les 15 contes, qui sont assez longs (jusqu’à 12 pages), sont suivis de leur
traduction systématiquement , page de gauche : texte en tarifit, page de droite :
traduction en français.
Ainsi, à l’instar des prédécesseurs, le recueil de contes de M. El Ayoubi est
accompagné des informations requises pour que leur lecture soit accessible, leur
reproduction en tant que textes authentiques possible. Les précisions données
traduisent les préoccupations de l’auteur, qui sont celles de la génération des jeunes
maghrébins des années 1990 et qui se poursuivent de nos jours : la conservation du
corpus de la langue et la standardisation ou l’unification de l’amazighe, d’une
manière progressive, en commençant par son système d’écriture et en adoptant une
démarche « scientifique » : l’approche linguistique.
2. L’époque actuelle : la collecte institutionnelle
La première décennie du XXIe siècle et les débuts de la deuxième décennie
pourraient être considérées comme une époque qui marque une étape importante
dans l’histoire de l’amazighe et de sa culture, d’une manière générale, du moins au
Maroc : la création de l’IRCAM, l’introduction de l’enseignement de l’amazighe
dans le système scolaire marocain et l’officialisation de la langue amazighe en
2011. L’IRCAM a consenti un grand effort dans la collecte du corpus de la
langue17 ayant abouti à la publication de plusieurs textes de différents genres :
contes, proverbes, devinettes, poésies, entre autres. À titre d’exemple, l’Anthologie
de la poésie amazighe18 (timstiyin n tmdyazt tamaziγt) publié par l’IRCAM en
2011, choisi comme quatrième texte à comparer avec les autres vus précédemment
dans cette étude.
Cet ouvrage est le fruit d’une collecte menée par différents acteurs auquel
l’institution avait fait appel. Une équipe de chercheurs de l’IRCAM s’était chargée
de la préparation à l’édition de la matière collectée. Voici quelques unes des
caractéristiques de l’ouvrage :
17 La collecte des textes est stipulée dans le Dahir portant création de l’IRCAM (V. article 3,
alinéa, qui dit : « réunir et transcrire l’ensemble des expressions de la culture amazighe, les
sauvegarder, les protéger et en assurer la diffusion »).
18 Le titre est donné en tifinagh, en arabe et en français.

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- Comme l’indique le titre, c’est une sélection des meilleures pièces poétiques
en amazighe collectées les premières années de création de l’IRCAM (depuis
2003). L’ouvrage comprend trois parties intitulées ainsi : les poésies du Nord
(timdyazin n yiẓẓlmḍ), les poésies du Centre (timdyazin n wammas) et les poésies
du Sud (timdyazin n yiffus). Le répertoire de chaque variante régionale du Maroc
est classé selon les genres poétiques connus. Pour le Nord (zone du tarifit) par
exemple : lalla buya, tiqssisin, izlan n ujahd, zzhid. Pour le Centre (zone du
tamazight) : izlan, afrradi, tamawayt…, pour le Sud (zone du tachelhit) : anεbar,
aqsid, tazrrart, tasuγant... Chaque partie comporte une petite introduction sur les
caractéristiques générales de la région et sur ses productions poétiques. L’ouvrage
comporte également une petite bibliographie et une présentation générale de trois
pages.
- L’ouvrage est écrit en alphabets tifinagh et latin, selon le système d’écriture
développé par l’IRCAM : trente trois (33) phonèmes de l’amazighe standard avec
restriction de l’emploi du e muet à des contextes spécifiques, application des règles
d’orthographe et de segmentation adoptées par la même institution. Des notes
explicatives sont données quand c’est nécessaire.
- Les textes ne sont pas traduits. Il est signalé, dans la présentation, qu’une
traduction est prévue ultérieurement pour une large diffusion et exploitation des
textes. Dans la présentation, on relève ce qui suit :
l’anthologie en question est le produit d’un travail ayant associé les
chercheurs de l’institut et des collaborateurs externes chargés de la collecte
du patrimoine oral d’expression amazighe ;
elle a des objectifs didactiques, en étant destinée, en premier, aux
enseignants de l’amazighe, mais également aux chercheurs.
Il va sans dire que cette anthologie se distingue nettement des trois premiers
textes qui ont été présentés (É. Laoust, P. Galand, M. El Ayoubi).
Si différents moyens sont employés par leurs auteurs pour en faciliter la lecture,
en les plaçant dans leur contexte général, en les inscrivant dans la lignée des textes
qui existaient déjà, rien de tel avec l’Anthologie de la poésie amazighe. Elle est
éditée en graphie tifinagh, alphabet qui est nouveau pour un certain lectorat ;
aucune indication sur le système phonologique employé, les caractéristiques de la
transcription, le tableau des graphèmes et leurs correspondants, entre autres.
Aucune référence non plus aux travaux dont la lecture est primordiale pour faciliter
la lecture des textes poétiques. É. Laoust, comme nous l’avons vu, renvoie le
lecteur aux travaux à consulter pour pouvoir lire les contes présentés ; P. Galand-
Pernet, de même, a fourni une revue de littérature où elle a mis en exergue les
apports et les limites des collectes des prédécesseurs, montrant ainsi l’apport de son
travail. L’IRCAM a produit plusieurs travaux ayant porté sur la normalisation de la

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral
langue amazighe (grammaire, manuels, lexiques…) dont la consultation est
nécessaire pour lire un ouvrage tel que cette anthologie qui regroupe, par ailleurs,
plusieurs productions poétiques de grands poètes contemporains de renom, à
l’échelle des trois grandes aires linguistiques.
Il est à remarquer également qu’une terminologie nouvelle est employée. Elle
apparaît au niveau du titre de l’ouvrage par l’emploi de tamdyazt, de l’appellation
des aires dialectales,… sans qu’il y ait de glossaire.
Il est notoire qu’un grand effort est fourni dans cet ouvrage pour sortir un
produit nouveau qui se démarque des précédents en s’inscrivant dans une autre
logique, un autre processus, une autre perspective pour l’amazighe (et non le
berbère) en tant que langue unifiée, exprimant son unité par ce qui se manifeste au
premier abord : la graphie. S’ensuit la normalisation du lexique entamée par une
nouvelle terminologie pour les concepts, de nouvelles dénomination pour les aires
linguistiques, entre autres.
Conclusion
De la présentation des quatre textes représentatifs, chacun, d’une période de
l’amazighe, en l’occurrence É. Laoust (1949), P. Galand-Pernet (1972), M. El
Ayoubi (2000), et l’Anthologie de la poésie amazighe de l’IRCAM, l’on peut
retenir ce qui suit :
- Le souci de la collecte et de la constitution de corpus du texte oral a marqué
toutes les époques et ce depuis les premières études sur l’amazighe. Ce qui a donné
une importante documentation en termes de données, certes d’intérêt variable selon
les auteurs, leur formation et les objectifs de la collecte.
- Chaque texte reflète les préoccupations de son époque. Si le texte de É.
Laoust s’adresse d’abord aux folkloristes, celui de P. Galand-Pernet vise les
chercheurs des années 1970 ouverts sur les différentes disciplines l’époque. Celui
de M. El Ayoubi traduit les préoccupations intellectuelles des jeunes berbérisants
maghrébins des années 1990 soucieux de travailler sur leurs propres variantes
linguistiques, dans l’objectif de fixer par l’écrit une production orale en danger de
déperdition ; mais aussi dans la perspective d’unifier l’amazighe dans sa diversité,
du moins au niveau du système d’écriture (la transcription et la segmentation),
comme préalable pour un statut meilleur.
- L’anthologie de l’IRCAM se place d’emblée dans la nouvelle ère de l’amazighe,
avec le statut de langue nationale (l’époque de la collecte des données de l’ouvrage),
puis de langue officielle depuis 2011, date de la parution de l’ouvrage. L’utilisation de
la graphie tifinagh, l’absence de traductions, l’emploi d’une nouvelle terminologie (les
nouvelles dénominations des aires linguistiques, par exemple) et la consignation du
mot amazighe en sont une parfaite illustration. Le mot même d’anthologie est

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significatif : il implique une autre perspective, un nouveau public, les enseignants de
l’amazighe comme c’est indiqué dans la présentation. L’amazighe est désormais dans
le système éducatif, des textes doivent être sélectionnés, préparés et présentés dans
ce sens.
L’on sent, toutefois, dans cette anthologie, le souci de cibler un public plus
large par l’utilisation d’une deuxième graphie pour les mêmes textes de l’ouvrage:
les caractères latins. L’amazighe interpelle, outre les enseignants, tous les acteurs
toutes spécialités confondues : chercheurs, créateurs, producteurs en multi
média…. L’alphabet officiel, le tifinagh, est ainsi accompagné d’un autre alphabet,
pour une exploitation plus large, et partant, une plus grande ouverture.
En définitive, les quatre ouvrages ciblés par cette étude montrent le
cheminement de la collecte des textes de l’approche dialectale des textes berbères
(le berbère dans sa diversité), illustrée par les Contes berbères de É. Laoust et les
poèmes chleuhs (genre d’une aire dialectale) de P. Galand, vers l’approche
« langue » dans une perspective régionale (El Ayoub avec Les merveilles du Rif) ou
nationale ; cette dernière est représentée par l’Anthologie de l’amazighe éditée par
l’IRCAM. L’on passe ainsi des dialectes à la langue commune, le « standard » dont
les éléments manifestes sont la graphie et la terminologie.
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par Harry Stroomer in Berber Studies Vol. 18 sous le titre : Textes berbères
du Maroc central. Textes originaux en transcription, Rüdiger Köppe Verlag,
Köln.
ABSTRACT
Oral production, in all its forms and genres, is the first expression of Amazigh
(Berber) language and Culture in their diversity; hence the interest that was granted to
them since the last century. The transition from the culture of oral to written very early
attracted the attention of local researchers berbérisants as was proved by different
approaches and proposals. Now, with the new status of the Amazigh as an official

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53
language in Morocco, and advanced process of standardization and integration in the
educational system, the problem of standardizing the oral text arises from several
angles including the standardization of transcription of the available oral corpus and
management of linguistic variation in the light of graphics and lexical standards
proposed.
This paper attempts to understand this issue from consideration of some
experiences of standardization of oral literature text.

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Enjeux et dilemmes de la standardisation du texte oral

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ANNA MARIA DI TOLLA
La littérature orale berbère.
La narration des contes du Sud-Est marocain
Le problème de la littérature orale berbère fait partie d’une perspective plus
large de la recherche. Dans cette perspective, on s’intéresse à l’étude des
changements culturels et sociolinguistiques en Afrique du Nord, et notamment au
Maroc.
Ces changements ont touché les fondements de la société maghrébine. On peut
citer à titre d’exemple, les derniers événements qui se sont produits en 2011, en
particulier, l’officialisation de la langue berbère. Ils ont marqué la fin d’un siècle
qui a commencé avec l’indépendance.
Les Berbères sont les acteurs de ces changements grâce à leur résistance et à
leur attachement à leur identité. Ils ont préservé les anciennes formes de leur
production culturelle.
L’étude de la littérature orale berbère est un domaine d’analyse particulièrement
intéressant dans le contexte de la production culturelle. Un nouveau concept
d’identité berbère est nécessairement fondé sur les liens entre la préservation et la
défense de la mémoire culturelle. Toutefois, la question sous-jacente à l’identité de
l’Afrique du Nord est liée à son appartenance africaine, méditerranéenne et arabo-
musulmane. Dans cette triple identité, il y a la dimension berbère.
Dans la production orale, de nombreux points de convergence et d’intersection
entre les cultures avec lesquelles les Berbères ont été en contact, sont évidents,
mais ne se produisent pas toujours de façon linéaire.
Notre contribution porte sur une recherche de quinze contes berbères recueillis
auprès des Ayt Khebbach, dans la région du Tafilalt au Sud-Est du Maroc. Notre
étude se veut, avant tout, une description analytique des divers aspects du contenu
et de la structure des contes.1 Le premier objectif est de situer les textes recueillis
1 Anna Maria Di Tolla, 2012, Awal n Imazighen. Itinerari narrativi nella letteratura orale
berbera del Marocco: problematiche e prospettive, Università degli studi di Napoli “L’Orientale”, Il
Torcoliere, Napoli, 340 p.

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La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain
dans le contexte de la littérature orale marocaine. Le deuxième objectif de rendre
intelligible notre corpus. L’analyse des contes a été opérationnelle à partir de deux
perspectives : l’approche sémio-narrative et l’approche anthropologique.
Nous ne prétendons pas, dans le cadre de cette communication, d’analyser la
littérature orale de cette région et la totalité des contes, mais de donner, dans un
premier temps, un aperçu sur quelques éléments de la production en tamazight et
de décrire très brièvement le corpus des contes analysés, et dans un deuxième
temps, d’analyser quelque catégorie-clé permettant de comprendre la structure du
sens des récits. Enfin, l’examen des contenus des contes nous conduira à conclure
sur une réflexion concernant les changements et les innovations concernant
l’oralité berbère, en particulier, et africaine, en général.
La production en tamazight
L’un des premiers travaux sur les contes du Tafilalet publié, à ma connaissance,
est l’étude par Maxence de Rochemonteix, (1889).2 De nombreux textes dans la
variante tamazight du Sud-Est marocain sont transcrits et publiés pendant la période
coloniale et sont, souvent, pour la plupart, publiés mélangés avec des textes en tachelhit
vu la proximité socioculturelle et linguistique des deux variantes. Ce sont des contes,
des textes ethnographiques, des proverbes et des devinettes qui se trouvent annexés aux
grammaires ou dans les publications concernant l’étude de la langue.3
La plupart de ces publications sont des recueils qui présentent les principales
caractéristiques du conte, même si l’idée de la narration orale berbère est limitée,
il n’y a pas de données d’observation, mais ce sont une mine de renseignements.
R. Basset, par exemple, publie en 1887, les Contes berbères populaires et en
1897 Les nouveaux contes berbère ;4 Laoust, quant à lui, a commencé son travail
de collecte en 1913 jusqu’à environ 1920. Ces auteurs ne faisaient pas attention
au contexte, aux narrateurs et à l’analyse des textes littéraires. À l’époque, la
principale préoccupation était la préservation des traditions anciennes et la
préservation de la culture. Dans tous les cas, ces travaux sont difficiles à étudier
sur le plan stylistique et littéraire, mais ils fournissent un certain nombre de
données concernant, par exemple, les circonstances de la performance (dans de
nombreux contes, sont donnés les noms des narrateurs ou conteurs). Dans la
plupart des cas, il existe aussi des formules d’ouverture et de clôture qui
indiquent l’endroit où l’histoire a été racontée et recueillie. Néanmoins, il est
2 « Documents pour l’étude du berbère : Contes du Sous et de l’Oasis de Tafilelt », in Journal
Asiatique, 8/13, 198-228 ; 402-27.
3 Voir Bibliographie : Quelques publications sur les contes berbères du Sud marocain.
4 René Basset, 1887, Contes populaires berbères recueillis, traduits et annotés, Leroux, Paris.

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difficile de classer ces histoires dans un genre spécifique en raison des conditions
dans lesquelles elles ont été collectées.5
Pour notre étude, cependant, ces recueils ont été fondamentaux. Ils constituent
des références intéressantes que nous avons exploitées, en plus des autres contes
déjà publiés jusqu’à aujourd’hui et que nous avons pu trouver au cours de nos
propres recherches.
La littérature orale des Ayt Khebbach : corpus
Le corpus composé d’enregistrement de contes narrés a été recueilli lors de
plusieurs enquêtes effectuées sur la langue tamazight, dans la région du Tafilalt
durant la période 2002/2010.
Le travail de collecte et de traduction a nécessité de fréquents séjours au
Tafilalet, plus précisément à Rissani et dans les qsur environnants : les récits ont
été recueillis soit en situation, à l’occasion de fêtes, soit en situation de confiance
dans un échange en aparté avec une personne (femme ou homme), qui a accepté de
nous recevoir. Afin de préserver le caractère authentique de ces rencontres, le
magnétophone a été introduit de manière progressive. La transcription et la
traduction ont été effectuées dans le respect des normes linguistiques et culturelles
de la langue berbère.
La littérature orale des Ayt Khebbach se compose d’une variété de formes :
contes, poèmes, chants de mariage, proverbes, devinettes, énigmes et anecdotes. Le
conte, en particulier, apparait intrinsèquement lié à son ensemble culturel et
linguistique d’origine, aux pratiques et codes culturels, discursifs et esthétiques
(système de valeurs et de genres, ressources langagières, littérarité des textes,
règles et modes spécifiques d’énonciation, etc.). Le récit se distingue par une
certaine naïveté et simplicité, caractéristiques d’une spontanéité rare. Traitant de
sujets variés en rapport avec le quotidien des gens, ces récits populaires ne
sauraient être classés dans une typologie particulière.
Nous nous sommes donc interrogés sur la manière dont le conte peut continuer
à faire sens dans la langue de l’autre, sans perdre sa spécificité. Transmettre un
conte ne peut se faire, en effet, sans la prise en compte d’un système de valeurs et
de considérations socio-culturelles.
5 Voir la contribution dans ce volume de Fatima Boukhris, Enjeux et dilemmes de la
standardisation du texte oral.

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La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain
La structure du sens : entre l’acte de narration et le contenu du récit
La question fondamentale de l’analyse est de rendre explicite l’ensemble des
données latentes contenues dans les textes oraux, en d’autres termes, de saisir la
structure du sens.6 L’analyse des différentes fonctions du conte nous permet de
comprendre l’organisation de la société berbère traditionnelle. Les contes recueillis
auprès des Ayt Khebbach décrivent, presque tous, leur vécu au quotidien.
L’analyse des champs sémantiques nous permet de mettre en évidence la
relation qui existe entre le contenu et le texte narratif pour reconstruire la structure
de sens. Celle-ci, tout en étant fondamental à la compréhension du conte, n’est pas
suffisante pour reconstruire le sens des textes mais nécessite une analyse plus fine.
Les différents traits sémantiques tissent, au sein de chaque conte et entre les
différents textes, des significations subtiles.
Présentation de quelques thématiques-clés
Du point de vue pratique, l’analyse s’est déroulée comme suit : une première
lecture de ces textes a permis de mettre en relief des thématiques récurrentes. Les
thématiques dégagées sont par exemple les traditions : ayna i zriyen imezwura ;
l’autorité parentale : l|aq n lwaldin ; la parenté de la mariée : ayt uqayḍun ; le
mariage : tamγra ; le sens d’honneur : lεarad ; etc.
L’analyse des champs sémantiques a permis de mettre en relief les relations
existantes entre les différentes thématiques et par là-même de reconstituer la
structure de surface du sens qui ne nous permet pas de comprendre la structure
profonde au sens chomskyen du terme. Le noyau thématique de ces contes se
caractérise par une imbrication complexe entre les éléments de la logique
traditionnelle (les Ancêtres, les hommes d’honneur) et un discours novateur
référant à l’universalité, à la modernité, de portée nationale voire universelle. Le
discours de ces contes repose sur un réseau d’images mythiques propres à la
symbolique du monde berbère (la présence des hommes d’honneur dans le mariage
traditionnel, le don de la vache comme dot, le sacrifice du bœuf, l’importance des
os magiques, le monde surnaturel…).
Le monde du quotidien et l’univers familial
Comme le langage, la parenté est un système de communication. Elle ne se
développe pas spontanément à partir d’une situation de fait, mais comme un
6 Il n’est pas possible, pour une question d’espace de traiter de la question méthodologique (Voir
Anna Maria Di Tolla, 2012, op.cit.).

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système arbitraire de représentations : ce n’est pas une modalité biologique, mais
une alliance. Les règles du mariage assurent la circulation des femmes au sein du
groupe social et remplacent ainsi un système de relations consanguines d’origine
biologique par un système sociologique d’alliance.7 Pour des raisons historiques,
les liens qui sous-tendent la famille en tant qu’institution traditionnelle ont été
rompus. L’étude de ces recueils de contes amazighs révèle l’existence de
nombreuses caractéristiques qui renvoient à une spécificité culturelle. La conteuse
ou le conteur adoptent le registre de langue de leur auditoire, lequel ne s’attache
pas aux descriptions détaillées. Les circonstances de ces performances n’ont
malheureusement laissé que peu de traces.
Ces contes sont étudiés selon une approche des contenus fondée sur la
comparaison des différentes variantes d’un même récit tels que transcrits dans des
recueils. Toutefois nous devons signaler que certaines variantes des anciens contes
amazighs du Maroc se retrouvent dans de nombreux récits populaires recueillis
récemment. Cette présence montre bien que ces thèmes font partie de la tradition
marocaine arabophone ou amazighophone.8
Les textes que nous étudions, en l’occurrence les contes du Maroc central et du
Sud, ne constituent qu’une infime partie de l’ensemble des recueils amazighs. Mais
ils sont représentatifs en raison de leur richesse sur le plan linguistique, narratif et
thématique. Il n’est pas possible de connaître les circonstances et les modalités de
production de ces contes recueillis depuis presque un siècle. Nous pouvons
toutefois les examiner avec un regard particulier, celui que l’on peut porter sur les
personnages et les événements qui renvoient au quotidien et au monde familial. En
partant de là, on peut déterminer les principes d’un imaginaire original et
spécifique qui survit dans les contes racontés aujourd’hui et qu’on a recueilli sur le
terrain dans la région du Tafilalt.
La famille traditionnelle
La famille patriarcale, et, plus spécialement, les relations entre la mère, le père
et les enfants, constitue un des axes de la culture traditionnelle amazighe en
particulier et des pays de la Méditerranée en général. Dans de nombreux contes, la
situation initiale décrit une famille heureuse : le père, la mère et les enfants
(souvent un garçon et une fille). Chez les Ayt Khebbach de Merzouga, à quelques
kilomètres de la ville de Rissani, un proverbe dit : inkkin ! εeḍ d ayt taddert ayt
7 Anna Maria Di Tolla, 2010, « Aspects de l’univers familial à travers quelques contes
marocains », in Awal. Cahiers d’Études Berbères, n. 40/41, 107-120.
8 Voir Bibliographie : Quelques publications sur les contes berbères du Sud marocain.

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tiyan « pour moi, l’honneur c’est ma famille ».9 Auprès des nomades, la famille est
désignée par ayt uqayḍun « ceux de la tente ». Les relations parentales auprès des
Ayt Khebbach et probablement ailleurs aussi sont, en tamazight, qualifiées de
ašqiq (pl. išqiqn) « les frères ou les sœurs de sang ; frères du même lit »10, ašĕqquf
(pl. išqqufn), « demi-frère, frère de mère ou de père »11 et ašrek (pl. ištiken)
« associés »12 (ce terme existe aussi en kabyle).13 En tamazight et en chleuh, les
termes qui traduisent « famille » sont lahl, « famille, parenté, parenté d’une
femme »14 ; ayt uxxam, litt. « ceux de la tente » ; lwaldin/lwaldayen, « parents (le
père et la mère) » ;15 iqḍiεn « groupe, troupe ».16
Le mariage est dans les contes un des thèmes parmi les plus récurrents et il
représente souvent la conclusion des problèmes posés dans la trame du récit. C’est
la plus importante de toutes les étapes de la vie, sans doute parce que le mariage a
pour fonction de réaliser une alliance entre familles et entre groupes. Il constitue
également le point de passage pour accéder à un statut social autant désiré par les
hommes que par les femmes. Le mariage est considéré comme un facteur
d’équilibre et de stabilité dans les relations sociales et interpersonnelles. Dans
certains contes, les héros sortent de la pauvreté qui touche la famille grâce à des
manifestations surnaturelles : l’outil nourricier (moulin) qui relaye le travail
journalier et cyclique et qui assure la subsistance à la famille, un animal qui donne
de l’or (âne) pour soutenir l’ouvrier qui peine avec patience et soumission pour un
peu de richesse.17
Le remariage du père est justifié par la nécessité, non d’une épouse, mais d’une
mère pour ses enfants.18 La marâtre est souvent représentée comme une méchante
femme qui maltraite les enfants d’une première épouse et favorise les siens. Le
père se garde d’intervenir et la laisse faire, allant même jusqu’à abandonner ses fils
sous la pression de la marâtre. Selon l’interprétation de Geneviève Calame-Griaule
à propos des contes oraux des Isawaghen du Niger, la marâtre tient la place de la
véritable mère des héros ou des héroïnes :
9 Marie-Luce Gélard, 2003, Le pilier de la tente, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme,
Éditions Ibis Press, Paris, 105.
10 Miloud Taïfi, 1991, Dictionnaire Tamazight-Français, L’Harmattan/Awal. Cahiers d’Études
Berbères, Paris, 701.
11 Ibidem.
12 Miloud Taïfi, op. cit., 706.
13 Camille Lacoste-Dujardin, 1970, Le conte kabyle, La Découverte, Paris, 43-431.
14 Miloud Taïfi, op. cit., 220.
15 Idem, 761.
16 Idem, 526.
17 Émile Laoust 1949a, Contes berbères du Maroc. Textes berbères du groupe beraber-chleuh.
Maroc central, Haut et Anti-Atlas, Larose, Paris, XIC.
18 Camille Lacoste Dujardin, 1970, op. cit., 406.

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« car il est plus facile de charger ce personnage aux connotations sociales et
psychologiques négatives de la responsabilité des conflits qui aboutissent au
départ des enfants de la maison familiale pour les dangers d’une quête
initiatique ».19
Des conflits de cultures aux conflits générationnels : L|aq n lwaldin: « la loi
des parents »
L’un des contes les plus intéressants est tamγart ismḍaln « la mule des
cimetières ». Ce conte raconte l’histoire d’une mule de cimetière qui va prendre la
place de la mule du cortège de mariage pour enlever la mariée et la conduire au
cimetière pour la manger. Dans la première séquence, l’histoire nous introduit dans
un environnement inspiré par le mariage traditionnel berbère avec la présence
irremplaçable des imesnayen « les hommes d’honneur ». La légende de la « mule
des cimetières » associe des éléments communs à ceux connus dans la littérature
populaire arabe marocaine qui remontent à une veuve qui n’avait pas respecté les
règles islamiques de deuil (εidda) et de ce fait, s’est métamorphosée en mule
errante dans les cimetières à la nuit tombée.20
Dans ce conte, l’analyse intra-textuelle de l’histoire montre que le rapt de la fille
qui doit devenir femme avec le mariage constitue en réalité un accord tacite qui a
lieu entre les parents et le mulet des cimetières. La mariée (tislit) n’est pas un objet
de valeur en tant que femme. Dans la société patriarcale, en fait, la femme est, en
principe, un élément qui n’a pas de valeur, mais elle a la chance de vivre dans la
famille et de garder sa place à condition qu’elle se plie aux conditions qu’on lui
pose. Si elle vient à transgresser ces règles draconiennes, elle perd sa place dans la
famille d’où elle est chassée. La mère et le père apparaissent donc comme s’ils ne
voulaient pas le bonheur de leurs enfants mais plutôt leur malheur. Les parents
représentent la famille, mais ils sont également le reflet de leur société. Les parents
et la société qui veulent la mort de leur progéniture (fils ou filles) est une forte
indication de perte d’identité. Sur le plan de l’imaginaire, c’est comme si les
parents et la société se métamorphisaient en ogres.
Ce conte contient également une critique du modèle de la famille traditionnelle.
Après la narration du conte, les commentaires de l’auditoire et plus spécialement
des femmes berbères ont été révélateurs de sa signification. D’autre part, le fait
19 Geneviève Calame-Griaule, 2002, Contes tendres, contes cruels du Sahel nigérien, Gallimard,
Paris, 45.
20 Anna Maria Di Tolla, 2008, « Les femmes berbères et l’oralité : les cas des Ait Khabbach du
Tafilalet (Sud-Est du Maroc) », in Acts of International Conference Orality and New Dimensions of
Orality. Intersections in theories and materials in African studies, Leiden, 26-27 November 2004,
Langues O'-INALCO, Paris, 61-80.

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La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain
d’accorder leur fille à la mule des cimetières représente une résistance sous la
forme de vengeance de la part des parents et de la société vers un modèle familial,
indiquant un changement social : plutôt que d’assister à l’évolution sociétale, la
famille préfère symboliquement « tuer » ou « dévorer » ses propres enfants. À
certains égards, cette histoire rappelle le mythe de Médée.
Le sens de l’honneur : lεarad
Le sens de l’honneur est l’un des domaines sémantiques qui se rapporte aux
valeurs du code d’honneur, lequel régie les situations de la vie quotidienne telles
que l’apprentissage des valeurs viriles, de la pudeur et de la vengeance pour les
hommes, le respect des parents, la protection des femmes. Lorsqu’elle accède au
statut de « femme mariée », la femme tmaṭṭut, adopte la parenté de son mari (ayt
uqayḍun). Elle met à l’épreuve son « savoir-faire » et sa capacité à gérer son
ménage. Dans le cas contraire, elle est indigne du modèle véhiculé par les contes.
Les mères, comme dans toutes les sociétés maghrébines jouent un rôle
primordial dans le mariage de leurs fils, y compris dans le choix de l’épousée. La
mère voit cette participation active dans les décisions du mariage comme une sorte
de pouvoir, comme le dit Camille Lacoste-Dujardin pour les femmes kabyles, dont
le père est souvent exclu. Dans la société traditionnelle, malgré la marginalisation
des femmes du pouvoir officiel, celles-ci ont développé une autre forme de pouvoir
ou de contre-pouvoir dans sa fonction de mère, par exemple ou dans l’usage de la
séduction et de la magie, autant de moyens qui équilibrent le pouvoir la puissance
de l’homme.
La hiérarchie des sexes (différence homme/femme) se manifestent également
dans la prise de parole et le langage. Par exemple, dans la société marocaine en
général, l’homme parle de son épouse à d’autres hommes en utilisant le terme
« maison » (taddart) ou le terme générique de « femme » (tmaṭṭut). L’utilisation de
termes génériques « la femme» ou « la maison » connote la volonté d’entrer dans
une relation de distance car toute trace langagière évoquant l’intimité conjugale est
considérée comme un dévoilement de l’espace intime et est perçu comme un signe
de faiblesse masculine. De même les hommes ne doivent jamais exprimer en public
des sentiments pour une femme. Les sentiments d’amour dans les histoires sont
complètement dissimulés et exprimés indirectement par des organes du corps tels
que le foie ou le cœur. Les contes enseignent à cacher les sentiments.
Dans les contes analysés, les héros et les héroïnes sont des adolescents sur le
point de devenir adultes. La cellule familiale traditionnelle y dispose d’un véritable
pouvoir social, puisque, d’une part, elle perpétue les inégalités entre les sexes au
nom de la tradition et, d’autre part, elle oriente l’éducation de l’individu en gênant
à l’extrême la construction de l’autonomie individuelle.

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La culture est utilisée dans les contes comme un point de vue privilégié, surtout
en ce qui concerne le débat autour des valeurs et des mentalités de la société. Les
contes ne sont pas seulement des mots, des expressions et des modèles. Les us et
coutumes qui y sont véhiculés sont transmis de génération en génération par les
conteurs. Bourdieu rappelle les « fonctions habitus » comme la matérialisation de
la mémoire collective, l’expérience d’un rapport pratique au monde, laquelle
traduction suppose elle-même la médiation d'une expérience pratique de
l'immédiateté du rapport au monde.21
Symbolique du monde berbère
Ces contes, par ailleurs très variés, véhiculent un élément fondamental de
l’identité culturelle du Maroc, à savoir celle de l’amazighité. Les concepts de
surnaturel et de merveilleux ne se comprennent que par rapport à la mentalité et
aux attitudes propres à la société berbère. Le merveilleux est indissociable de la vie
réelle. Celle-ci doit composer avec le surnaturel pour être protégée des maléfices
ou pour s’attirer la bonne fortune. Cet héritage culturel est tellement profond que
l’on peut encore le retrouver dans la gestuelle conjuratrice des hommes et des
femmes berbères, lorsqu’ils passent devant le tombeau d’un saint, devant un arbre
sacré ou aux abords d’une source. Il est toujours aussi vivace dans la vie
quotidienne que dans les contes. Les contes développent une vision du monde
berbère par le truchement d’une symbolique :
- les métamorphoses (ogres et ogresses)
- la symbolique du corps : cœur (ul) foie (tasa), os magiques
- la personnification (don de la vache comme dot ; le sacrifice du bœuf, l’arbre
magique).
Les métamorphoses (ogres et ogresses)
Les ogres et les ogresses (lγul, ttergu, tamγa) sont des figures anciennes de
l’imaginaire berbère.22 Les ogres et les ogresses vivent dans des cavernes, dans des
bois touffus ou au fond d’un puits et sont des ennemis de l’homme. Les ogres sont
souvent représentés comme des bêtes sauvages dotées de force extraordinaire
(lions, renards, panthères, etc.). Ogres et ogresses lancent des sortilèges et des
sorcelleries et se métamorphosent selon à leur gré.
Les ogresses sont des jeunes filles mais très souvent elles sont de vieilles
mégères parfois aveugles, tous anthropophages. Le thème de la dévoration des
21 Pierre Bourdieu, 1980, Le sens pratique, Éd. de Minuit, Paris, 11, n. 4.
22 Émile Laoust, 1947, « Des noms berbères de l’ogre et l’ogresse », in Hespéris, 34, 253-65.

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humains dans les contes berbères est complexe et ne relève pas seulement du
domaine de l’imaginaire mais aussi de la réalité socioculturelle des gens ; la
dévoration est liée à l’acte sexuel, à la fécondité, à la stérilité et à la nourriture. Il
semble donc bien que, pour les populations berbères, le monde est un, il est habité
par des humains et des non-humains et les relations entre les deux mondes sont
connues.
Les contes sur le thème de l’ogresse ou du démon féminin font objet de
beaucoup de variantes orales dans tout le Maroc, en particulier lorsqu’il s’agit de
récits se référant à la légende de la « mule des cimetières », du démon féminin qui
vit au cimetière et apparaît la nuit sous forme d’une jument ou d’une mule.
La légende de la « mule des cimetières » est familière à l’aire culturelle berbère
marocaine, mais aussi en Algérie. On en connaît plusieurs versions. Celles-ci
expriment probablement un thème récurrent, à savoir, la transgression des règles
qui marquent la place des femmes de la communauté berbère. Les relations du
monde surnaturel avec le monde naturel s’expriment dans le quotidien mais aussi
avec dans les métamorphoses, les résurrections et les pouvoirs attribués aux
marabouts et aux juifs. Les ogres, les ogresses et les génies se transforment en
hommes. Il en va de même d’une colombe qui est transformée en une jeune fille
très belle ; un homme se transforme en colombe, un juif en faucon ...
La symbolique du corps
Le cœur et le foie sont les symboles de l’affectivité et des sentiments dans
toutes les cultures. Les émotions et les différents sentiments de l’homme y sont
localisés : l’amour, la haine, la tristesse, la joie, etc.23
Les os magiques
La volonté circule, selon la sagesse populaire, des os à l’âme. Le corps est
exprimé par le mot tiγssa « corps » dans le sens de « os », xs, pl. ixsan ; iγs, iγess
qui signifie aussi « fraction d’un groupement humain », lignage ou soulignage,
membres descendants d’un ancêtre agnatique commun, comment dans le cas de la
confédération des Ayt ‘Atta du Sud du Maroc. Tout ça montre qu’il y a
probablement une vision sociale du corps dans la société berbère traditionnelle.
Symboliquement, le corps apparaît plutôt comme le soutien de la communauté, en
23 Luigi Serra-Anna Maria Di Tolla, 2009, « À propos du lexique berbère du corps et son
emploi métaphorique”, in Hommage à Naïma Louali, in Hommage à Naïma Louali (1961-2005).
Textes réunis et édité par Salem Chaker-Amina Mettouchi-Gérard Philippson, Inalco, Paris, 275-293.

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tant que tissu sur lequel se produisent les échanges parmi les groupes et avec le
monde des morts.
Le sacrifice du bœuf et les résurrections
Les résurrections sont assez fréquentes dans les contes berbères. Celles-ci ne
sont possibles que s’il y a des exemples de résurrection et sous condition qu’on
garde les os. L’âme ou la puissance surnaturelle a son siège dans les os, dans les
entrailles ou dans le foie. La conservation des os est une pratique ancienne.24 À la
lecture de ces contes, nous remarquons que l’organisation du monde surnaturel est
reproduite sur le modèle de la tradition berbère. Les difficultés sont les mêmes ici-
bas et dans l’au-delà.
Conclusion
Dans cette contribution, nous avons tenté de mettre l’accent sur la difficulté
d’analyser les contes oraux selon une seule approche méthodologique. Par ailleurs,
nous avons voulu montrer que le processus de préservation / innovation comprend
deux aspects : le premier concerne la préservation et la persistance de la tradition
dans la transmission orale parce que les contes sont le symbole d’un contrat tacite
collectif qui remonte aux mythes et aux rites antiques ; l’autre aspect concerne
l’innovation qui est représenté par la modernité, c’est-à-dire de nouveaux modèles
éducatifs et de l’aspiration à une société différente.
Par ailleurs, il est à remarquer le décalage entre d’une part, la littérature orale
berbère en tant que champs où le verbal est mis en jeu entre une perception
populaire de la pratique qui ne vit quasiment que de la préservation avec l’illusion
d’une certaine fixité permanente, et d’autre part, la réalité d’un phénomène. Nous
avons vu qu’à la différence de l’usager autochtone qui, du moins jusqu’à une
époque récente, ne disposait d’aucun moyen pour penser objectivement l’évolution,
le chercheur peut quant à lui plus adopter facilement ce type de perspective, dans la
mesure où il lui est parfois offert la possibilité de confronter plusieurs collectes
effectuées dans une même société à des époques différentes.
Pour conclure, l’oralité berbère et africaine en général est en pleine mutation du
fait de l’évolution technologique.
- Une analyse sémio-narrative concerne la relation entre la littérature et la société
(au niveau historique, culturel et idéologique) qui comprend l’approche structurelle
des contes avec l’identification de séquences, des sujets thématiques et la
récupération des champs sémantiques.
24 Camille Lacoste-Dujardin 1970, op. cit., 104.

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La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain
- Une analyse anthropologique qui repose sur la symbolique de l’imaginaire social
du monde berbère à travers lequel la communauté désigne son identité en
développant une représentation d’elle-même et qui concerne aussi le statut des
femmes et les questions de genre.
Ces deux niveaux, bien que distincts, ne sont pas séparés les uns des autres. Un
des principes de base de la littérature orale c’est que la tradition, le patrimoine et la
mémoire ne sont pas l’acquisition d’un individu mais l’acquisition spontanée d’un
groupe.25 La transmission culturelle exige l’activité de multiples acteurs dans une
communauté. Aujourd’hui, les médias, la scolarité et la vie « moderne » ont
remplacé la transmission orale des valeurs. En cela, on peut reconnaître que la
littérature orale ne présente pas sa fonction de cohésion de la société tout en
cherchant de nouveaux moyens à la préservation et à la protection du patrimoine
culturel.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BAUMGARDT, Ursula - Jean A. DERIVE (éds.), 2008, Littérature orales africaines.
Perspectives théoriques et méthodologiques, Karthala, Paris.
BOURDIEU, Pierre, 1980, Le sens pratique, Éd. de Minuit, Paris.
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Dominique LAGORGETTE - Marielle LIGNEUX (éds.) Littérature et
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Anna Maria Di Tolla
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ABSTRACT
The study of Berber oral literature is an area of particular interest in the context
of cultural production. A new concept of Berber identity is based on the links
between the preservation and defense of cultural memory. In oral production, many
points of convergence and intersection between the cultures with which the Berbers
have been in contact, are obvious, but do not always occur linearly.
Our contribution focuses on research of fifteen Berber tales collected from Ayt
Khebbach in the Tafilalt region in the southeastern of Morocco. Our study is,
above all, an analytical description of the various aspects of the content and
structure of the tales. The first objective is to locate the texts collected in the
context of the Moroccan oral literature. The second goal to make intelligible our
corpus. The analysis of the tales is operational from two perspectives: the semiotic-
narrative approach and anthropological approach.

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La littérature orale berbère. La narration des contes du Sud-Est marocain

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MANSOUR GHAKI
La périodisation de l’histoire de
l’Afrique du nord antique
L’idée est de réfléchir à la périodisation réservée, jusque-là, à l’histoire de
l’Afrique du nord à l’époque antique. Le passage aux indépendances et la naissance
d’États-nations étaient censés rompre avec une lecture souvent qualifiée de
« coloniale » parce que marquée par une idéologie et par voie de conséquence
orientée. La périodisation de cette même histoire avec les « indépendances » se
révèle, souvent, aussi, caractérisée par une « réaction » tout aussi « orientée » ;
l’idée « honorable » de rompre avec la vision « coloniale » a abouti à une lecture
« réduite » parce que circonscrite et emprisonnée dans des frontières héritées de la
colonisation, sans rapport aucun avec la réalité géographique, humaine, historique
et écologique. Si une lecture « neutre » n’existe pas, force est de constater que
l’une et l’autre de ces périodisations, pré et post coloniales - pré et post
indépendances - ne sont différentes et opposées qu’en apparence, parce qu’elles
reposent, l’une et l’autre, sur des « a priori » idéologiques ; elles aboutissent aux
mêmes travers et aux mêmes insuffisances. Si la lecture « coloniale » privilégie
l’Européocentrisme et « l’Occident », les lectures des « indépendances » reposent
souvent sur un nationalisme circonscrit à l’État-nation souvent orienté par et vers
l’idéologie islamo-arabe.1
Il est clair que l’Afrique du nord berbère ne se reconnait, exclusivement, ni dans
l’une ni l’autre de ces approches, même si l’histoire est là pour dire que cette même
Afrique est riche de l’histoire dite occidentale et de la civilisation qualifiée d’arabe.
Nous limiterons notre propos à l’Antiquité ne serait-ce que pour laisser à d’autres
plus qualifiés, l’opportunité de « méditer » sur la périodisation de la période
marquée par l’islam. Loin de nous l’idée de « montrer du doigt » certains travaux ;
1 La formule consacrée est « arabo-musulman » or l’histoire est là pour nous rappeler que la
finalité déclarée dès les premières incursions des « musulmans » étaient la diffusion de l’Islam,
l’arabe étant là parce qu’il est la langue du Coran. Islamo-arabe parce que les troupes musulmanes
arrivées en Afrique du nord berbère comprenaient certes des arabes, elles comptaient aussi des
égyptiens et des libyens fraichement convertis et à peine arabisés.

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La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique
bien au contraire, notre réflexion repose sur les écrits existants et s’en sert ; nous ne
prétendons pas, non plus, aboutir à la « Lecture » - avec un L majuscule -, elle
n’existe pas.
Le « début » de l’Histoire
Quand commence l’Histoire en Afrique du nord et quand finit la Protohistoire ?
La réponse détermine le début de l’Antiquité. Le tournant étant l’écriture, la
période historique commençant avec la « création » ou l’introduction de celle-ci
dans un territoire précis, il faut donc poser la vraie question : quand commence
l’écriture et où ? En Afrique du nord, la réponse concerne non pas une écriture
mais trois : le phénicien, le grec et le libyque.
1. L’installation des Phéniciens sur le littoral nord-africain a été précédée par une
période « précoloniale ». Les marins phéniciens fréquentent la Méditerranée
occidentale sans s’y fixer ; nous n’en avons pas, jusque-là, de traces en Afrique même.
Ce fut durant les derniers siècles du second millénaire av. J. C.2 que les phéniciens
installent des « comptoirs » dans des lieux choisis pour leur topographie favorable à
l’abordage et à la mise à l’abri aussi bien des bateaux que de leur équipage ; dès la
fin du second siècle avant J. C. furent fondées Lixus et Utique en Afrique et Gadès
en Ibérie. Carthage date de la fin du IXe et c’est elle, une fois devenue une
puissance, qui, à partir des VIIe-VIe siècle, se chargera du rayonnement de la
civilisation phénicienne donc de la diffusion de la langue et de l’écriture
phénicienne. Il est évident que l’introduction de cette écriture sera limitée, dans un
premier temps, aux endroits investis ; il est tout aussi évident qu’il faut attendre
plusieurs siècles pour que l’écriture punique soit assimilée et utilisée à l’intérieur
de la Libye. L’histoire commence peut être avec l’installation des Phéniciens sur le
littoral, elle n’impliquera les autochtones que bien plus tard.
2. L’installation des grecs en Cyrénaïque correspond à l’introduction de la
langue et de l’écriture grecque ; cela se situe durant la première moitié du VIIe
siècle av. J. C. L’écriture grecque est restée limitée aux fondations, elle ne semble
pas avoir « débordé » l’espace circonscrit où se sont installés les colons grecs, la
population autochtone, nomade et relativement éloignée du littoral ne se sentait pas
concernée et n’a que peu adopté le grec.
3. La « naissance » du libyque, écriture autochtone, n’est toujours pas datée avec
certitude ; les « propositions de datation » ne manquent pas, elles demeurent des
hypothèses car aucune n’apporte l’argument décisif. Il est clair qu’au IIIe s. av. J.
2 Pierre Cintas, 1981, Manuel d’archéologie punique, vol. 1, Paris, 1970 ; María Eugenia Aubet
Semmler, 2001, The Phoenicians in the west, Politics, Colonies and Trade, Cambridge University
Press (2nd éd.).

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C., l’alphabet libyque est « installé », réalisé et régionalisé ; les différentes formes
de l’écriture libyque datées du second siècle sont le fruit d’une évolution qui s’est
réalisée avant. Les datations proposées reposent :
- Soit sur l’iconographie qui accompagne le texte - G. Camps3 propose une date
« bien antérieure au VIe-Ve siècles av. J. C. ».
- Soit sur « l’association » Écriture - Représentations rupestres.
L’écriture est dans ce cas datée par les figures portées sur la même paroi. M.
Hachid4 situe la naissance de l’écriture libyque fin du second millénaire/début du
Ier millénaire av. J. C.
La datation par l’iconographie n’emporte pas l’adhésion de tous et la
contemporanéité « figures rupestres/écriture » n’est pas démontrée. La date haute,
trop haute avancée par M. Hachid5 ne peut être retenue ; des preuves tangibles
établissant un lien chronologique entre les images rupestres et l’écriture font
défaut.
Dans l’état actuel des connaissances, le libyque est à situer au début de la
deuxième moitié du Ier millénaire av. J. C. sans que l’on puisse être plus précis.
Le fait que l’écriture ait été introduite à des endroits et à des moments
déterminés entraine « une régionalisation » du début de l’histoire ; si le littoral
connait l’écriture dès les XIe-VIIIe siècle avant J. C., l’intérieur devra attendre
plusieurs siècles pour, soit utiliser le libyque, soit maitriser le phénicien. Cette
situation explique la persistance de la protohistoire et ses manifestations dans
certaines régions tout au long du Ier millénaire avant J. C. et dans les régions
méridionales durant une partie du Ier millénaire après J. C.
C’est donc le début de l’antiquité pour une grande partie de la population
africaine qui doit être révisée.
3 Gabriel Camps, 1977, « Recherches sur les plus anciennes inscriptions libyques de l’Afrique du
nord et du Sahara », in Bulletin du Comite des Travaux Historiques et Scientifiques. Section Afrique
du Nord, n.s.10-11b ; Gabriel Camps, 1996, « Écritures », « Écriture libyque », in Encyclopédie
Berbère, XVII, 2564-2573.
4 Malika Hachid - Ahmed Skounti - Abdellah Lemjidi - El Mustapha Nami, 2003, Tirra, aux
origines de l’écriture au Maroc, CEALPA-IRCAM, Rabat.
5 Malika Hachid, 2001, Les premiers Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil, Payot, Aix-en-
Provence, 187.

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La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique
« Les périodisations »
Les travaux généraux relatifs à l’histoire antique de l’Afrique du nord sont
relativement nombreux ; nous en citerons quelques-uns parce qu’ils nous ont servi
le plus dans notre réflexion.6
La lecture de l’histoire de l’Afrique nord antique - la Libye des grecs - aura
connu deux approches donnant deux « périodisations »:
- Celle de l’époque coloniale qui a encore cours et dont le découpage se
présente en deux grandes périodes : la période phénicienne-punique, souvent
qualifiée de « période carthaginoise » (entre la fondation de Carthage et sa
destruction) et l’époque romaine qualifiée parfois de classique (entre 146 av. J. C.
et le Ve siècle après J. C.). La fin de l’antiquité correspondant à la conquête
musulmane et au début de la période dite arabo-musulmane.
- La deuxième approche, celle des « indépendances » est caractérisée par le
poids des États-nations et la tentative des pouvoirs de chacun des pays de se doter
d’une « lecture de l’histoire » qui s’inscrive dans les limites géographiques de la
nation et qui confère une légitimité historique à l’État-nation et au pouvoir en
place.
Il est claire que la première périodisation occulte la composante essentielle qui
caractérise l’Afrique du nord : l’amazighité (certains diront la berbérité). La
composante « libyenne » et son rôle aussi bien dans l’adoption des civilisations
« introduites » en Libye antique que dans l’adaptation de ces mêmes civilisations
aux composantes de la civilisation autochtone, sont soit omis, soit intégrés dans des
époques dites « carthaginoise » et « romaine ».
L’approche des indépendances prêche par l’excès inverse ; elle « emprisonne » les
études historiques dans les frontières politiques de chacun de ces États-nations. Ce
choix souvent politique est passé dans le quotidien, dans les programmes scolaires et
6 Stéphane Gsell (1913-1928) consacre les tomes 5 et 6 aux « royaumes indigènes, une partie du tome 1
est réservée aux « temps primitifs » et une partie du tome 7 à la « fin des royaumes indigènes » (Stéphane
Gsell, 1913-1928, Histoire Ancienne Afrique du Nord, VIII volumes, Hachette, Paris) ; Charles André
Julien, 1951, Histoire de l’Afrique du Nord, 2e édition revue pour le tome I par Charles Courtois et
pour le tome 2 par Roger Le Tourneau, Hachette, Paris ; François Decret - Mohammed Fantar, 1981,
Histoire de l’Afrique du Nord antique, Payot, Paris ; Gabriel Camps, Les Berbères, Mémoire et
Identité - la première édition portait pour sous-titre Aux marges de l’histoire ; Michael Brett -
Elizabeth Fentress, 1996, The Berbers, Blackwell, Oxford ; Abdallah Laroui, 2001, L’histoire du
Maghreb. Un essai de synthèse, 2e édition Maspero, Casablanca ; Khalifa Chater, 2005 (Textes réunis
par), Histoire générale de la Tunisie, Centre Culturel Arabe, Casablanca ; Nabil Kallala - Joan
Sanmarti, 2011, Althiburos 1, Institut Català d’Arqueologia clàssica, documenta 18, Universitat de
Barcelona ; Institut Català d’Arqueologia Clàssica ; Institut National du Patrimoine (Tunisie) ;
Tarragona.

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dans des travaux universitaires ; si, pour certains, l’antiquité est secondaire ou « à
oublier », l’histoire commençant avec l’islam ; pour d’autres, il y aurait une préhistoire
propre à l’Algérie actuelle, un Maroc « depuis toujours » et une antiquité de la Tunisie
de nos jours. Il est clair que l’on ne peut pas saisir les phénomènes culturels qui ne
connaissent pas et ne reconnaissent pas les frontières et que l’on risque d’ignorer en
grande partie, les composantes de civilisation communes à toute l’Afrique du nord.
C’est en fait l’unité de cette région qui est remise en question.
La terminologie utilisée pour les périodisations
Antiquité / Moyen âge / Période moderne / Période contemporaine : ce
découpage calqué sur l’histoire de l’Europe pose de nombreux problèmes car il ne
correspond en rien à la réalité du nord de l’Afrique. L’antiquité africaine se termine
avec l’islamisation qui commence à la fin VIIe s. ; il ne peut être question de «
Moyen âge » encore moins de « Renaissance » en Afrique du nord où, au XVIe s.,
commence une période de dominations étrangères : espagnole, ottomane puis
française ; elle ne prendra fin, en partie, qu’au milieu du XXe s.
Préromain/Classique : le recours à des concepts tels que « préromain » reflète
une vision faisant de Rome la référence ; le terme classique qui signifie : traditionnel,
coutumier, habituel, usuel, familier, etc., est encore plus « déplacé » car inapproprié.
Période carthaginoise / Période romaine : cette terminologie occulte la
géographie et les spécificités régionales ; une partie de l’Afrique du nord n’a pas connu
l’une et l’autre de ces deux civilisations ; l’autre partie les a vécues différemment ; le
degré de punicisation et de romanisation n’est pas le même partout et des décalages
dans le temps sont à prendre en considération. Cette terminologie ne distingue pas
l’Afrique du nord du reste du bassin occidental de la Méditerranée.
Dans le monde punique, le système administratif reposait sur la notion de cité-état,
chaque cité avait son autonomie et son territoire ; toutes ont contribué à la diffusion de
la civilisation phénico-punique, faire de Carthage, la capitale d’un empire revient à
ignorer le système qui caractérisait aussi bien Carthage que ses rapports aux autres
villes phéniciennes puniques ; cette organisation régissait aussi les rapports politiques
et administratifs avec les autochtones, en Afrique et ailleurs. La destruction de
Carthage n’a pas mis fin, en Afrique, à la civilisation punique.
En utilisant le qualificatif « romain », on ne fait pas la distinction entre une
période païenne et une autre chrétienne. On occulte aussi des spécificités régionales
en rapport aussi bien avec la chronologie qu’avec le degré de romanisation ; une
partie de l’Afrique a toujours échappé à Rome, une autre partie est perdue par le
pouvoir romain dès le IIIe s. suite aux révoltes maures ; enfin et suite à la diffusion
du christianisme, il est clair que l’emprise du paganisme est affaiblie dès le IIIe s.;
elle est en voie de disparition au IVe siècle.

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La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique
La terminologie des « indépendances » prêche comme nous l’avons déjà
signalé par réaction vis-à-vis de la terminologie jugée coloniale ; elle cherche
souvent à se « limiter » à un État-nation pour le distinguer du voisin ; certains
choix idéologiques la font tomber dans des anachronismes évident ; des raccourcis
opposent l’antiquité, qualifiée de « préislamique » à la période musulmane. La
période antique devient, chez A. Laroui,7 « Le Maghreb dominé » par opposition
au Maghreb qui ne le serait plus lorsque les incursions des armées islamo-arabes
auront raison de la résistance des berbères.
Les travaux menés à Althiburos par une équipe tuniso-catalane8 ont abouti à
d’importants résultats aussi bien pour la cité elle-même et son évolution que pour le
monde numide. La première publication sur cette recherche propose une nouvelle
terminologie donc une périodisation propre au monde numide et au Ier millénaire av.
J. C. qui se trouve divisé en trois : « Numide archaïque », « Numide moyen » et
« Numide récent ». Cette approche concerne, les auteurs en conviennent, Althiburos
et les résultats des travaux menés dans un secteur limité du site.
- Cette périodisation occulte la civilisation phénico-punique.
- Le terme « numide » repose sur une région, la Numidie ; il ne peut exprimer
l’Afrique du nord dans sa globalité.
- Le « Numide archaïque » correspond à « une présence humaine » qui
pourrait être sédentaire ; il n’est pas établi qu’elle soit citadine et qu’elle puisse être
rattachée à la future Althiburos ; il n’y a pas de villes numides à une date aussi
haute. La fin du « Numide récent » qui, selon les auteurs correspond au « début de
l’empire romain » se situe en pleine période néopunique caractérisée par la
civilisation libyco-punique.
La chronologie
Le découpage qui revient dans la majorité des travaux repose sur des
« évènements » importants et à retenir : 814 av. J. C. (fondation de Carthage) ; 146
av. J. C. (destruction de Carthage suite à la dernière guerre entre celle-ci et Rome; -
146/ + 439 (époque romaine); 439-533 (siècle vandale) ; 533-670 (siècle byzantin) ;
ces dates ne peuvent servir que de repères ; elles doivent être situées dans l’espace
pour que soit saisi leur importance respective :
La fondation de Carthage aura des répercussions sur le pays, trois sinon quatre
siècles plus tard, et Carthage ne devient une puissance qu’à partir du VIe siècle ; l’on
ne peut, par conséquent, considérer Carthage comme une puissance dès sa
7 Abdallah Laroui, op. cit., 4 ; 19-31.
8 Nabil Kallala - Joan Sanmarti, op. cit., 31-32.

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fondation ; de même qu’il n’est pas juste de parler d’un territoire « carthaginois » en
Afrique, avant la deuxième moitié du Ier millénaire av. J. C.
En Afrique, l’influence punique aboutissant à la punicisation d’une partie des
autochtones est claire au IVe s. dans l’arrière-pays immédiat du littoral africain.
L’intérieur du pays voit s’installer, mais dans la deuxième moitié du IIIe s., les
sanctuaires à Baal ; dans l’état actuel des connaissances, il faut aussi attendre le IIe
s. pour que l’écriture punique soit utilisée en terre numide ; la bilingue dite de
Massinissa est datée de 138 av. J. C. et nous n’avons toujours pas de textes
puniques qui remonterait avec certitude aux IVe-IIIe siècles av. J. C.
La destruction de Carthage en 146 av. J. C. avait été précédée par ses
défaites suite aux deux guerres précédentes ; Carthage n’est déjà plus, aux
lendemains de la première guerre (264-241 av. J. C.) la puissance maritime du IVe
siècle. Elle n’est plus un « empire de la Méditerranée » à la fin du second siècle
car, n’oublions pas, qu’elle avait perdu la Sardaigne, la Sicile, l’Espagne et une
grande partie du littoral africain ; durant la première partie du second siècle,
Carthage perd les « territoires » appartenant aux ancêtres de Massinissa, le roi
numide et voit son emprise territoriale africaine réduite.
La date de 146 correspond à la naissance de la première province romaine en
Afrique ; la province s’étend sur la partie nord-est de la Tunisie actuelle c’est à dire
sur une infime partie de l’Afrique du nord.
Ce découpage chronologique ne tient pas compte d’une autre réalité : si la
première province romaine est de 146 av. J. C. la deuxième province, la Numidie,
date de 40 av. J. C. - fin de la guerre civile romaine et victoire de César. Tandis
qu’il faut attendre l’assassinat de Ptolémée et l’arrivée au pouvoir de Claude pour
que les provinces de Mauritanie voient le jour en 60 après J. C. ; il y a donc un
siècle entre la première création et la seconde et ce sont bien deux siècles qui
séparent la première province et les deux dernières.
Dès le milieu du troisième siècle après J. C. Rome voit le limes reculait devant
l’avancée des tribus africaines de l’ouest ; elle voit aussi son pouvoir contesté de
l’intérieur puisqu’une partie de plus en plus importante de la population se christianise.
Bien avant les « destructions vandales », une partie de la vie païenne est remplacée par
la religion monothéiste : de plus en plus, les temples païens sont abandonnés, des lieux
de loisir comme les théâtres et les amphithéâtres ne sont plus fréquentés ou par un petit
nombre, etc. Au début du IIIe s., Tertullien, s’adressant au Proconsul lui écrivait :
« Que feras-tu de tant de milliers d’hommes, de tant de milliers de femmes, de tout
âge, de toute condition, ….. Que de souffrances pour Carthage …. Nous sommes
une multitude immense, presque la majorité de chaque cité ».
9
9 Tertullien, Lettre à Scapula 5, in François Decret (1996, 19).

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La conséquence de la crise du IIIe s. et de la christianisation de la société est
le recul de la vie citadine ; on constate des empiétements sur l’espace commun, un
manque d’entretien de l’infrastructure ; cette situation va être aggravée durant le
« siècle vandale » et surtout à l’époque « byzantine », les fortifications à l’intérieur
même de l’espace urbain sont, dans la réalité, des opérations de « démontages » des
monuments publics païens.
Ces dates occultent des moments importants et majeurs de l’histoire des
africains car déterminants : la révolte des mercenaires et des Libyens (241-237 av.
J. C.) contre Carthage, les siècles des royaumes numides et maure durant lesquels
les autochtones contribuèrent aux évènements qu’a vécus la région à commencer
par les guerres puniques, les révoltes contre le pouvoir romain de 253-262, de 289-
297 et la révolte de Firmus entre 372 et 375 ; suite aux révoltes de la fin du IIIe s.,
l’ouest de l’Afrique du nord échappe complètement à l’emprise de Rome.
Le siècle vandale n’est pas une réalité de toute l’Afrique du nord ; seule la
partie orientale a vécu la domination vandale, le centre et l’ouest de l’Afrique du
nord étaient entre les mains de roitelets plus ou moins romanisés mais qui
échappaient à l’emprise du pouvoir de Rome.
L’appellation « siècle byzantin » pose, elle aussi, un problème, il suffit de
regarder les fortifications mises en place par le pouvoir byzantin pour comprendre
qu’une grande partie des africains échappaient à son emprise.
La date de la fin de l’antiquité a un sens politique puisqu’elle correspond à
un « futur changement » culturel radical : la disparition du christianisme et
l’islamisation de la population. Il n’empêche que la résistance berbère sera
relativement longue, comparée à d’autres situations en d’autres lieux.
L’islamisation prendra un temps certain, deux ou trois siècles, et l’arabisation n’est
toujours pas achevée, 14 siècles plus tard.
Il est clair que ces remarques, non exhaustives, aboutissent à une autre
périodisation de l’antiquité africaine qui prendrait en considération :
1. La géographie : ce territoire est déjà divisé aux temps préhistoriques ne
serait-ce que pour des raisons de géographie physique ; différentes civilisations s’y
développent. À l’époque historique, cette « régionalisation » s’accentue aux
contacts d’autres groupes humains donc d’autres civilisations : grecque,
phénicienne et romaine. La géographie et les distances font que le Sud sera surtout
en contact avec le monde africain sahélien et saharien, que l’Est sera ouvert en
permanence sur l’Orient, que le nord-est établira des liens solides avec les îles
méditerranéennes, tandis l’extrême ouest aura pour voisin privilégié, l’Ibérie ; la
partie centrale de l’Afrique du nord servant de trait d’union et de catalyseur
souvent décalé dans le temps.
2. L’élément autochtone qui sous-tend l’histoire de toute la région et qui est
généralement « évoqué » sporadiquement. On parlera plus judicieusement de la

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Mansour Ghaki
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« période libyco-punique », de la « période afro-romaine », de « l’Afrique
chrétienne ».
3. L’aspect multiculturel qui caractérise l’Afrique où coexistent langues,
écritures, croyances et architectures funéraires, modes de vie. L’Afrique antique
berbère est multiple, plurielle, riche de sa diversité, elle ne peut être saisie
autrement.
4. Les périodes charnières qui sont relativement longues dans le temps et
culturellement riches.
- Il y a une période charnière entre la destruction de Carthage et la fin de la
période néopunique durant laquelle la civilisation punique s’étend ; les nombreux
sanctuaires à Baal Hamon et les inscriptions néopuniques votives attestés en
Numidie datent en majorité de cette époque. C’est à ce moment que s’installe
Rome ; la fin de la période néopunique correspond au début de la romanisation.
- Le passage du paganisme romain à la christianisation des africains durera
plusieurs siècles durant lesquels la population sera divisée.
Conclusion
L’antiquité de l’Afrique du nord se caractérise par une régionalisation de plus en
plus profonde ; déjà durant cette période commence l’acculturation d’une partie des
autochtones ; on ne rencontre pas d’écriture libyque dans le « territoire punique »,
future province romaine, Africa. ils seront en partie punicisés, rares sont les
sanctuaires à Baal qui mentionnent Tanit ; la romanisation touchera plus d’africains
que ne l’a fait la civilisation punique ; là aussi on rencontre l’empreinte des
Africains : « Saturne africain » n’est pas le Saturne romain.
La différence entre l’attitude de Carthage et celle de Rome est évidente ;
Carthage aura été le plus souvent tournée vers la mer, n’avait pas de politique
« coloniale », sa démographie ne le permettait pas ; son armée était faite pour
l’essentiel de mercenaires ; le système de la cité-état laissait les autres villes
phéniciennes-puniques relativement libres de leur politique ; elles irons jusqu’à
ignorer Carthage et lui refuser l’aide à des moments difficiles. Rome, par contre, a
eu une politique d’occupation du sol, déclaré, ager publicus ; la romanisation, qui
n’était pas forcée, passait par l’adoption du mode de vie romain ; elle était la
condition pour garder quelques avantages et en acquérir d’autres. L’évergétisme
illustre parfaitement le comportement de l’élite africaine qui cherchait se faire
reconnaître par l’administration romaine.
Les africains jouèrent un rôle important dans la punicisation ; les élites
africaines optèrent pour la langue et l’écriture punique ; la période néopunique est
une période numide. De même est-il évident que la romanisation a été profonde ;
elle a complètement marqué le paysage africain et les africains eux-mêmes. Cette

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La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique
romanisation est caractérisée par une empreinte africaine que certains qualifient de
« substrat ».
La place et le rôle de L’Afrique dans le développement du christianisme est
indéniable. Il suffit d’avoir à l’esprit le grand nombre de martyrs et surtout de citer
des noms de chrétiens illustres comme Cyprien, Tertullien et Augustin. Les siècles
« vandale » et « byzantin » sont en fait des siècles de l’Afrique chrétienne et du
« Christianisme africain ».
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colloque de Rome (3-5 décembre 1987), Collection de l’École française de
Rome (CÉFR), 134, 575-602.
ABSTRACT
The historical studies are based on a “periodization” and on a terminology. This
division and this conceptualisation often evolve because the historian himself
evolves, he cannot escape making ideological readings, the fruit of his time.
Between a “colonial” reading and other “independences” reading, of historical
studies on North Africa are made with questionable periodization and a resort to
concepts which are often biased.

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La périodisation de l’histoire de l’Afrique du nord antique

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
Introduction
Les études proprement dites qui abordent la littérature amazighe sont
relativement récentes et rarissimes. Lorsque la matière littéraire est examinée ce
n’est pas pour elle-même mais comme matière documentaire auxiliaire destinée à
servir d’autres disciplines, notamment la linguistique, l’anthropologie, la
sociologie…
S’il est vrai que des travaux et des thèses sont réalisés sur des questions de
littérature amazighe dans le cadre de départements de lettres et de sciences sociales,
il n’en demeure pas moins vrai que ces travaux souffraient de déficiences, non par
carence de la formation littéraire générale mais par l’insuffisance de la connaissance
du phénomène de l’oralité dont la spécificité n’est pas assez prise en compte.
Cette méconnaissance et le recours implicite aux grilles analytiques de la
littérature écrite pour aborder la littérature orale expliquent sans doute le fait que la
réception des textes littéraires oraux se fait souvent sur la base d’une comparaison
sous-jacente des deux domaines. Cette approche se retrouve en partie, nous semble-t-
il, dans une certaine perception de la littérature orale vue comme déficitaire: elle est
fréquemment définie par le manque d’auteur et le manque de création.
De cette perception découle une conception fonctionnelle de la littérature en
tant que parole socialisée dont la fonction poétique et la stylistique ne sont
généralement pas perçues dans toute leur profondeur et leur complexité.
De ce fait, la littérature orale est largement abordée dans une perspective
folklorique et superficielle ignorant la spécificité de l’oralité et le rôle de la
performance.
L’oralité : mode culturel et espace de création littéraire
Afin d’étudier convenablement la littérature amazighe orale, il convient au
préalable de consacrer une réflexion à l’oralité comme mode culturel spécifique de

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
communication verbale, contexte au sein duquel se produit cette littérature. Car,
comme le souligne Jean Derive, l’oralité est conçue « comme une énonciation
consciemment proférée de manière spécifique selon un art oratoire dans le cadre
d’une situation soumise à un certain degré de ritualisation ».1
L’oralité apparaît donc comme une véritable modalité de civilisation par
laquelle certaines sociétés tentent d’assurer la pérennité d’un patrimoine verbal
ressenti comme élément essentiel de ce qui fonde leur conscience identitaire et leur
cohésion communautaire. Comme telle, l’oralité s’oppose à la scripturalité, type de
culture allant lui aussi bien au-delà du seul fait d’avoir recours à l’écriture.
L’oralité participe par l’expression et la transmission d’un patrimoine verbal à
la perpétuation des traits définitoires de chaque culture et contribue en même temps
à la reproduction de ses normes et de ses pratiques.
Voici, à titre d’exemples, quelques énoncés poétiques qui prônent ces valeurs en
vue de les transmettre aux futures générations :
wenna yaġ ša n yiġenša ad t id tsaggan winna iṣḥan ;
leεfu win sidi ṛebbi ġas ad iṣfeḍ yun lεar.
il est vivement recommandé aux personnes se portant bien de
rendre visite aux malades ;
ce n’est que devoir accompli, car Dieu seul possède le remède.
a wa dεix-aš s uynna neššar a way nḥubba-nw meš i tezreyd,
a wa ur igi ṭṭεam2 iḥllal iqqen ad iwwet wenna ixxan.
au nom de tout ce qu’on a partagé ensemble, je te prie de ne
point me quitter !
(lit. La nourriture n’est une plaisanterie (un mensonge), elle frappera
le méchant)
trahir l’amitié a des conséquences fâcheuses.
a ya xf yussa lḥal ur ten iṣeḍhiṛ ;
ar ideṣṣa tin εenwa xes s uḥenžif.
que de gens souffrent dans le silence ;
ils font semblant, par orgueil, de rire.
1 Jean Derive, « L’oralité, un mode de civilisation », in Littérature orales africaines : Perspectives
théoriques et méthodologiques, Karthala, 2008, 17-34.
2 Selon les croyances populaires, ṭṭεam ou la nourriture qu’on a partagée avec d’autres personnes
constitue un gage d’amour, de sincérité et de fidélité. C’est donc un pacte de confiance qu’il ne faut point
transgresser. Par conséquent, celui qui trahit ceux avec qui il a partagé la nourriture ṭṭεam est un lâche voué
fatalement au châtiment et à la malédiction divine.

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D’autre part, l’oralité conçue comme mode de culture, s’inscrit dans un cadre
plus général de traits civilisationnels propres à une communauté donnée. À ce
niveau, il faut souligner que les propriétés de l’oralité ou le manque de l’écriture,
marquent plusieurs domaines de la vie et ne présentent pas la caractéristique
exclusive du champ littéraire.
En effet, la parole joue un rôle fondamental dans les sociétés traditionnelles qui
continuent à fonctionner selon un modèle ancestral et qui gardent un certain degré
de cohésion et d’attachement aux valeurs humaines d’antan.
Certes, la parole, la voix et l’oralité sont à la base des rapports sociaux, des
règles de conduite et de la gestion des affaires collectives de la communauté. Ce
qui explique que la plupart des transactions de vente et d’achat, les transferts de
propriétés de terrains et d’eau d’irrigation se font par un acte oral, une parole
donnée en public. De même, les legs, l’héritage, les mariages et les divorces se
prononcent en donnant, de façon solennelle, sa parole d’honneur devant des
témoins dignes de foi parmi les membres de la communauté.
Les décisions ainsi prises ou les promesses faites oralement, ont une valeur
indéniable et la parole d’honneur devant des témoins revêt un caractère sacré.
Ainsi, tout acte social scellé par la parole est reconnu authentique, fiable et engage
toutes les parties qui doivent le respecter et l’appliquer car faisant loi au même titre
que des actes rédigés par des notaires dans la société de l’écrit.
Soit le vers, izli, suivant qui définit sans équivoque le concept de la parole dans
la communauté berbère :
addur n yukk ur t igi xes awal nna nnan
wenna igan lḥurr isinn id ils as ittuyamaz
la vraie valeur de l’homme n’est rien d’autre que la parole
l’homme libre se tient par la langue (parole)
Tous ces traits spécifiques à l’oralité, comme mode civilisationnel, retrouvent
leur échos dans le domaine de la création littéraire. Car ces spécificités ont des
incidences sur le processus de création et de réception de la matière littéraire
relevant de son contexte global et appelant un traitement adéquat afin d’éviter les
méfaits des approches qui abordent le domaine de l’oralité avec un appareil
conceptuel et des théories propres à l’écrit et qui considèrent la littérature orale
comme une littérature archaïque, sans valeur esthétique et fondamentalement fixée
dans des répertoires traditionnels.
Cependant, cette vision réductrice ne correspond nullement à la réalité de son
fonctionnement car cette littérature est loin d’être figée. Elle est en perpétuelle
évolution et capable de s’accommoder des réalités nouvelles liées à la vie de la
communauté qui constitue l’espace idéal pour la réalisation concrète de l’œuvre
orale à travers la performance.

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
Les vers poétiques suivants montrent l’engagement des créateurs de la
littérature orale dans les questions sociales et politiques qui préoccupent les
membres de leur société :
(...) sull awd tassaεt-a zaydn i leεma, a lidaεa ur da is beṭṭun,
tella ttelfaza tefḍeḥ aynna da tteggam a kku yass abeεda ližtimaε,
matta ṛṛeεb-a kku lmeṛt nannay lxir, lmašariε bdun ar tsenyan,
wenna yannin imšal lla ttinin lemziyt, ša n lmziyt hatt ur telli,
a baẓ-nnun ur dig-un illi lḥya idd udm n uqzdir ay ġur-un,
a lla tzerrey luqt a winna x ittsiyyarn a lla tsḍuṛ ddunit liyyam.
(...) et pourtant ils ne veulent pas renoncer à leur aveuglément, ils
s’emparent des médias,
la télévision dénonce vos interminables réunions de mensonges,
c’est bizarre ! que de projets sont votés !
à les voir s’agiter, on dirait qu’ils délibèrent pour le bien, mais il
n’en est rien !
pourtant vous ne rougissez pas, portez-vous des masques ?
temps passe, ô vous qui nous dirigez ! la vie est sans cesse
changeante !
La performance, notion centrale de la littérature orale
La performance est la réalisation concrète d’une œuvre littéraire orale. Le terme
de performance est utilisé en littérature orale dans le sens de « exécuter,
accomplir », pour rendre compte de l’interprétation, de la réalisation ou de la mise
en scène. C’est-à-dire que la performance est partie intégrante de l’œuvre littéraire
orale.
En effet, l’oralité comme mode de culture repose essentiellement sur la
performance dans toutes ses dimensions en incluant tous les paramètres de
l’énonciation qui contribuent à la réalisation concrète de l’œuvre orale, notamment,
l’énonciateur, le destinataire, le cadre spatio-temporel, la corporéité de la prestation, la
voix, la gestuelle et aussi l’interaction avec le public.
Certes, dans le cadre de l’oralité, le rapport de l’auditeur au discours est un
rapport multipolaire, car il implique, outre son écoute, la perception des éléments
visuels et tous les autres éléments en relation avec l’environnement de la prestation.
Ainsi la présentation de l’œuvre orale crée une relation directe entre l’émetteur
et le récepteur. Elle permet l’implication de l’auditoire à travers la reconnaissance
du fonds culturel commun et par la réactualisation des normes sous-jacentes et
partagées par les deux pôles de communication. La performance est, de ce fait, un
acte éminemment social.
Ces considérations sur la performance, comprise comme la réalisation concrète
d’une œuvre littéraire orale dans une situation d’énonciation qui réunit l’énonciateur

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et le public dans un lieu et un temps spécifiques, ont développé l’idée que ce cadre a
des répercussions importantes sur le texte soumis à des modifications, à une
variabilité occasionnée par les circonstances de la performance.
L’implication du public et l’enracinement de la littérature dans la société en font
un patrimoine de toute la communauté car elle n’a d’existence qu’à travers les
répétitions et la participation de tous. Il n’y a pas de version finale du moment que
chaque nouvelle performance engendre des changements.
Les énonciateurs ont tous des façons différentes de réaliser un même texte, aussi
bien au niveau de l’énoncé qu’au niveau l’énonciation. En plus, le même
énonciateur ne dit pas forcément le même texte de manière identique à chaque
répétition car la performance est un espace de création et de renouvellement de la
matière orale.
Par ailleurs, sur le plan de l’énoncé, les variantes observées portent
essentiellement sur la présence ou non de termes expressifs, le changement d’un
terme ou d’une structure syntaxique ayant éventuellement une incidence sur le
rythme ou la manière de dire le texte. Une telle variation, apparemment mineure,
peut entraîner une transformation du sens.
Ainsi, la prise en compte de la dimension sociale de la performance permet de
souligner l’ancrage de l’acte de la création littéraire orale dans la situation
d’énonciation qui reflète le lien ombilical entre les manifestations sociales, les
activités de la communauté et la production littéraire orale souvent dynamique et
sans cesse réactualisée au cours de chaque performance consciemment par une
intervention délibérée de l’interprète ou tout simplement à cause du phénomène de
variabilité corollaire de l’oralité.
Dynamique et variabilité de l’œuvre littéraire orale
Le degré de variabilité concernant la matière littéraire orale dépend des
contenus véhiculés et des genres qui contribuent à l’élaboration d’un ensemble de
représentations organisées autour de la fonction et de l’essence même de la
littérature orale. Car la réalité donnant naissance à cette littérature et garantissant sa
transmission est bien complexe.
Certes, la littérature orale est régie par des normes et des canons d’esthétique,
implicites mais facilement identifiables par les récepteurs appartenant à une même
communauté, et aussi par des règles et des principes de conduite propres à la société.
En plus, la production de la littérature orale n’est pas une entité homogène dans
la mesure où elle est formée de plusieurs genres produits par différents
énonciateurs et souvent repris par des interprètes dans différentes circonstances.
Ainsi certains genres, comme ceux qui véhiculent des contenus du sacré, de
l’histoire ou des légendes qui sont les garants et les symboles de l’identité de la

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
communauté, sont moins affectés par le phénomène de la variabilité. Ils ont la
fonction d’assurer la transmission des valeurs identitaires et la consolidation de
l’attachement à la terre et à l’organisation de la société.
Toutefois, pour d’autres produits littéraires où la marge de la création est plus
grande, la variabilité est inhérente à la performance et à la situation d’énonciation.
Ses manifestations sont multiples et tributaires de nombreux facteurs.
L’œuvre orale est par nature évanescente et tributaire de la mémoire collective
pour assurer sa survie et sa transmission par colportage. Elle n’a pas d’existence
matérielle en dehors d’une performance. Ainsi après qu’une œuvre a été énoncée,
elle n’existe plus, concrètement parlant. Pour la faire exister de nouveau, il faut un
nouvel acte créateur basé sur un effort de la mémoire. Or cette faculté a des
capacités limitées qui la rendent fragile et entraînent la variabilité de l’œuvre. D’où
la nécessité permanente de reproduction pour perpétuer une œuvre en oralité
malgré les contingences qui ont des incidences sur le processus même de
production et de réception.
En effet, lorsque, dans un tel contexte, un auditoire prend connaissance d’une
œuvre, elle n’est plus l’œuvre de son créateur mais une œuvre collective à laquelle
ont participé tous ceux qui l’ont recréée à l’occasion de chaque nouvelle
performance, en la modifiant au fil des générations. Cet aspect collectif confère à
l’œuvre orale un caractère d’anonymat qui la rend fragile et vulnérable aux
vicissitudes des temps et des hommes.
Aussi, croit-on au remède du passage au texte transcrit ou stocké par le biais de
la technologie pour tenter de sauvegarder les œuvres littéraires orales et leur
assurer la pérennité.
La transcription de la matière littéraire orale : utilité et limites
Il est important de souligner que la transcription de la littérature orale ne peut se
réduire à la simple opération de transposer dans l’écrit de la matière littéraire
produite dans le cadre de la performance orale qui lui donne sa dimension
collective et en fait un produit vivant réalisé en interaction avec son milieu social.
Car, comme le souligne Taïfi (1996 ) :
« Si l’on estime que le passage à l’écrit consiste en une simple matérialisation
graphique des textes en usant d’un système de transcription quelconque adapté à la
phonie de la langue, l’entreprise est en effet des plus simples. Il suffit pour cela de
coucher sur du papier les poèmes et le tour est joué ».3
3 Miloud Taïfi,, 1996, « La transcription de la poésie orale : de la transparence orale à l’opacité
scripturale », in Études et Documents Berbères, 11, 133-147.

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Mais la sauvegarde de la littérature orale est une tâche beaucoup plus complexe
à cause de l’ancrage de l’œuvre orale dans son contexte socioculturel et sa
dépendance de la performance qui la rendent tributaire de son public et de son
environnement vital.
Cet ancrage du produit oral et sa réalisation concrète par le biais de la
performance permet de distinguer, comme le souligne Paul Zumthor (1994), deux
niveaux: le simple énoncé linguistique appelé texte, et l’ensemble formé de la
combinaison de cet énoncé avec tous les traits extralinguistiques qui relèvent de la
performance constituant l’œuvre.
Il les définit respectivement ainsi:
« On appellera texte la séquence linguistique constituant le message transmis (…)
l’œuvre sera ce qui est poétiquement communiqué, ici et maintenant: des sonorités,
des mots, des rythmes, des mouvements, des éléments visuels et situationnels. La
notion d’œuvre embrasse la totalité des facteurs de la performance » (28-29).
En effet, la transposition dans l’écrit des œuvres littéraires orales (notamment la
poésie) présente un intérêt indéniable mais cet acte s’avère réducteur et recèle de
dangers insoupçonnés. Car l’essence d’une œuvre orale est tributaire non seulement du
texte, mais aussi de toutes les manifestations scéniques lors de la performance. Cet acte
social charrie des significations ponctuelles décodées par l’assistance participant
effectivement à la présentation.
Le texte n’a de valeur que dans l’ambiance dans laquelle il est réalisé
complété par des raccourcis sémantiques, des insinuations, des sous-entendus,
des allégories, des pauses, des sourires, des clins d’œil qui résument de longs
discours que le public saisis au vol grâce à la complicité des interlocuteurs qui
puisent leurs indices d’interprétation dans le même fonds culturel. En outre, le
texte transcrit ne peut jamais traduire l’effet d’un silence expressif, pendant la
présentation sur l’auditoire interactif et constituant l’élément fondamental de la
performance. Car la réalisation d’une œuvre orale se base sur les intervalles, les
rythmes, la manière d’articuler, le ton et l’accentuation qui sont constitutifs du
contenu et qui échappent à la fixation de la matière orale qui ne retient qu’un
élément de l’édifice sémantique.
Ainsi, la comparaison entre l’œuvre orale présentée dans son milieu naturel et le
texte transcrit ou enregistré révèle l’étendue du préjudice que subit la matière orale
qui se trouve dénaturée ou comme le souligne Paulette Galand-Pernet4 cette
comparaison :
4 Paulette Galand-Pernet, 1998, Littératures berbères. Des voix. Des lettres, 49.

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
« Montre bien à quel point la réception par un lecteur du texte écrit, dans sa nudité,
peut appauvrir et travestir l’œuvre orale telle qu’elle est produite. Le texte
« ahellil », fragment de l’ensemble « ahellil », ne peut s’interpréter qu’en fonction
de cet ensemble, non seulement du type de cérémonie, de la musique, mais de sa
place dans l’ordonnancement chorégraphique et dans l’exécution vocale, qui
détermine l’agencement de l’unité textuelle, sa division en strophes, avec
l’intervention du refrain, et son orientation sémantique ».5
Car entre l’œuvre concrètement réalisée lors de la performance et le texte
transcrit ou stocké, il va un grand écart, une différence de taille. Celle qui existe
entre un être vivant et un cadavre inerte.
Ces considérations, sur l’œuvre orale et le texte transcrit ou enregistré,
permettent de distinguer ce que Walter J. Ong appelle l’oralité première désignant
l’œuvre orale concrétisée par la performance par opposition à l’oralité seconde,6
celle qui est médiatisée par la technologie ou fixée par la transcription.
Pour illustrer l’exemple des créations littéraires orales initialement réalisées
dans le cadre d’une performance puis transcrites, voici le texte suivant :
Aryaz d warraw ns nna imqquṛn
1- aš izzurx a yism nna itxlaqn a wenna da iterḥamn askka n lixṛa
2- mġar iɛṣa yun ur igi ša n lxiṛ al tetġyu zzaġt ns al tetġwu ṣṣaḥt ns
3- meš iɛayd ad iɛdil lxaṭṭa ns idam i lɛibada ns irar ġer ṛebbi ixf ns
4- da s itefraḥ mulana lla s tefraḥn i urgaz isgiran lɛamal i tuser ns
5- a yimi nu ssinf iɛdda may tteqqisx i lḥbab inu ur inaqs ša zi lġa
6- afqqiṛ: gix amm lmital n ufqqiṛ i lmaḥal tuḍaṛṛax diyi tamara iḥnneḍ ġif i lḥal
7- lwašun wenna ixatern aha iɛzel ixf ns zziy i urinn i iɛyyen taxamt ns
8- max itxemmamen ur illi may š ikkaten a lḥsab inw tuḥelm a yiġṣan
9- ttšan i lmal inu tzery i ṣṣaḥt aha rwell zziy i ur ufix ša i yakkan ša
10- a bu nniyt lla t itšemmat zzeman aɛdaw ad ig amm nekkint ad t ttun ifrax
11- lwašun: ad ur texxemmam ha nk°ni ġur š nsul žaž n taddart isul wutši llax ismun
12- tga ya š tasa nš ilgnan art tallad g ixf a bu imṭṭawn atteɛmud allen nš
13- waxxa nmeẓẓi d attili diynw lfayt askka d akk nnafeɛ ihnna yaš wul
14- tya tarwa amm unbdu han wenna iflleḥen ad as yiẓil ša ittut as ša
15- han iger nna imuẓẓan ag awn illa ṣliḥ
16- afqqir: meš da yallax is i yɛmmeṛ wul inu a tarwa urya da tnafaɛd wenna yurun ša
17- nnix ifrax inu ad i rarin ša zeg lxiṛ nna yix ussirx uḥln ax iġṣan
18- ġas wenna mi sxaterx ifadden ns ixwu tamazirt ur anx ištti sslam
19- a zzernax idmarr inu amm tfullust iddu lfery nnad in sfranx ffġen i ansa
5 Ibidem.
6 L’oralité selon Walter J. Ong correspond à l’oralité médiatisée de Paul Zumthor. Les
appellations renvoient au fait de fixer une œuvre orale sur un support à l’aide de la transcription ou
l’enregistrement (Walter J. Ong (1982) cité par Jean Derive, in Littératures orales africaines,
perspectives théoriques et méthodologiques, Karthala, Paris, 19).

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20- a tasa nu a taḥyuṭṭ zrin i išekšawn inu saggax š a yixf inu i uḥfuṛ ixwan
21- lwašun: ad ur tteru kkat ša n lḥsab i lbeɛd zzeman lla itḍur kku yun ira ma s ittɛiš
22- wenna mi iḍher uġum g ša n uḍġar ad tin idfor iggafi luqt ns
23- ur iẓil iḍs ma s itnafaɛ lwarata nš mġar munn i taddart nš ar tmmed a war ša
24- lla ikk teššarr tamara ar teddum dix ixub asn mannen tis snat
25- afqqir : han lidmaɛ ur yuf lwaldin grat ša n lḥsab i rreḍa amẓat awal iṣḥan
26- maḥed isul dig i ṛṛuḥ ur xggox ġif i taddart illa lxiṛ nna s ntɛiš
27- qqimat ġur i tmunem ġif i umma lixṛa tsul ad ax tebḍu ur ittany yun yun
28- axatar xs da sn ittemtat i lwašun zlleɛn adda ur illi usar kkin ansa
29- adday tebbi lkarta i iqemmar maxf dad temunn iḥyaḍ lla ttaškan
30- lwašun: ur daš ndeffur g uynna ax tennid han lužab nš yura ur ax illi š n lxir
31- tra luqt a argaz adiwḍḍef ad ig ttaqaɛud i temzi ad sɛṭern i tuser ns
32- tra luqt a argaz ad ihažr ad ixwu tamazirt ann ismutr ša tšin ša
33- han wenna iqqiman s ifqqirn iḍɛiy da iḍḍur i tawust usar yanny ass umlil
34- iga amm lbhimt išerf ur iḍmiɛ ann yawḍ tuya iẓiln iqqen as uḍaṛ i ṭṭewal
35- afqqir: han liḍmaɛ ur yuf lwaldin grat ša n lḥsab i ṛṛeḍa amẓat awal iṣḥan (2 fois)
36- matta lḥayat ġur un adday tadžim tamara i ayt uxam yiẓil awn lḥal
37- usar awn iburz uyenna trid atn tgd a bu ifyyišn ittettun laṣl ns
38- usar awn iburz uyenna trid atn tgd a bu ifyyišn afqqir iḥfa š
39- meqqar textard timnsa ġif š bba nš aẓllabi ifly asn ur džin iṣḥi
40- meqqar da tegged imšli s ššwa bba nš akk° ur da ittyawan s imnsi aġṛum
41- meqqar tbnid s žželližž ur ttizur ša illa bba nš lla itskan ammas unwal
42- meqqar iḥrid katkat ur ttizur ša illa bba nš lla tnuyn ġas aġyul
43- adday ixub i lwaldin nš waxxa ṭṭerḥed ibasl amm išnnef ša muṛḍus
44- lwašun: raɛa šg matta lmuṣaraf nš alliy tudžid tizi nš is aš šan s sin ṛṛeḍa
45- aynna sn tgid i lwaldin nš ad aš tgin widdax turud ġas ḥḍu muly nš
46- kku yun aynna izreɛ ufasi ns lla t megger adday inu ša ur isental ixf ns
47- taẓult lla ttaru taẓult idd ird iẓiln ad isġell luqt abṭṭiḥ iḥlan
48- aynna da s teggard i wašal ayda š akkn ayda d itraran usar xṣirn ifsan
49- afqqir: ġas arwat asn i ṛebbi tssegmd asn i ṛebbi ggant usar ši tġwun ifṛax
50- ur da š ttenafaɛn iširran i temġer alḥeṛṛ nš adday tusird uḥeln aš iġṣan
51- waxxa tgam arbiɛ isul art id aġrib i taddart nš ar tsenwad ixf nš
52- lla zeggurn sin i lḥayat ar as tiggiran sin lla tedduṛ tassaɛtt a wenna yušškan
53- amma ad tzrid tamġart ḍar awn amma tezri š ixub awn akk° ur š ttasin irw nš
54- ad ax ig ṛebbi d winna m tẓil derriyt ad ġudunt ur anx ištti s iḥyaḍ
55- ad ax ig ṛebbi d winna m tẓil derriyt ur anx iṣexṣar ifsan
56- ad ax ig ṛebbi d winna ganin lxiṛ i ifqqirn ad anx adžin tisura n ṛṛeḍa
57- ṛebbi iwṣṣa xf lwaldin inna ax i lštab ad ten nḍaɛ kull mġar ušškan
58- ṛebbi iwṣṣa xf lwaldin izayd ax nnebi iwṣṣa ax a d neḥḍu ssunt ns
59- ad ur ṣenḍaf bban š ad ur tegga lɛib i tadda š yurun xiṛaš amuttel ns
60- tella lžent ddaw n uḍaṛ i mayš tẓur tt qbel ad mmten ar š iteẓẓaḍ tixt ns.
L’homme et ses enfants âgés
1- Je commence par toi, ô nom de Dieu, créateur et miséricordieux
2- même si un être désobéit et se vante de sa témérité et sa santé

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
3- si par un vrai repentir, il se corrige et s’adresse à Dieu
4- le Seigneur se réjouit si un homme fait de bonnes actions
5- ô ma bouche, change de propos, j’ai, pour les miens, de belles poésies
6- le vieux : je suis semblable à un oiseau contraint par la vie à s’enfermer chez lui
7- chaque enfant qui grandit me quitte et fonde son propre foyer
8- qui pense moi ? personne ne se soucie de moi, ma force m’ayant abandonné !
9- ayant dissipé mes biens et usé ma santé pour tous, personne ne s’occupe de moi
10- l’être sincère est aujourd’hui trahi, même ses enfants l’oublient
11- les enfants : ne te soucie point, nous sommes toujours avec toi, sous le même toit et
nous partageons tes repas
12- tu es trop fragile, tes larmes t’aveugleront
13- même si nous sommes encore petits, demain nous te soutiendrons et tu te réjouiras
14- les enfants sont semblables à la récolte tantôt bonne tantôt mauvaise
15- c’est le champ bien entretenu qui produit une bonne récolte
16- le vieux : si je pleure, c’est parce que j’ai le cœur gros, ô progéniture, tu n’es
d’aucune utilité !
17- je croyais que mes enfants récompenseraient mes sacrifices et m’assisteraient une
fois vieux et sans force !
18- celui que tu protège petit, te quitte une fois grand et fortifié !
19- ils m’ont, tel un poulet, déplumé et abandonné
20- ô pauvre cœur (foie), mes poussins m’ont quitté, je n’ai plus que le nid vide
21- les enfants : ne pleure pas, le temps passe, chacun songe à sa avenir
22- chacun essaie de saisir l’opportunité et profite de l’occasion
23- à quoi bon rester ensemble quand on n’a pas de moyens
24- ils partagent ta vie dure et sont destinés à la souffrance
25- le vieux : l’obéissance aux parents vaut mieux que toutes les richesses (ceci est une
parole juste),
26- tant que je me porte bien, je garde chez moi où je suis comblé
27- restez avec moi car la mort nous séparera un jour
28- dès que le vieux mort, les enfants s’en vont et ne reviennent plus chez eux
29- comme se dispersent les joueurs, une fois les cartes déchirées
30- les enfants : nous ne partageons pas ce que tu dis, ta réponse est sans valeur
31- la vie exige que l’homme ait un travail et une pension à la retraite
32- la vie exige que l’homme immigre pour chercher de quoi vivre
33- car celui qui reste toujours avec le vieux ne connaîtra jamais de beaux jours
34- il est tel une bête attachée qui n’atteindra jamais les herbes fraîches
35- le vieux : l’obéissance aux parents vaut mieux que toutes les richesses (ceci est une
parole juste),
36- quelle vie avez-vous et abandonnant les vôtres dans la misère ?
37- tu n’atteindras jamais ce que tu veux, toi orgueilleux qui oublies ses origines
38- tu n’atteindras jamais ce que tu veux, toi orgueilleux dont le père est démuni
39- même si tu portes de beaux vêtements, ton père n’a qu’une djellaba déchirée
40- même si tu manges du méchoui, il n’a même pas de pain pour dîner
41- même si tu construis avec du marbre, ton père habite dans une grotte
42- même si tu roules au volant d’un 4/4, ton père se déplace à dos d’âne

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43- quand tes parents sont malheureux, ton bonheur a le goût d’une charogne
44- les enfants : considère bien ta situation, tu as la bénédiction de tes parents
45- le traitement que tu as fait à tes parents, tes enfants te le font subir
46- chacun récolte ce qu’il a, de ses propres mains, semé
47- le bon grain produit le bon et le mauvais produit le mauvais
48- la terre produit ce qu’on a semé, elle ne change jamais les semences
49- le vieux : faire et éduquer des enfants pour l’amour de Dieu, et ne jamais compter
sur eux
50- les enfants ne te seront d’aucun secours quand tu vieillis et la force te fait défaut
51- bien que vous soyez nombreux, tu finiras seul dans ton foyer
52- on commence la vie à deux et la finit à deux, il ne faut pas se leurrer
53- tu laisseras ta femme après toi ou c’est elle qui te laissera, tes enfants ne se
soucieront point
54- que Dieu nous accorde des enfants obéissants et sages
55- que Dieu nous accorde des enfants obéissants et bien éduqués
56- que Dieu nous compte parmi ceux qui ont la bénédiction de leurs parents
57- Dieu, dans son livre, recommande d’obéir aux parents, même égarés
58- Dieu et le prophète nous conseillent d’obéir aux parents
59- ne fait pas de peine à tes parents, tu commettrais un pêché grave
60- le paradis est « sous le pied de ta mère », prends soin d’elle pour éviter d’avoir des
regrets.
Force est de constater que la transcription des textes de littérature orale, quoique
jugée limitée et souvent qualifiée de réductrice, a suscité un grand intérêt et a
permis un renouveau remarquable et une dynamique intéressante dans le domaine
de la création et des études consacrées à l’oralité.
En effet, plusieurs formes de créations littéraires vont voir le jour dans cette
position charnière entre l’oralité et l’écriture. Il s’agit de productions littéraires qui
s’inspirent des œuvres orales et qui sont élaborées et produites en dehors des
situations habituelles de l’oralité première en s’appropriant d’autres modes de
réception plus individualisés et de moins en moins ritualisés.7
Les œuvres ainsi créées sont conçues pour être reproduites à l’infini,
indépendamment de leur créateur et sans rapport avec le cadre de la performance.
Ce qui constitue une différence fondamentale entre le mode de ces œuvres
littéraires et le mode de l’oralité première.
Avec l’évolution des sociétés traditionnelles et les changements survenus dans
les structures sociales, d’autres formes de créations et de transmissions des œuvres
orales apparaissent et influencent profondément le mode de l’oralité. Ces nouvelles
7 Signalons que Ursula Baumgardt désigne cette forme de création par le terme de « néo-
oralité » : 2008, « Variabilité, transmission, création », in Littératures orales africaines, perspectives
théoriques et méthodologiques, Karthala, Paris, 77-101.

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte
formes constituent ce qu’on pourrait appeler le signe avant-coureur du passage au
mode de l’écriture.
En définitive, nous constatons que dans toutes les cultures l’oralité et l’écriture
ont toujours coexisté, chaque mode fonctionnant selon sa spécificité. Malgré
l’avantage donné par l’imprimerie à l’écriture, celle-ci pas banni l’oral du domaine
de la création littéraire.
À propos de la volonté de transcrire les œuvres littéraires orales pour les
sauvegarder, nous citons l’affirmation ci-dessous quoique située dans un autre
contexte historique. Il s’agit du dieu Theuth, inventeur entre autres arts, de
l’écriture, qui veut persuader le roi d’Égypte Thamous de communiquer à ses sujets
cette invention qui leur apportera mémoire et instruction, Thamous répond,
considérant les véritables effets de cette découvertes :
« Cette connaissance aura pour résultat, chez ceux qui l’auront acquise, de rendre
leurs âmes oublieuses, parce qu’ils cesseront d’exercer leur mémoire: mettant en
effet leur confiance dans l’écrit, c’est du dehors, grâce à des empreintes
étrangères, non du dedans et grâce à eux-mêmes qu’ils se remémoreront les
choses. Ce n’est donc pas pour la mémoire, c’est pour la remémoration que tu as
découvert un remède ».8
De cette réponse historique, nous pouvons conclure que l’oralité est un mode
civilisationnel qui véhicule le génie des sociétés à travers la parole qui atteste de la
grandeur de l’âme et l’attachement aux valeurs humaines des communautés dites
« traditionnelles ».
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
DERIVE, Jean, 2008, « L’oralité, un mode de civilisation », in Littérature orales
africaines : Perspectives théoriques et méthodologiques, Karthala, Paris, 17-
34.
BAUMGARDT, Ursula, 2008, « Variabilité, transmission, création », in Littératures
orales africaines, perspectives théoriques et méthodologiques, 77-101.
GALAND-PERNET, Paulette, 1987, « Littérature orale et représentation du texte : les
poèmes berbères traditionnels », in Étude de littérature ancienne, 3, Presse
de l’École Normale Supérieure (PENS), Paris,107-118.
_____, 1998, Littératures berbères. Des voix. Des lettres, PUF, Paris.
8 Platon, Phèdre (trad. L. Robin, 1933, Les Belles Lettres) 274-275, cité par Paulette Galand-Pernet,
1998, op. cit., 1, 168.

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Hachem Jarmouni
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ONG, J. Walter, 1982, Orality and Literacy. The Technologizing of the Word,
Methuen, Londres/New York.
TAÏFI, Miloud, 1996, « La transcription de la poésie orale : de la transparence orale
à l’opacité scripturale. », in Études et Documents Berbères, 11, 133-147.
YACINE, Tassadit, 1987, Poésie berbère et identité. Qasi Udifella, héraut des Aït
Sidi Braham, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris.
ZUMTHOR, Paul, 1983, Introduction à la poésie orale, Le Seuil, Paris.
_____, 1994, « Poésie et vocalité au Moyen Age », in Cahiers de littérature orale,
Oralité médiévale, 36, 23-34.
ABSTRACT
In order to properly study the oral Amazigh literature, it is necessary first to
devote thought to orality as a specific cultural way of verbal communication
context within which this literature occurs. Orality is part of an utterance
consciously uttered in a specific way during situations subject to some degree of
ritual. It is based on the notion of performance which is the concrete realization of
the oral work. But this form inherently evanescent motivates the use of
transcription or recording to safeguard oral work. This act proves gear because the
resulting product is cut off from his position and only one element of the semantic
structure based on other components giving it its social dimension.

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La littérature amazighe orale: de la performance au texte

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KHADIJA MOUHSINE
La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui :
le roman et la nouvelle
Introduction
Pendant longtemps la littérature amazighe (berbère) renvoyait exclusivement à
ses réalisations orales et au niveau de sa genèse, à la recherche des premières traces
écrites dans cette langue. C’est dire qu’une véritable révolution a eu lieu, celle là
même qui nous permet de traiter du sujet aujourd’hui, sans en souligner le caractère
singulier ou exceptionnel.
Il est utile de rappeler le contexte historique dans lequel des textes littéraires
d’expression amazighe ont paru et se sont multipliés. Le Maroc est allé
progressivement vers une réconciliation pacifique avec son histoire ancienne, ses
identités et racines multiples, assumées désormais comme richesse et patrimoine
commun. Cette nouvelle approche s’est concrétisée par la reconnaissance progressive
de la langue, de l’identité et de la culture amazighes, langue consacrée aujourd’hui
puisque la dernière constitution de 2011 lui donne statut de langue officielle.
L’enseignement de l’Amazigh dans le système scolaire, malgré les nombreux
problèmes qui l’entravent encore, la présence des Études Amazighes en tant que
discipline de spécialité dans des universités marocaines et à différents niveaux (licence,
master, doctorat) sont autant de signes positifs qui en font un champ de connaissance,
de formation et de recherche autonome, alors que pendant longtemps, depuis les années
soixante-dix, la recherche dans le domaine se faisait de façon ‘clandestine’ dans le
cadre d’autres filières de langues.
La création littéraire en amazigh n’a fort heureusement pas attendu le nouveau
statut de la langue pour voir le jour, de tentatives timides plus ou moins reconnues,
elle couvre aujourd’hui la plupart des genres littéraires universaux surtout depuis
quelque deux décennies où des genres nouveaux ont vu le jour, notamment le
roman et la nouvelle. Cette nouvelle consacre la diversité de la littérature
marocaine qui se décline désormais en expressions linguistiques différentes : arabe,
français, amazigh, etc.

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La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle
Je tenterai d’en donner un aperçu en m’arrêtant aux genres, aux auteurs, aux
thèmes et problématiques et en soulevant l’épineuse question de la réception.
La transition vers la nouvelle et le roman
La littérature amazighe écrite contemporaine est relativement récente, le premier
recueil du poète Mohammed Moustaoui, Imouzzar date de 1974, suivi d’Iskraf
(Entraves) en 1976, puis Taḍsa d imttawn (« Rires et larmes ») en 1979.
Ali Sedki Azaykou1, poète de la modernité, innove avec une écriture, une forme
et des thèmes nouveaux, rompant avec la poésie traditionnelle dans ses versions
orale ou écrite. Son recueil Timitar (« Signes ») paraît en 1988, il y aborde de
nouvelles thématiques : l’identité, la langue, etc. et introduit le vers libre. En 1995
paraît son second recueil, Izmouln (« Cicatrices »).
Dans les années quatre-vingt paraissent également les premiers textes en prose,
récits, contes et nouvelles : Hassan Idbelkacem publie Imarayn (« Les amants »)2
en 1989.
Comment s’effectue le passage à l’écriture dans une littérature caractérisée dans
une période historique donnée par l’oralité ? Il est important d’observer le
processus à partir de quelques expériences individuelles. La littérature écrite est
née - je l’ai souligné - de conditions socio-historiques précises ; dans cette
émergence récente, il est intéressant de s’arrêter à certaines étapes, j’en donnerai
des exemples relevant de la littérature narrative en prose.
Du conte oral au conte littéraire écrit : Bouras
Il est utile d’évoquer dans ce sens, une expérience intéressante, celle de Abdelaziz
Bouras qui, avec umiy n Hmu Unamir3 (« Le conte de Hmou Ounamir »), réécrit un
conte oral chleuh très célèbre. Cette réécriture est intéressante à plusieurs niveaux:
le genre est précisé sur la couverture du livre. Au niveau de sa présentation, le texte
est structuré en chapitres ayant chacun un titre. Les expansions du récit se font à
partir du développement de catégories comme la description, les discours
(dialogues, discours indirect, indirect libre).
La réécriture constitue un trait d’union entre récit oral et récit écrit ; il s’agit de
s’inspirer de récits de la littérature orale pour élaborer un conte littéraire. La
1 Ali Sedki Azayko (1942-2004) a publié ce premier recueil en 1988.
2 Recueil de textes courts sans unité thématique ou générique qui a eu le mérite de tenter la
construction de récits en prose selon des normes universelles, abstraction faite ici de l’évaluation de
leur valeur esthétique.
3 Publié en 1991 par L’AMREC (Association marocaine de recherche et d’échanges culturels) à
Rabat ; ce texte est écrit en caractères arabes.

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réécriture signifie que les deux récits sont apparemment identiques : même histoire,
mêmes personnages, mêmes épisodes, même fin. Cependant si le conte oral tient en
deux pages environ - quelle qu’en soit la version - le texte de Bouras en compte
une soixantaine. L’intérêt du texte de Bouras n’est donc pas à chercher du côté du
contenu diégétique, mais bien dans le processus d’écriture lui-même, la différence
quantitative traduit la différence de genre, car nous sommes bien ici face à un conte
écrit, appelé conte littéraire. Du point de vue de la théorie littéraire et des théories
des genres, conte littéraire et nouvelle ne sont pas distincts avec précision.
Les expansions concernent les catégories du récit littéraire bref (conte ou nouvelle):
la description des personnages, de l’espace, les modalités énonciatives: discours
rapportés ; les modalités narratives et le niveau axiologique.
- Certains personnages gagnent en épaisseur à travers leur description, ils
deviennent en quelque sorte plus vraisemblables et moins abstraits. Ainsi,
Ounamir acquiert une dimension plus prosaïque : il travaille, gagne sa vie, fait
fructifier ses biens, ce qui traduit sa maturité, son passage à l’âge adulte et son
sens des responsabilités : ibiks tuggas ns, isala tawwuri ns…ig rbbi lbaraka ġ
tawwuri ns aylliġ fla-s ifid lxir (p. 24).4 La description donne à lire également
les transformations du personnage, il est décrit dans un état dépressif suite au
départ de son épouse bien aimée: imda, yamum, isdid zund aksuġ…iġuf5 (p. 33).
- L’espace ou les espaces sont parfois longuement décrits au point de susciter une
illusion du réel, car la fonction de représentation s’opère à travers la description.
La demeure de Tanirt au septième ciel est décrite comme un riad, avec un
développement du thème.
- Parmi les expansions intéressantes figurent les discours rapportés avec plusieurs
occurrences de scènes dialogales, elles permettent une plus grande présence des
personnages, un dévoilement de leur état psychologique et une lecture de leurs
rapports. Les occurrences du discours indirect libre signalent un degré élaboré
de la présence des discours - on sait que même dans les littératures occidentales
ce n’est que bien tard que cette catégorie a fait l’objet d’une attention plus
particulière. Par sa dualité (marques syntaxiques du récit et du discours) le
discours indirect libre permet la présence de la voix du personnage dans un
énoncé narratif sans les procédés du discours rapporté direct ou indirect, aucun
verbe de locution ne l’introduit : ar issiggil ma ra iskr ? izd ann ibbi f tġri ? nġd
a irur s mani ur t issn yan ? nġd mit yaḍni?6 (p. 15).
4 Il prit son sort en main, se mit au travail et fait fructifier son bien avec l’aide de Dieu, si bien
qu’il connut la prospérité.
5 (Il devint) squelettique, décharné, maigre comme un clou, déprimé.
6 Il ne savait plus quoi faire: arrêter l’école? S’enfuir vers des contrées où personne ne le connaît?
Quel autre recours?

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La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle
- Le niveau axiologique enfin oriente l’interprétation du récit. La voix du
narrateur annonce la couleur dès l’ouverture du texte ; alors que toutes les
versions commencent par ikka tt in ya ufrux…(« Il était une fois un (petit)
garçon…») ici on lit : tkka tt inn yat tmġart…immut as urgaz ifl asd ya ufrux…(«
Il était une fois une femme…son mari décéda et lui laissa un garçon »). La
première expansion détaille les sacrifices de cette mère pour élever son enfant,
l’instruire et lui préparer un avenir. Cette dimension est cependant assortie d’un
contrat explicite sous forme d’attente de la mère: lorsqu’il sera grand, il la
prendra en charge : bas kudna imqqor a fla-s yasi ddrk yall srs ġklli s tinn ikka
bab-s art iskar ix uggar7 (p. 12).
- Cette dimension privilégie le sens du devoir, d’une certaine morale. Le départ
du fils prend le sens d’un abandon de la mère et donc une faute. La fin du texte
confirme cette interprétation : alors que dans les versions orales on assiste à la
dualité de la sanction : mort somatique d’Ounamir doublée de sa renaissance
puisque de ses doigts essaimés jaillissent des sources d’eau, ici la fin ne retient
que la dimension somatique, évaluée du reste par sa mère comme une sanction
négative : immut umzwug n tayri..immut unamir (« le nostalgique de l’amour est
mort, Ounamir est mort ») (p. 61).
La nouvelle : tiġri n tbrat de Essafi Moumen Ali (1993) (Lecture de la lettre)8
Aucune indication générique ne figure sur la couverture de ce récit, notre
dénomination générique n’est donc justifiée que par l’appréciation de la
construction et de la structure de ce texte de 83 pages.
C’est l’histoire d’une veuve Lalla Fadm qui habite avec sa bru dans un douar
perdu dans la montagne, difficile d’accès, complètement isolé en temps de pluie.
Dans ce coin de l’Anti-Atlas, il ne reste plus que les femmes et les vieux, les jeunes
sont partis à la recherche d’un travail plus au Nord ou à l’étranger. Le douar ne
compte même plus de Fqih, celui d’un village des environs y vient par
intermittence. Ni route, ni eau courante, ni électricité, le moyen de transport reste
l’âne ou la mule. Hmmou, le fils de Lalla Fadm est parti lui aussi en France, elle
n’a pas eu de ses nouvelles depuis des années. Un jour, un homme du village lui
apporte une lettre, supposée être de son fils. Cette missive crée l’événement, c’est
d’abord la preuve que Hmmou est toujours en vie ; mais c’est aussi un non-
événement : son contenu - en arabe - n’est pas compris par le petit garçon sollicité
7 Ainsi, quand il grandira, il la prendra en charge à son tour comme le fit jadis son père, voire
davantage.
8 Essafi Moumen Ali avait publié auparavant la première pièce de théâtre écrite, intitulée ussan
ṣmmidnin (« Jours froids »).

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pour la lire, il sait pourtant déchiffrer les lettres, mais ne comprend pas encore la
langue arabe, langue de l’école. Le suspense est maintenu jusqu’à la résolution. La
lettre annonçait en fait l’arrivée de Hmmou, devenu propriétaire du cirque où il fut
saltimbanque, mais non lue, elle a gardé son secret. Le dénouement est bien mené
sous forme de coup de théâtre et retournement de la situation, le fils arrive au
village au moment opportun car la veille, de fortes pluies avaient eu raison de la
maison familiale dont une bonne partie s’est effondrée épargnant heureusement la
mère et la femme.
Coïncidence ? Le fils s’appelle Hmmou, tel l’autre Hmou, Ounamir, il est orphelin
de père lui aussi et a abandonné sa mère - et sa femme - des années durant. La relation
à la mère est la dimension privilégiée dans cette fiction. Mais le retour à la mère et au
terroir se fait ici de façon plus vraisemblable et plus réaliste avec un happy end: le fils
retrouve les siens et les sauve de la misère.
Pourquoi est-on autorisé à évoquer l’histoire d’Ounamir et à parler de réécriture ?
Après une longue absence et un parcours plus ou moins chaotique, Hmmou fait un rêve
prémonitoire : sa mère y apparaît et dans son songe, c’est un grand oiseau qui le
transporte et là, il voit et entend sa mère. L’analogie s’arrête là car la fin diffère de celle
du mythe d’Ounamir. Le retour réel de Hmmou et de son cirque itinérant constitue un
rebondissement inattendu et conforme ce récit aux normes du genre, la nouvelle.
Notons qu’au niveau axiologique certaines valeurs prévalent: le sens du devoir là
encore préside à ce retour.
La situation de l’histoire dans un temps et un espace vraisemblables contribue à
l’illusion du réel, mais la langue amazighe reste encore ici inséparable d’un
ancrage rural, il semble constituer un fondement incontournable de l’identité:
vocabulaire, images, insertion d’aphorismes qui inscrivent la sagesse des ancêtres.
Ceci s’accompagne également d’une vision nostalgique, romanesque ou idyllique
de la communauté présentée comme solidaire, unie autour de l’attachement au
terroir et à ses valeurs.
Naissance du roman
À la fin des années 1990 et dans les années 2000 paraissent des textes littéraires
amazighes portant tous l’indication du genre, ungal. Cette appellation inscrit et
affiche l’écriture d’un genre jusqu’alors inexistant en berbère; elle a de plus
l’avantage d’être un terme commun à l’aire amazighophone, utilisé aussi en kabyle.
Quelques titres:
- El Khatir Aboulkacem Afulay : imula n tmktit, 2002.
- Mohamed Akunad : tawargit d imik, 2002 ; ijjign n tidi, 2007; vient de paraître:
tamurt n ilfawn, 2012.

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La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle
- Mohamed Bouzzagou : jar u jar, 2004.
- Ali Ikken : askkif n inẓaḍan, 2004.
- Lhoussain Azergui : aġrum n ihaqqarn, 2005; il en publie une version en
français Le pain des corbeaux en 2012 ; iġd n tlelli ; imggura ġ imaziġn
- Brahim Laasri : ijawwan n tayri, 2008 ; ismḍal n tmagit, 2012.9
- Abdallah Sabri : azrf akušam, 2009.
- Lhoucine Bouyaakoubi : igḍaḍ n wihran, 2010.
Les auteurs sont pour la plupart des intellectuels conscients de la nécessité de
défendre et de sauver leur langue et leur culture, l’écriture est donc d’abord un acte
d’engagement où le devoir faire est la motivation première. On peut toutefois
s’interroger sur l’incidence de cette posture militante car certains thèmes et
problématiques des premiers textes romanesques - mais aussi poétiques - me
semblent en corrélation avec cette attitude. Il en est ainsi de la revendication
linguistique et identitaire, de la présence du terroir et des valeurs ancestrales
idéalisées : les rites, les coutumes en partage garantiraient l’homogénéité illusoire?
Le vivre ensemble en paix du village préservé de toute autre forme d’invasion ou
d’entrisme. Ainsi, l’espace le plus récurrent dans la nouvelle et le roman est celui
de la campagne, lieu de préservation de la langue, de la mémoire et de la culture
amazighes.
Fort heureusement, ce choix n’est plus exclusivement la norme, il est même
chez certains auteurs qui en sont à leur second ou troisième roman, parfois amendé.
C’est comme si, dans cette ‘histoire’ trop récente de la littérature écrite amazighe,
cette posture était un passage obligé, une sorte de profession de foi. Mais une fois
l’identité amazighe affirmée par l’écrit et représentée à travers la fiction, on peut se
dédouaner et passer à autre chose. Si dans ce parcours, le militant le cédait à
l’écrivain de talent, on ne pourrait qu’applaudir.
Thèmes et problématiques
 Ils sont comme souligné, en relation avec les questions de la langue et de
l’identité.
 Les romans qui traitent de cette dimension mettent souvent en scène des
personnages du terroir qui évoluent dans un espace rural (langue; structures
sociales; asays; les coutumes comme azrf, ahwach, etc. Illusion d’un monde
homogène, sorte de paradis perdu.
9 Il a également publié en 2009 un recueil de nouvelles intitulé aczri n tuẒẒumt (Le jeune homme
du milieu). Ce texte porte une indication générique sur la couverture, tullisin, du verbe als: redire,
refaire, raconter.

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Khadija Mouhsine
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 L’espace rural est consacré comme espace « naturel » de la langue, il est
censé fonder la vraisemblance. Le thème dominant dans le roman de Mohamed
Akunad, tawwargit d imik,10 par exemple, est celui de la langue et de l’identité
amazighe. Le personnage principal, Si Brahim Tachnyart atterrit comme fkih dans
le village des Ait Usul. Malgré tous les efforts qu’il déploie pour travailler ses
prêches, il ne réussit pas à intéresser son auditoire ; en désespoir de cause il se
résout à dire son prêche en amazigh, langue des villageois et depuis lors, la
mosquée ne désemplit plus. Sauf que cette initiative et la libération de la parole des
villageois ne sont pas appréciées par les autorités locales. Si Brahim se retrouve
alors, à son corps défendant, au centre d’un conflit entre le Makhzen et les
villageois, conflit où la langue au-delà d’un instrument d’expression et de
communication, devient un enjeu de pouvoir.
 L’Histoire et la mémoire sont des problématiques communes à plusieurs
romans : l’histoire du Rif dans jar u jar; l’Histoire plus récente comme les
événements de Goulmima dans le roman de Ikken, azkkif n inẓaan et dans celui de
Azergui, aġrum n ihaqqarn, récit en partie autobiographique qui s’inspire du
parcours de l’auteur, lui-même victime de la répression de ces événements.
 L’Histoire sociale : ijjign n tidi11
de Akunad raconte l’histoire de
l’immigration à travers le parcours d’un personnage rappelant une période
historique de l’émigration des hommes du Souss et la façon dont sévissait Mora,
recruteur attitré palpant les hommes comme du bétail et dont le souvenir reste
vivace dans la région.
On retrouve aussi cette problématique dans le roman de Bouyaakoubi igḍaḍ n
wihran.
 Problématiques sociales: les jeunes, la condition des femmes, sujet principal de
ijawwan n tayri de Brahim Lasri dont les romans privilégient l’espace citadin.
Problématiques que l’on retrouve également sous la plume d’autres écrivains
marocains comme Nedali, Binebine, Souag, etc. Ijawwan n tayri (Les tempêtes de
l’amour) est un roman plus ‘moderne’ aussi bien dans sa construction que pour ses
thèmes ou encore la typologie des personnages. C’est une héroïne que le narrateur met
en scène, elle est certes issue du terroir : elle parle tachelhit, sa langue maternelle, elle
passe des vacances scolaires au bled chez sa grand-mère, mais c’est une jeune citadine
à plus d’un titre. La première description qui en est faite la distingue des personnages
féminins des autres romans amazighs, elle souligne la féminité, le charme d’une jeune
fille libre et « libérée » :
10 Le rêve et un peu plus, Publié en 2012 aux éditions Bouregreg. Une version française du roman
vient de paraître sous un intitulé autre Un youyou dans la mosquée, traduction de Lahcen Nachef,
Agadir Impression Edition; 2014.
11 Publié en 2007, Imprimerie Al Aqlam. Traduit « Les fruits de la sueur »; communément admise
- notamment sur les sites internet, c’est une traduction plutôt littérale.

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La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle
yat tfruxt zund ayyur…tawnza…ssrwal n djin lli tlsa ur ifl i tfiyyi-ns mani g
tsunfus…krat tijarrayin lli ur iqqn ard ssagg°ant ardadn n tdmarin ns12
(p. 6).
 La problématique du roman focalise sur la difficile libération des femmes en
butte aux résistances et à l’état des mentalités qui n’ont guère évolué. Déjà au
lycée, sa beauté - dont elle est consciente et qu’elle assume - et sa posture lui valent
des succès et des conquêtes. Mais Tilelli connaîtra la descente aux enfers ; lors
d’un séjour chez sa grand-mère, elle a une aventure avec son cousin et tombe
enceinte. La voilà donc obligée de quitter la maison familiale pour éviter le
scandale, la faute d’honneur ; elle vient chercher refuge à Agadir chez Izil, un
ancien camarade de lycée, jadis, amoureux fou d’elle.
La construction du roman est singulière, elle tient du roman psychologique car
il y a peu d’actions mais beaucoup de réflexions que livrent les nombreux
dialogues ; comme dans une pièce de théâtre, les personnages parlent ou leurs
parole et pensées sont rapportées par le narrateur, ce qui nous renseigne sur leurs
relations, sur les états d’âme de chacun dans une épreuve difficile à vivre aux plans
personnel et social.
Ces éléments construisent et marquent la modernité de ce roman quelque peu
affranchi des thématiques identitaires et nostalgiques pour retenir des problèmes de
société.
Problème de la réception
On ne peut que saluer l’émergence d’une littérature amazighe écrite qui enrichit
le champ littéraire et culturel marocain. Son existence est importante, voire vitale
pour la fixation et le travail de la langue. Cette existence est évidemment tributaire
de sa réception : qui lit ? De Quel est le lectorat ciblé?
Les sujets et problématiques de ces romans sont en cohérence avec la mission
dont se croient investis les auteurs. Il est certain que la posture militante de
l’auteur construit implicitement l’image du récepteur/lecteur auquel il s’adresse.
Dire, c’est agir, l’auteur cherche l’adhésion du lecteur pour partager les valeurs
qui sous-tendent son texte, elles sont relatives à l’identité amazighe affirmée,
assumée et à promouvoir ou encore à des revendications de liberté à travers la
dénonciation de toute forme d’oppression. L’auteur se considère ainsi investi
d’une mission.
12 « Une fille (resplendissante) comme la lune. Une frange! Serrée dans son pantalon jean qui ne
laisse à la peau aucun espace pour respirer…les trois premiers boutons ouverts de sa chemise laissent
apparaître le bulbe de ses seins ».

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Khadija Mouhsine
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Toutefois, ce que nous appelons le roman amazigh se décline aujourd’hui, pour ce
qui est du Maroc, en roman en tachelhit, en tamazight ou en tarifit,13 car les auteurs
écrivent dans leur parler respectif. Certes, on ne peut écrire que dans la langue qu’on
possède et qu’on habite, la dimension esthétique elle-même en est tributaire, mais à
l’étape actuelle force est de constater les limites de l’intercompréhension entre les trois
parlers et par conséquent la réduction du lectorat d’abord aux locuteurs de la langue de
l’œuvre. Ce n’est là qu’un aspect du problème auquel il convient d’ajouter celui de la
graphie : les romans édités adoptent une transcription en caractères latins, arabes et/ou
tifinagh ce qui complique l’accès à la lisibilité des textes. Par ailleurs une faible
maîtrise de la morphologie, de la syntaxe et du système phonologique fait que l’auteur
donne à lire la transcription phonétique de son idiolecte.
Les auteurs sont pour la plupart conscients des conditions actuelles de la réception
des textes littéraires écrits. Certains s’appliquent à travailler l’expression pour une
qualité littéraire de la langue, mais se soucient également de l’intercompréhension,
d’où une propension au recours aux néologismes. Si dans l’absolu, cette préoccupation
paraît louable, le résultat ne sert pas toujours l’objectif, en effet, les néologismes sont
souvent l’expression d’un effort individuel et ne vont pas nécessairement dans le sens
d’une standardisation progressive de la langue que seule une institution peut
promouvoir. Truffés de néologismes, les textes en deviennent difficiles d’accès, les
auteurs sont eux-mêmes conscients de cet obstacle à la lisibilité de leurs romans
puisqu’ils accompagnent les termes difficiles - leurs néologismes - de notes qui en
explicitent le sens dans le parler, parfois ces précisions sont suivies d’une traduction en
français ou en arabe, Akunad notamment est rompu à cet exercice.
Du point de vue d’une poétique du genre, la construction des romans amazighs
répond aux canons et conventions du genre: les intrigues élaborées sont la plupart
du temps simples s’attachant essentiellement au parcours d’un personnage. Le récit
intègre des descriptions de lieux, d’objets et de personnages ; il est agrémenté par
la présence de dialogues et d’autres formes de discours. La narration est parfois
modulée en plusieurs instances. Elle est le plus souvent faite à la troisième
personne. Mais le roman à la première personne fait aussi son apparition, c’est le
cas de ijjign n tidi ou d’aġrum n ihaqqarn.
On signalera que pour le moment certains genres de roman ne sont pas présents,
le roman policier ou noir, le roman d’aventures, ou encore le fantastique ou la
science-fiction, par ailleurs ces types ne sont pas tous présents dans le roman
marocain en arabe ou en français.
L’avenir semble prometteur car certains auteurs semblent avoir pris goût à
l’écriture, comptant déjà trois romans à leur actif, c’est le cas de Akunad, Laasri ou
Azergui.
13 Il en est de même en Algérie où l’on parlera plutôt du roman kabyle.

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La littérature berbère (amazighe) écrite aujourd’hui : le roman et la nouvelle
RÉFÉRENCES
AKUNAD, Mohamed, Tawargit d imik, 2002, Éditions Bouregreg, Rabat.
_____, 2014, Un youyou dans la mosquée, traduction de Lahcen Nachef,
Impression Édition, Agadir.
_____, 2007, Ijjign n tidi, Imprimerie Al Aqlam, Rabat.
_____, 2012, Tamurt n ilfawn, Dar Essalam, Rabat.
AZAYKOU, Ali Sedki, 1988, Timitar (« Signes »), Okad, Rabat.
_____, Izmouln (« Cicatrices »), 1995, Najah Al Jadida, Casablanca.
AZERGUI, Lhoussain, 2005, Aġrum n ihaqqarn, Imprimerie IDGL, Rabat.
_____, 2012, Iġd n tlelli ; imggura ġ imaziġn, éd. Berbères, Paris.
BOUZZAGOU, Mohamed, 2004, Jar u jar, Tiphagraph, Berkane.
BOUYAAKOUBI, Lhoucine, 2010, Igḍaḍ n wihran, Sidi Moumen, Casablanca.
EL KHATIR, Aboulkacem Afulay, 2002, Imula n tmktit, Tizrigin Phediprint.
IDBELKACEM, Hassan, 1981, Imarayn (« Les amants ») AMREC, Rabat.
IKKEN, Ali, 2004, Askkif n inẓaḍen, IRCAM, Rabat.
LAASRI, Brahim, 2008, Ijawwan n tayri, Imprimerie IDGL, Rabat.
_____, 2012, Ismḍal n tmagit, Imprimerie IDGL, Rabat.
MOUSTAOUI, Mohammed, 1974, Imouzzar, AMREC, Rabat.
_____, 1979, Taḍsa d imttawn (« Rires et larmes »), Annajah Al Jadida, Casablanca.
SABRI, Abdallah, 2009, Azrf akušam, Sidi Moumen, Casablanca.
ABSTRACT
For two decades we have witnessed a major turning point in the Amazigh
cultural area including the publication of short stories and novels. This marks the
transition from oral to written literature borrows universal norms and conventions
of the narrative genres.
From reading some of these productions, the paper will present the authors, the
different themes and writing strategies of selected texts.

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SAMIRA MOUKRIM
Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité
dans un processus de standardisation de l’amazighe?
Introduction
La standardisation de l’amazigh a pour principe d’éliminer les variations non
fonctionnelles et aussi les phénomènes liés à la production de l’oral comme les
répétitions, les hésitations, les autocorrections, les amorces, etc. lesquels sont très
fréquents dans la parole spontanée.
Or ces phénomènes ont une réelle valeur fonctionnelle car ils sont porteurs
d’informations. Servant d’indices de la mise en place de syntagmes par le
locuteur,1 ils correspondent à la mise en œuvre en temps réel des structures de la
langue et pourraient donc nous renseigner sur le fonctionnement de l’amazigh.
D’autre part, l’intégration de l’amazigh dans les nouvelles technologies de
l’information, nécessite la prise en compte de ces phénomènes (appelés
disfluences) car ils constituent une réelle difficulté en termes d’annotation.
Dans ce papier, nous allons passer en revue un certain nombre de phénomènes
spécifiques à la langue parlée en présentant deux méthodes de traitement, l’une
pour l’analyse grammaticale des énoncés contenant ces phénomènes et l’autre pour
leur traitement automatique. Nous allons voir que leur prise en compte nécessitera
une adaptation des outils de l’écrit pour l’analyse de l’oral.
1. Langues à « tradition écrite standard » vs langues à « tradition orale »: deux
processus inverses
Si pour les langues à tradition écrite standard et bien établie (ces langues où des
voix s’élèvent pour revaloriser la langue parlée en lui donnant un statut à part
1 Claire Blanche-Benveniste, 2003, « La naissance des syntagmes dans les hésitations et
répétitions du parler », in Le sens et la mesure : de la pragmatique à a métrique, Hommages à Benoît
de Cornulier, Paris, Champion, 153-169.

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Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
entière), la transcription de l’oral pose problème à cause des dissemblances entre
oral et écrit, pour les langues à tradition orale, elles, on est dans la situation
(processus) inverse: étant dans l’oralité (quasi-) « totale », on est en quête d’un
« standard », quitte à écraser les caractéristiques de l’oralité en s’éloignant des
réalisations effectives de la langue.
Dans le cas de l’amazigh, on travaille actuellement, d’arrache-pied pour la
standardisation ou plutôt la normalisation de celle-ci.2 On essaie d’intervenir sur
la langue pour en faire un « standard » fondé sur une norme linguistique définie
au préalable.3 Toutefois - comme pour les langues à tradition écrite standard et
2 L’IRCAM au Maroc : L’Institut Royal de la Culture Amazighe est une institution publique
marocaine dévolue à la promotion de l’amazigh et à son insertion dans l’enseignement, les médias et
la vie publique en général.
3 Pour Ahmed Boukous (2009, « Aménagement de l’amazighe : pour une planification stratégique »,
in Asinag, n°3, Publication de l’IRCAM, Rabat, 13-40), la langue standard se définit par trois facteurs
convergents (32-33) :
(i) la description technique de la norme ;
(ii) l’implantation de la norme dans les milieux des professionnels de la langue comme les
écrivains, les artistes de la parole et dans les usages institutionnalisés ; et
(iii) la reconnaissance de la norme légitime au niveau social.
La description de la norme légitime permet de réaliser deux objectifs techniques :

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Samira Moukrim
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stabilisée - une fois ce stade de langue « standard » réalisé, on risque de faire le
chemin inverse, en quête, cette fois, non pas d’un standard mais des réalisations
effectives de la langue. Pour éviter cette situation, le mieux serait de garder une
place pour les phénomènes liés à l’oralité, lors de l’intervention sur le corpus.
2. Outil de transcription: TRANSCRIBER
Ces dernières années, les outils informatiques ont fortement évolué : plus
performants, plus rapides, ils permettent des exploitations autrefois inconcevables.
Cette évolution a eu des répercussions sur les transcriptions elles-mêmes et sur les
exploitations que l’on peut en faire.
Notre corpus4 a été transcrit sous TRANSCRIBER,5 un logiciel d’aide à la
transcription manuelle de fichiers audio qui permet de transcrire de nombreuses
langues y compris non européennes. Transcriber est un logiciel adapté à une
transcription orthographique élémentaire et à une segmentation synchronisation. Il
ne pose aucun problème d’irréversibilité dans la mesure où il est possible de
transcrire les corpus dans les formats qu’il génère (XML, HTML, texte brut) puis
d’utiliser d’autres logiciels pour procéder à d’autres types d’analyses, prosodique,
morphosyntaxique...
(i) expliciter les « codes fondamentaux » de la langue standard dans des ouvrages de référence, à
savoir la graphie, l’orthographe, la grammaire et la prononciation ; et
(ii) confectionner des dictionnaires de langue, dictionnaires généraux et dictionnaires spécialisés,
décrivant le sens, la forme, les usages, les synonymes et les antonymes de la forme normée par
rapport aux variantes.
4 Le corpus a été constitué auprès de locuteurs marocains amazighophones résidant à Orléans
(France). Il s’agit plus précisément du dialecte tamazight parlé au Moyen Atlas. Les enregistrements
ont été recueillis à Orléans entre 2008 et 2009 et présentent environ huit heures de son au total. Pour
plus de détails sur la constitution et le traitement du corpus, voir Samira Moukrim, 2010,
Morphosyntaxe et sémantique du « présent » : une étude contrastive à partir de corpus oraux, arabe
marocain, berbère tamazight et français (ESLO/LCO), Thèse de doctorat, Université d’Orléans.
5 Concepteur du logiciel : Claude Barras - Edouard Geoffrois, Zhibiao Wu, Mark Liberman,
1998, Transcriber : a Free Tool for Segmenting, Labelling and Transcribing Speech, First
International Conference on Language Resources and Evaluation (LREC), 1373-1376. TRANSCRIBER
ainsi que la documentation qui l’accompagne sont téléchargeables gratuitement à l’adresse :
http://trans.sourceforge.net/

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Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
Figure 1: Capture d’écran de l’interface de transcription du logiciel TRANSCRIBER
On distingue ainsi la phase de transcription proprement dite de celle de
l’enrichissement (annotations morphosyntaxiques, prosodiques, etc.). La
synchronisation texte/son offre la possibilité de combiner à la lecture du texte
l’écoute du son de manière suivie, ce qui facilite la correction de la
transcription.
Ayant toujours travaillé sur des données authentiques orales, nous nous sommes
interrogée sur la possibilité de conserver les deux versions de la langue : i) la langue
orale avec toutes ses caractéristiques, surtout que certains logiciels, comme
Transcriber, permettent une transcription synchronisée au son, et aussi, ii) une
version de la langue, dite correcte ou normée.
3. Les phénomènes liés à la production de l’oral en amazigh
Comme c’est le cas dans toutes les langues parlées, l’amazigh oral spontané se
caractérise par un certain nombre de phénomènes liés à la production de l’oral.
N’étant pas fortuites, ces disfluences peuvent nous renseigner sur le
fonctionnement ou la structuration de la langue amazighe et permettre ainsi de
mettre la lumière sur nombre de zones d’ombre encore inexplorées dans cette
langue. D’où l’importance d’étudier ces phénomènes très fréquents dans la langue
parlée:

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Exemples:
Ces phénomènes dits disfluences sont qualifiés de :
- « Modes de production de l’oral ».6
- « Marques du travail de formulation ».7
- « Marques de discours en cours d’élaboration ».8
Ce sont des traces de la production du discours au même titre qu’un brouillon à
l’écrit :9
6 Claire Blanche-Benveniste, 1990, « Un modèle d’analyse syntaxique ‘en grille’ pour les
productions orales », in Liliane Tolchinsky (coord.), Anuario de Psicologia, vol. 47, Barcelona, 11-
28.
7 Mary-Annik Morel - Laurent Danon-Boileau, 1998, Grammaire de l’intonation : l’exemple du
français, Ophrys, Paris.
8 Anne Dister, 2007, De la transcription à l’étiquetage morphosyntaxique de corpus de parole. Le
cas de la banque de données VALIBEL, Thèse de doctorat, Université de Louvain.
9 Claire Blanche-Benveniste - Colette Jeanjean, 1987, Le français parlé - Édition et transcription,
Didier-Érudition, Paris, 155-161.

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Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
Ces phénomènes sont porteurs d’informations : les hésitations et répétitions, par
exemple, peuvent indiquer des ruptures syntaxiques. Ils correspondent à la mise en
œuvre en temps réel des structures de la langue. Ce sont les traces du processus de
fabrication des énoncés. Ils ont donc une valeur fonctionnelle réelle.
Parmi ces phénomènes, on trouve: répétitions, amorces, hésitations,
inachèvements, autocorrection …
a. Les amorces: Elles correspondent à l’interruption d’un mot avant sa
prononciation complète. Lorsque le locuteur commence un mot et ne le termine
pas, un tiret est ajouté à la partie tronquée :10
10 Contrairement au tiret utilisé pour relier les affixes avec le mot auquel ils se rapportent en
berbère et qui ne présente pas d’espacement ni avant ni après, le tiret de la troncature est suivi d’un
espace (i.e. écart entre le mot tronqué et le mot suivant).

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b. Les autocorrections et les hésitations : C’est la substitution d’un mot ou
d’une série de mots à d’autres afin de modifier ou corriger une partie de l’énoncé :
Le locuteur répare son énoncé en répétant une construction amorcée et en la
complétant.
Les autocorrections immédiates constituent une variante de la répétition.11
c. Les inachèvements : C’est le fait de ne pas terminer l’idée (la laisser en
suspens) et partir sur une autre.
11 Anne Dister, 2008, « L’autocorrection immédiate en français parlé : le cas des déterminants »,
in Actes des JADT 2008 (5e Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles),
Presses universitaires de Lyon, 397- 408.

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Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
d. Imbrication de plusieurs types de phénomènes :
Ces phénomènes peuvent apparaître seuls, ou être imbriqués les uns dans les
autres, comme l’illustre ces exemples où s’entremêlent amorces, répétitions,
hésitations, autocorrections…
4. Les disfluences: quel traitement
L’amazigh étant une langue essentiellement orale, les chercheurs seront amenés
à travailler sur des corpus oraux et donc à traiter ces phénomènes spécifiques à la
parole spontanée.
Or, ces disfluences posent un certain nombre de problèmes, surtout si l’on
envisage d’utiliser ces corpus pour d’autres traitements automatiques. De même,
l’analyse grammaticale de ces phénomènes s’avère difficile car les outils et méthodes
d’analyse utilisés pour l’écrit ne sont pas adaptés à l’oral.
Que ce soit pour la description grammaticale ou pour le traitement automatique
de la langue, deux solutions sont envisageables :
- nettoyer les textes en supprimant ces phénomènes, ou
- les prendre en compte dans l’analyse.
Dans tous les cas, il va falloir les repérer. Je présenterai ci-après deux méthodes
de traitement:
- la mise en grille (C. Blanche-Benveniste) pour l’analyse grammaticale de ces
phénomènes ;
- le Codage par balisage pour leur traitement en TAL.12
12 Marie Piu - Rémi Bove, 2007, « Annotation des disfluences dans les corpus oraux », in
RÉCITAL, 5-8 juin 2007, Toulouse, 397-406.

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115
4.1. L’analyse grammaticale des disfluences: la mise en grille
Pour Claire Blanche-Benveniste,13 qui a étudié le français parlé, ces modes de
production spécifiques de la langue parlée n’entravent nullement l’analyse
grammaticale, il suffit de leur trouver un statut descriptif par la mise en place de
procédures pour en rendre compte.
Elle pose l’hypothèse que « lorsqu’il déroule linéairement l’énoncé qu’il est en
train de construire (qu’on situera sur l’axe syntagmatique), le locuteur peut
interrompre ce déroulement linéaire pour chercher, sur l’axe des paradigmes, parmi
un stock d’éléments potentiellement disponibles, la meilleure dénomination ».
Pour le traitement de ces phénomènes de production de l’oral (répétition,
hésitation, amorces…), l’auteure propose que les énumérations paradigmatiques ou
les accumulations de plusieurs éléments concurrents soient considérées comme des
éléments occupant la même place syntaxique.
Pour l’analyse de notre corpus, nous avons adopté essentiellement la méthode
proposée par C. Blanche-Benveniste (1991-1996) selon laquelle les énumérations
paradigmatiques ou les accumulations de plusieurs éléments concurrents sont
considérés comme des éléments occupant la même place syntaxique, ce qui a
donné les résultats suivants:
- Cas de répétition:
13 Claire Blanche-Benveniste, 1991, « Les études sur l’oral et le travail d’écriture de certains
poètes contemporains », in Langue française, volume 89 N°1, Éditions Armand Colin-Larousse,
Paris, 58.

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Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
Ces éléments produits côte à côte sur la chaîne de la parole sont à considérer, i)
soit comme des séquences syntagmatiques soumises à des règles d’ordre des mots,
ii) soit comme des énumérations paradigmatiques qu’on ne doit pas décrire avec les
mêmes règles. Ce type de représentation, à l’horizontale et à la verticale, permet de
différencier les séquences syntagmatiques des énumérations paradigmatiques.
Pour Constant - Dister,14 les disfluences ont la particularité de briser la linéarité
syntaxique de l’énoncé. Il s’agit de réalisations pouvant présenter un piétinement
sur un même point de l’axe syntagmatique.
- Cas d’autocorrection (et répétition):
Cette procédure permet d’utiliser les outils de l’écrit pour l’analyse de l’oral. En
effet, au lieu d’éliminer ces phénomènes, on peut les intégrer dans l’analyse en
adoptant la notion d’« axe paradigmatique » afin d’en rendre compte.
4.2. Le traitement automatique de ces phénomènes : le codage par balisage
S’inspirant du formalisme XML, Piu et Bove15 ont codé ces phénomènes en
créant des balises délimitant ces segments disfluents. Ils ont créé une balise
encadrante <dis>…</dis> faisant office de délimiteur dans le schéma d’annotation.
14 Matthieu Constant – Anne Dister, 2012, « Les disfluences dans les mots composées », in
Journées sur l’Analyse des Données Textuelles (JADT’12), Jun 2012, Belgium, in
http://www.jadt2012.ulg.ac.be/
15 Marie Piu – Rémi Bove, 2007, op. cit., 397-406.

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Samira Moukrim
117
Ce type de codage a l’avantage de faciliter la hiérarchisation des informations et
d’être un format d’échange standard «universel» :
Une étiquette est attribuée à chaque segment disfluent pour qualifier le type de
disfluences ("rep" pour les répétitions, "ac" pour les autocorrections, "am" pour
les amorces et "dc" pour les disfluences combinées). Ce qui va permettre de
faciliter l’extraction d’informations ponctuelles telle que la répartition des types de
disfluences dans le corpus.
Toutefois, le modèle proposé par Piu et Bove (2007) a rencontré un certain
nombre de difficultés :
-
La principale difficulté réside dans le fait qu’il n’est pas toujours évident
de circonscrire le segment disfluent ;
-
Pour les disfluences imbriquées, la difficulté principale réside dans
l’application d’un balisage correct des disfluences les unes à l’intérieur des autres.

Page 118
118
Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
Conclusion et perspectives
Les phénomènes liés à la production de l’oral n’interviennent pas au hasard
mais apparaissent en fonction de contraintes syntaxiques très précises.16 Ce sont de
précieuses indications sur la structuration syntaxique : on peut en effet voir
fonctionner, à travers les hésitations et retouches que font régulièrement les
locuteurs, certains processus généraux de fabrication des syntagmes.17
Leur suppression implique la non reconnaissance du fonctionnement de la
langue parlée en tant que tel et donc l’impossibilité de retracer le cheminement
qu’a suivi le locuteur pour produire les syntagmes, pour choisir le lexique, etc.
L’étude de ces phénomènes va nous renseigner sur le fonctionnement des
différentes facettes de l’amazigh et aider à l’amélioration des systèmes de
reconnaissance automatique de la parole et de l’étiquetage de corpus oraux. En
effet, une étude approfondie sur corpus s’avère nécessaire pour dégager le
fonctionnement des différents types de disfluences.
Pour notre corpus, nous avons conservé l’intégralité de l’information transcrite
(amorces, répétitions, hésitations…) pour une analyse ultérieure plus fine du
fonctionnement de ces phénomènes. En effet, la meilleure solution serait de garder
deux versions des données : une avec et l’autre sans ces phénomènes.
RÉFÉRENCES
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16 Estelle Campione - Jean Véronis, 2005, « Pauses et hésitations en français spontané », in
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17 Claire Blanche-Benveniste, 1997, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, Paris.

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Colin-Larousse, Paris, 52-71.
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des disfluences dans un système d’analyse syntaxique automatique de
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120
Quel statut pour les phénomènes liés à l’oralité…?
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MOREL, Mary-Annik - DANON-BOILEAU, Laurent, 1998, Grammaire de
l’intonation : l’exemple du français, Ophrys, Paris.
MOUKRIM, Samira, 2010, Morphosyntaxe et sémantique du « présent » : une étude
contrastive à partir de corpus oraux, arabe marocain, berbère tamazight et
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VERONIS, Jean, 1998, « Annotation automatique de corpus : état de la technique »,
in Colloque International « Questions de méthode dans la linguistique de
corpus », Perpignan, 1-13.
ABSTRACT
This communication aims to address specific phenomena to the spoken
language. The standardization of the Amazigh has a policy of eliminating non-
functional variations and also the phenomena related to the production of both oral
repetition, hesitation, self-corrections, primers... which are very common in
spontaneous speech.
However, these phenomena have a real functional value as they carry
information. Serving as indices of the implementation of phrases by the speaker,
they correspond to the real-time implementation of language structures and could
therefore tell us about the functioning of the Amazigh.
Furthermore, the integration of the Amazigh in new information technologies,
requires the consideration of these phenomena (called disfluencies) because they
are a real problem in terms of annotation.

Page 121
KAMAL NAÏT-ZERRAD
Pour une base de données toponymiques berbère en ligne
Une base de données en ligne : pourquoi faire ?
L’idée de la constitution d’une base de données en ligne des toponymes
berbères, qui s’appuierait sur la collaboration et les contributions de chercheurs de
différents pays, résulte de plusieurs constats :
- l’absence d’organisme spécifique pour l’étude des toponymes berbères dans les
pays concernés (Algérie, Maroc, Libye, Mali, Niger, etc.) ;
- l’immensité du domaine spatial berbère qui couvre au moins 8 pays du Nord de
l’Afrique ne peut pas permettre à une équipe de chercheurs d’une seule
université de procéder à ce travail gigantesque, avec les méthodes
traditionnelles ;
- la rareté des ressources linguistiques toponymiques fait que ce travail demande
la coopération d’acteurs de tous les pays concernés (en matière de données, de
documentation, de saisie, …) ;
- la dispersion géographique des universitaires dans le domaine (en Afrique du
Nord et en Europe en particulier) nécessite un site où toutes les informations
seront déposées et mises à la disposition de tous les chercheurs pour
exploitation, discussion…
Ce site aura donc pour objet de fédérer et de regrouper les travaux des
chercheurs et de faciliter les recherches linguistiques sur les toponymes. Le
travail primordial est bien entendu le recueil, la saisie des données dans la base et
la diffusion des connaissances dans ce domaine. On pourra également proposer
une normalisation des toponymes en berbère ainsi que tous les éléments y ayant
trait.
La base de données doit obligatoirement s’appuyer sur une équipe
interdisciplinaire : linguistes, géographes, historiens, archéologues, etc. Les
données traitées seront bien entendu accessible au public.

Page 122
122
Pour une base de données toponymiques berbère en ligne
Des bases de données toponymiques existent déjà ou bien sont en cours
d’élaboration par des organismes officiels dans les pays dont la population est
historiquement berbérophone : le Maroc, l’Algérie, etc. La langue de départ est la
langue officielle du pays : l’arabe pour l’Algérie, le Maroc, etc. et le français pour
le Niger, le Mali, etc.
L’optique n’est bien entendu pas la même pour le site envisagé. Pour notre
base de données, la langue de l’endonyme est le berbère et il s’agit de recenser les
toponymes berbères mais également de les étudier dans une perspective
scientifique (étymologie, comparaison).
D’autres bases ont également été élaborées par certains organismes, agences ou
sites comme le NGA GEOnet Names Server (http://earth-info.nga.mil/gns/html/) ou le
Global Gazetteer (http://www.fallingrain.com/world/). Elles sont libres et exploitables
facilement et les informations essentielles s’y trouvent déjà. Ce sera d’ailleurs la première
source à utiliser pour les données de la base toponymique. Il sera cependant nécessaire
d’opérer des vérifications sur les noms des toponymes inclus dans ces bases libres.
L’objet de cette base de données tient finalement en deux points :
- Dans une perspective scientifique, les toponymes doivent nous amener à des
études étymologiques, historiques et comparatives.
- Dans une perspective utilitaire, il s’agit de fournir une notation des toponymes
berbères (en tant qu’endonymes) dans un système d’écriture usuel qu’il faudra
compléter et parfaire. On proposera également des exonymes étant donné les
nouveaux besoins en berbère.
Conception et Constitution de la BABER-T
Cette base de données sera un élément d’une base BABER (base berbère) plus
large se déclinant en BABER-T (Toponymie), BABER-P (Phytonymie), BABER-
D (Dictionnaires), BABER-TE (Techniques), etc.
Quelques préalables sont nécessaires avant la mise en place de cette base de
données :
- Le choix de règles d’écriture spécifiques aux toponymes (orthographe, usage du
trait d’union, notation des composés et des assimilations, abréviations, …).
- Des règles générales de transcription et de translittération.
- Des règles d’adaptation pour les exonymes.
Dans un premier temps, BABER-T s’appuiera donc sur les contenus des bases
existantes lorsque c’est possible, pour les retravailler ensuite selon les objectifs
fixés. L’exploitation de cartes géographiques ou toponymiques et la réalisation
d’enquêtes sur le terrain pour vérification et correction ainsi que pour le recueil de
microtoponymes, viendra plus tard.

Page 123
Kamal Naït-Zerrad
123
Nous présentons ici un modèle général pour BABER-T qui pourra être affiné
dans le détail. Cette base est constituée de différentes tables reliées entre elles à
l’aide d’un identificateur (ID) unique par toponyme. Le contenu des tables est
indiqué plus bas. On distinguera les endonymes des exonymes.
I- Endonymes
1. Localisation administrative : Pays / Région / Province / Préfecture / Wilaya /
Sous-préfecture / Daïra / Commune / village
2. Langue : variété, dialecte, aire / sous-région / tribu / parler / nom du parler en langue
3. Linguistique : prononciation (transcription phonétique)/ étymologie / traduction
4. Toponyme : nom autochtone / ancienne transcription cartographique française /
transcription en français / transcription en arabe / spécifique / générique /
longitude / latitude / gentilé / variante / description du lieu
5. Autres noms : ancien nom (antiquité, moyen-âge, période coloniale…) /
ancienne orthographe
6. Type d’entités : différentes classes d’entités (lieu habité, lieu-dit, hypsographie,
odonyme, hydronyme,…)
7. Source : bases de données libres / carte (n° feuille / nom / échelle) / autres …
8. Propositions : orthographe / notation usuelle.
Chacun des sous-éléments (Pays, Région, …) est susceptible de constituer une
table contenant les données correspondantes.
Voici quelques exemples d’extraits possibles de la base de données BABER-T.
Exemple 1 :
Pays
Région
Wilaya
Daïra
Commune
Village
ID 1 ALGERIE KABYLIE TIZI-OUZOU AIN EL HAMMAM AIT YAHIA AIT HICHEM
Variété Sous-région
Parler
Nom en langue
ID 2 KABYLE
OC
kabyle
taqbaylit
OC= Kabylie occidentale (il faudra préciser ces appellations et les frontières linguistiques)
Phonétique Étymologie Traduction
ID 3
Aθ hiʃəm
Nom autochtone Ancienne TR
TR
LG
LT
ID 4 At Hicem
Aït-Hichem
Aït-Hichem 4.3333 36.5833
TR = transcription / LG = longitude / LT = Latitude

Page 124
124
Pour une base de données toponymiques berbère en ligne
Entité
ID 6 Lieu habité
Village
Source
ID 7 Base de données libre
NGA GEOnet Names Server
(http://earth-info.nga.mil/gns/html/)
Orthographe
ID 8
At Hichem
Exemple 2 :
Pays
Région
Province
ID 1 MAROC MEKNES-TAFILALET ERRACHIDIA
Variété
Aire
Sous-région
Parler
Nom en langue
ID 2 TAMAZIGHT
MC
SE
tamazight
Tamaziγt
MC = Maroc central ; SE= Sud-Est (préciser les limites)
Phonétique
Étymologie-Traduction
ID 3 Amalu n tagunit/ Amalu n
tagʷnit
Amalu=ombre / ubac
Tagunit = indemnité, dédommagement
Tagʷnit, f. de agʷni = plateau, val ; dépression de terrain
Phonétique à vérifier / traductions données dans le parler de référence / f. = féminin
Nom
autochtone
Ancienne TR
TR
GN
SP
LG
LT
ID 4 Amalu n
tagunit
Amalou n’
Tagounit
Amalou n
Tagounit
amalou
tagunit
-5.35 32.08
TR = transcription / GN = générique / SP = spécifique / LG = longitude / LT = Latitude
Entité
ID 6
hypsographie
montagne
Source
ID 7 Base de données libre
NGA GEOnet Names Server
(http://earth-info.nga.mil/gns/html/)

Page 125
Kamal Naït-Zerrad
125
II- Exonymes
C’est la partie essentiellement néologique du site. Avec l’extension de l’écrit en
berbère et le besoin de nommer les pays, les villes, les fleuves, etc., dans
l’enseignement, dans des œuvres littéraires ou autres, il nous paraît nécessaire de
proposer des exonymes même si le site n’a pas vocation à être un outil de
normalisation. Il peut cependant recommander un certain nombre de règles de
conversion ou d’adaptation. D’ailleurs, il ne s’agit pas uniquement de régions ou
pays étrangers mais également des noms arabes (ou parfois français, anglais,
castillan, italien, etc.) des pays du Nord de l’Afrique. Il faudra distinguer les
exonymes passés dans la langue, existants pour des raisons historiques comme
ceux issus du français :
« France » (en kabyle : Fransa) et le gentilé « français » (en kabyle : arumi /
afransis) ;
« Allemagne » (en kabyle : Lalman) et le gentilé « allemand » (en kabyle :
alman(i), alalman(i)), etc.
Ces équivalents sont adaptés du français, sauf certains comme arumi, qui sont
plus anciens.
Pour les nouvelles créations, il faudrait partir de l’original dans la langue du
pays. Il faudra donc élaborer un système d’adaptation des langues étrangères vers
le berbère. Par exemple, pour Aachen (endonyme allemand), Aix-la-Chapelle
(exonyme français), on partira de l’allemand pour proposer par exemple : Axen
(exonyme berbère).
Sur le modèle des endonymes, les tables comporteront les éléments suivants :
Localisation : Pays / Région / …
Langue : anglais / allemand / français / …
Toponyme : entité / nom local / exonyme / variante / gentilé
Mode de formation : adaptation / traduction / …
Perspectives de réalisation
La conception de la base n’offre pas de difficultés majeures. C’est la mise en
place du réseau d’universitaires qui travaillera sur ce projet qui demandera des
efforts d’organisation. Il faudrait penser à une rencontre internationale dans
laquelle des universitaires de tous les pays concernés et d’autres spécialistes
intéressés par ce projet seraient conviés à réfléchir aux méthodes de travail en
commun pour donner corps à la base de données toponymique et au site :
désignation d’un groupe chargé de la coordination, élaboration d’un protocole de

Page 126
126
Pour une base de données toponymiques berbère en ligne
saisie des données, etc., et bien entendu, recherche de financements pour la
viabilité et la pérennisation du projet.
RÉFÉRENCES
NGA GEOnet Names Server :
http://earth-info.nga.mil/gns/html/
Global Gazetteer
http://www.fallingrain.com/world
ABSTRACT
The lack of an official organization dedicated to the Berber toponymy should
encourage researchers to deal with this fundamental question. This article suggest
to create a toponymic database which should bring together all of the Berber
toponyms. Apart from the scientific research on place names, this will also be a
force of proposal in the context of the evolution of the status of the Berber
language: rating of toponyms as endonyms, proposal for linked items (gentile,
exonyms...).

Page 127
VALENTINA SCHIATTARELLA
Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
Introduction
Il s’agit dans cet article d’introduire quelques notions sur la documentation
linguistique en général et de présenter ensuite un projet de documentation sur la
variété de berbère qui est parlée en Égypte dans l’oasis de Siwa. On regardera les
différents points sur lesquels une bonne documentation doit se baser et on
expliquera dans le spécifique les difficultés rencontrées, le déroulement et les
résultats obtenus.
Quelques notions sur la documentation linguistique
La documentation linguistique est un nouveau domaine de la linguistique qui a
été théorisé par Himmelman en 1998. Elle a connu un gros développement dans les
dernières années grâce au besoin de plus en plus important d’avoir des témoignages
sur les langues en danger (sur environ 6500 langues dans le monde, la moitié est
considérée en voie de disparition d’ici 50 à 100 ans).
Himmelman décrit la documentation linguistique comme : « a lasting, multipurpose
record of a language ».1 Ce type d’enquête part du concept suivant:
« The aim of language documentation is to provide a comprehensive record of the
linguistic practices characteristic of a given speech community ».
2
La nouvelle technologie permet d’avoir des enregistrements toujours plus
fiables et de les analyser avec des logiciels d’analyse comme Praat, Toolbox et
1 Gippert Jost - Nikolaus Himmelmann - Ulrike Mosel, 2006, Essentials of language
documentation, Mouton de Gruyter, Berlin, 1.
2 « Le but de la documentation linguistique est d’apporter un archive compréhensif des pratiques
linguistiques caractéristiques d’une communauté linguistique donnée » (Nikolaus Himmelman, 1998,
« Documentary and descriptive linguistics », in Linguistics, 36, de Gruyter, Berlin, 161-195, 166).

Page 128
128
Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
Elan. Cela favorise énormément la croissance et l’importance de ce qui est théorisé
par la documentation linguistique.
Les caractéristiques fondamentales ajoutées par Himmelman en 2006 sont :
1) Focus on primary data : le linguiste, entraîné à faire ce type de travail, doit
focaliser ses efforts dans la création d’un corpus de données orales (audio et vidéo)
en essayant d’avoir un échantillon très variés (narrations, contes, dialogues,
conversations, chansons, dictons, devinettes, etc.) qui prenne en compte des
locuteurs (hommes, femmes, enfants) de différents âges, milieux sociaux,
instruction, etc. (si possible).
2) Explicit concern for accountability : la possibilité d’avoir un corpus de ce
genre rend les données linguistiques plus fiables car la production orale est
considérée comme spontanée. Souvent les descriptions linguistiques basées
exclusivement sur les élicitations ont démontré de ne pas être très fiables et ne pas
couvrir tous les aspects de la langue.
3) Concern for long term storage and preservation of primary data : l’archivage
de ce corpus et la possibilité d’être exploité dans le futur soit par les locuteurs soit
par les autres linguistes est un élément central dans la documentation linguistique.
4) Work in interdisciplinary team : collaborer avec des experts dans d’autres
domaines est aussi important : le linguiste tout seul ne peut pas couvrir tous les
domaines qui concernent une communauté donnée.
5) Close collaboration and direct involvement of the speech community : le
linguiste, même s’il fait partie de la communauté linguistique étudiée, doit
collaborer avec les autres locuteurs de la langue et tout faire pour qu’ils soient
activement présents dans le projet. Tout d’abord l’analyse de la langue se fait au
moyen d’un ou plusieurs consultants qui aident à la transcription et à l’analyse de
la langue. Ensuite le linguiste s’engage à produire les matériaux utiles à la
communauté et essaie de faire en sorte que les locuteurs soient intéressés à
continuer sur cette ligne dans le futur. Cela dépend, bien évidemment,
principalement sur l’intérêt que les locuteurs portent sur leur propre langue.
Tout au long de la documentation, il faut toujours se rappeler de l’importance
d’avoir :
- Des enregistrements audio et vidéo au bon format, pour qu’ils soient durables
et exploitables dans le futur (pour audio, préférer le format .wav, 44.1KHz and 16
bits)
- Métadonnées : toujours ranger les enregistrements, en leur donnant un nom et
en étant toujours constant dans cette procédure. Il faut créer des métadonnées pour
chaque enregistrement (avec un spreadsheet d’Excel, par exemple, ou avec d’autres
logiciels comme IMDI, Toolbox, etc.).
- Archivage : il y a plusieurs archives qui s’occupent des langues en danger. Il
faudrait déjà savoir où archiver ses propres données avant de commencer un projet.

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Valentina Schiattarella
129
Un autre aspect très important quand on parle de documentation est celui qui
concerne tout ce qui est du domaine de l’éthique : avoir des enregistrements
spontanés et variés ne doit jamais entrer en conflit avec le respect pour la
communauté des locuteurs.
Les enregistrements doivent toujours être autorisés. Le linguiste doit, dès le
début, informer les locuteurs avec qu’il collabore de son projet, comment et où ces
données seront traitées et archivées mais aussi qui pourra en avoir accès. La
personne enregistrée doit être au courant de ses droits : elle peut, par exemple,
limiter le public de certains enregistrements ou demander au linguiste d’effacer ou
interrompre ses enregistrements.
Cette brève introduction à la documentation linguistique sert à situer mon
expérience avec le siwi et à voir comment ce type de travail pourrait bien s’adapter
aux autres langues berbères en voie de disparition.
Documentation linguistique du parler berbère de Siwa
Par rapport à d’autres langues berbères qui ont reçue plus d’attention dans les
études linguistiques, le siwi est encore très peu documenté et très peu décrit à l’état
actuel. Parmi les sources les plus importantes (et sans tenir en compte des listes de
mots qui ont été rédigées à partir du 1800) on cite René Basset, 1890, Le dialecte
de Syouah, Walker Seymour, 1921, The Siwi language), Emile Laoust, 1932, Siwa :
son parler, Alphonse Leguil, 1986, Notes sur le parler de Siwa, Werner Vycichl,
1998 (2005), Berberstudien & A., A Sketch of Siwi Berber et les deux récentes
thèses de doctorat : Lameen Souag, 2010, Grammatical contact in the Sahara (PhD
Thesis, SOAS) et Christfried Naumann, 2011, Acoustically Based Phonemics of
Siwi (PhD thesis, Leipzig).
À l’état actuel, donc, une collection de données orales enregistrées, transcrites et
traduites pouvant être à la fois utiles pour les études linguistiques et pour la
documentation de la langue était nécessaire.
Le projet de documentation de la langue siwi, dans le cadre d’un Doctorat en
Linguistique berbère, a eu comme but d’une part l’analyse de certains éléments de
syntaxe et de sémantique, et d’autre part de créer un corpus de données orales et
vidéo. Le déroulement de cette deuxième partie a été possible grâce à l’aide
financière et à la formation reçues de la SOAS de Londres dans le cadre du
programme ELDP (Endangered Language Documentation Program, pendant la
période février 2012 - février 2013),3 mais aussi grâce à l’aide de l’Aide
MOBIDOC de l’Ile-de-France.
3
Pour plus d’information sur le projet en question, regarder le site :
http://www.hrelp.org/grants/projects/index.php?projid=261; http://elar.soas.ac.uk/deposit/0283.

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130
Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
Quelques notes sur Siwa et ses habitants
Les siwis (itadəm n isiwan) sont les habitants de Siwa en Égypte, une oasis dans
le désert occidental, à environ soixante kilomètres de la frontière libyenne. Elle est
habitée par 25.000 personnes, locuteurs de siwi, et environ 5.000 étrangers (la
plupart provenant du reste de l’Égypte, en particulier du sud. Ils travaillent surtout
dans le domaine de l’agriculture).
La population entière est divisée en tribus et chaque tribu à son propre chef
qui s’entoure d’environ dix conseillers. Les habitants de l’oasis préfèrent
résoudre leurs problèmes chez leur chef, plutôt que s’adresser à la police.
Il y a aussi une autre petite oasis, El Gara, à environ 130 km de Siwa, habitée
par des gens qui parlent la même variété de berbère. Leur occupation principale est
la fabrication des paniers avec les feuilles de palmier tressées.
Siwa se développe autour du centre de l’oasis, le suq, et de l’ancienne citadelle-
forteresse qui s’érige sur une colline. Le but de cette citadelle était, dans le passé,
de défendre la population des attaques des bédouins. Les gens n’y habitent plus
maintenant car elle s’est écroulée à cause des pluies (les gens parlent souvent de la
grande pluie,
- azuwwar en langue siwi, qui a causée beaucoup de dégâts en
1926, et qui a forcé les chefs à donner l’autorisation aux habitants de s’installer en
bas et de construire des maisons avec des matériaux plus résistants). Il y a aussi
d’autres villages plus éloignés du centre, comme Aghurmi, qui héberge le temple
d’Amon (où Alexandre le Grand s’est autoproclamé fils de Dieu) et Maraqi qui est,
en partie, habité par des arabophones. Chaque zone a ses propres sources d’eau qui
sont souvent inutilisées à présent.
Siwa a pour longtemps été déconnectée du reste de l’Égypte : la première
route qui la reliait à la ville la plus proche sur la côte, Marsa Matrouh (environ
310 km de Siwa) a été bâtie dans les années 1980. Grace à cette route, les liens
avec le reste de l’Égypte sont devenus beaucoup plus faciles et un tourisme
élitaire a commencé à se développer, grâce aussi à la beauté de l’oasis, ses
sources d’eau chaude et froide ainsi que le désert. Le tourisme a subi une forte
chute à cause de la révolution égyptienne à partir de janvier 2011, laissant la
partie de la population qui avait commencée à investir dans ce domaine dans une
forte crise économique.
La population de Siwa est presque complètement bilingue : hommes et femmes,
même s’ils sont âgés, parlent tous le siwi et l’arabe. Vu qu’ils apprennent l’arabe
standard à l’école, on peut affirmer que la seule partie de la population
momentanément monolingue est constituée d’enfants jusqu’à l’âge de 6 ans et par
quelques hommes et femmes très âgés.
La transmission de la langue est encore bien visible et active : le siwi est la
langue utilisée par la communauté siwi dans le cadre familiale. L’arabe est utilisé

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principalement pour communiquer avec les populations arabophones qui habitent
Siwa et en contextes officiels (école, gouvernement, armée, etc.).
Ce qui menace le siwi et qui nous amène à le considérer comme une langue en
danger c’est d’abord le long contact avec les communautés arabophones (contact
qui dure depuis longtemps), la diffusion de la télévision en arabe et le fait de faire
partie d’un pays qui considère l’arabe comme seule langue officielle et qui ne
donne aucune reconnaissance aux autres variétés linguistiques comme le siwi.
En plus il faut ajouter, parmi les facteurs qui menacent la langue, le
déménagement des jeunes dans les grandes villes égyptiennes comme Alexandrie
ou Le Caire (pour chercher du travail ou pour poursuivre les études) et les mariages
mixtes entre les femmes siwi et les égyptiens non siwiphones (phénomène qui
devient de plus en plus fréquent) et vice-versa.
Parmi ses facteurs, ceux qui semblent être plus menaçants sont sans doute le
déplacement des gens dans des pays ou villes arabophones et le mariage mixte. À
travers l’observation des familles composées par des couples mixtes on peut
aisément remarquer que la langue de communication avec l’enfant est l’arabe,
surtout si le père est arabophone. Cela intervient donc dans la pratique plus
importante pour la survivance d’une langue : la transmission d’une génération à
l’autre. Tout cela amène l’arabe à prendre toujours plus de place et d’importance
dans cette communauté.
Cela dit, on ne peut pas ignorer le fait que la langue siwi est reconnue par tous
les locuteurs en tant que langue maternelle : le sentiment que le siwi soit le moyen
pour rester attaché à leurs origines et traditions est très fort et les gens se sentent
beaucoup plus à l’aise en utilisant leur langue, quand ils savent que le destinataire
peut les comprendre. L’arabe est la langue utilisée lorsqu’on on s’adresse à un
étranger alors que le siwi c’est aussi le moyen pour ne pas être compris par lui
(l’étranger).
D’autre part, de plus en plus les gens se rendent compte de l’importance pour la
nouvelle génération d’apprendre à bien parler l’arabe, considérée bien plus utile par
rapport au siwi (parce qu’il est parlé ailleurs et beaucoup de gens peuvent le
comprendre, alors que le siwi est parlé seulement dans l’oasis). En plus, il n’y a pas
un mouvement de revendication en acte (sauf quelques individus qui montrent leur
propre intérêt dans la conservation de la langue) comme on pourrait le voir dans
d’autres communautés berbères.
La langue siwi et le projet de documentation
La langue siwi (ižlan n isiwan) fait partie du groupe oriental des langues
berbères et partage beaucoup d’aspects avec les variétés libyennes comme celles de
Sawknah, El Fogaha et le nefoussi, dont malheureusement on n’a pas beaucoup de

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Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
documentation. La variété la plus proche d’un point de vue géographique est celle
parlée dans l’oasis d’Awjilah, toujours en Libye.
Le contact avec l’arabe dure depuis des siècles. Cependant le siwi semble avoir
développé son propre système qui est certes très influencé par l’arabe, mais qui
montre aussi des développements et des structures qui lui sont spécifiques. Sans
aller trop en détail sur les aspects purement linguistiques, on remarque, à titre
d’exemple, par rapport à d’autres langues berbères, qu’en siwi, il n’y a pas
d’opposition d’état sur le nom (état libre vs état d’annexion, ce qui est aussi valable
pour d’autres variétés orientales), les particules d’orientation (d et n) ont perdu leur
fonctionnalité et la forme spéciale du verbe utilisée dans les relatives sujets (appelé
‘participe’ dans la tradition berbèrisante) a aussi disparu.
À propos du niveau de danger pour cette langue, les sources dont on dispose ne
sont pas toujours en accord. Ethnologue classifie la langue en tant que vigurous
(vigoureuse) : elle est donc décrite comme bien vivante, utilisée par tous ses
locuteurs. Par contre l’Atlas de l’Unesco considère le siwi comme definitely
endangered (certainement en danger) :
« Children no longer learn the language as mother tongue in the home ».
D’après mon observation, ces classifications sont à nuancer : en effet, les parents
continuent à parler le siwi à leurs enfants et l’arabe n’est pas utilisé comme langue de
communication avec l’enfant (sauf dans le cas de couple mixte, où l’arabe est préféré
au siwi) mais sa menace est néanmoins évidente et les facteurs qui menacent la
conservation de cette langue (notamment les mariages avec des arabophones ou le
déplacement de la population dans des villes arabophones) prennent de plus en plus
d’ampleur. C’est pour cela qu’une documentation variée était nécessaire.
Le projet de documentation linguistique du parler de Siwa a commencé en 2011
et terminera en 2014. Pendant cette période, quatre voyages de terrain ont été
effectués (d’une durée total de sept mois), ce qui a permis de collecter un corpus
très varié, dont six heures ont été transcrites (à l’aide du logiciel PRAAT) et
traduites en anglais (langue de communication avec les informateurs, surtout au
début du projet). Une partie de ces enregistrements a aussi été glosée (glose
morphosyntaxique à l’aide du logiciel ELAN).
La difficulté majeure du terrain à Siwa était d’avoir des enregistrements de
femmes, vu que la société est très conservatrice : les hommes et les femmes sont
toujours séparés et les chercheurs hommes qui m’ont précédée n’ont pas eu le droit
d’être en contact avec les femmes, ou de les enregistrer. L’intérêt était, parmi
d’autres, de voir s’il y avait des différences entre la langue parlée par les femmes et
celle parlée par les hommes, car les femmes ne sont jamais en contact avec les
personnes arabophones venant de l’extérieur (sauf s’ils font partie de leur famille).

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Durant ce projet, j’ai travaillé en collaboration avec cinq consultants (trois
hommes et deux femmes) qui m’ont aidée à transcrire et traduire les
enregistrements et m’ont permis d’enregistrer toutes sortes de genres narratifs
(contes, descriptions, recettes, chansons, jeux, musique) d’une vingtaine de
personnes.
Pour ce qui est des enregistrements vidéo, les données sont moins variées : tout
enregistrement vidéo des femmes est strictement interdit et les hommes sont plutôt
réservés. J’ai pu, cependant, filmer des musiciens de Siwa, avec leurs instruments
traditionnels, leurs textes ainsi que des contes.
La collaboration entre les différentes parties (locuteurs et linguiste) d’un projet
de documentation était fondamentale non seulement dans l’analyse linguistique,
qui serait autrement impossible, mais aussi dans la réflexion constante sur
l’importance de préserver la langue, sur le prestige, en tant que patrimoine culturel,
associé à cette langue, qui mérite, aussi comme toutes les langues minoritaires,
d’être décrite et sur les efforts à faire pour éviter qu’elle disparaisse.
Comment appliquer ce modèle aux langues berbères ?
La menace que subit et continue de subir le berbère de la part des autres langues
majoritaires, l’arabe en premier, n’est pas une nouveauté. Mais ce danger devient
de plus en plus important ces dernières années, notamment à cause des nouveaux
moyens de communication qui rendent le contact très facile.
Même si on peut dire que certaines variétés de berbères sont actuellement plutôt
bien étudiées (surtout pour ce qui est du kabyle en Algérie ou le rifain, le tachelhit
au Maroc, par exemple), il y a encore beaucoup de variétés qui ont été très peu (ou
pas du tout) décrites.
Suivant les informations données par Ethnologue sur le niveau de danger des
langues berbères, on peut remarquer que beaucoup sont considérées comme en voie
de disparition ou très en danger (même si les données d’Ethnologue ne sont pas
toujours fiables, car les d’informations qu’il donne pour certains pays ne sont pas
toujours vérifiées).
Voici donc une liste des langues berbères en danger et/ou peu décrites, selon le pays
où elles sont parlées, afin d’avoir un aperçu sur la situation menaçante de ces langues.
En Libye, on retrouve trois langues berbères menacées : le ghadamsi parlé par
environ 10.000 personnes (en 2006), le nefousi et ses variétés et le tamahaq, variété
touarègue parlée par 17.000 personnes. Par contre, la langue parlée à Awjilah est
considérée presque morte parce qu’elle compte seulement 3000 locuteurs. La
variété berbère de Sawknah est classée comme presque disparu.
En Tunisie, la langue Sened est désormais morte alors que le djerbi est classé
comme menacé….

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Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
En Algérie la situation est plutôt variée : il y a, à la fois, des langues comme le
chaoui qui est parlé par 1.400.000 locuteurs ou le kabyle qu’Ethnologue classe
comme developing. D’autres comme le tumzabt, l’ouargli et le tahaggart
considérées comme menacées. Les parlers temacine (Touggourt) et le chenoua sont
classés comme shifting (passage à l’arabe) alors que le tidikelt est considéré
comme une variété presque morte.
La situation au Maroc est peut-être moins grave : parmi les variétés parlées,
celles en danger sont le parler de Figuig, le Ghomara au Nord et le senhaja de Srair.
En Mauritanie, le zenaga est classé comme moribond et dans différents pays,
plusieurs variétés touarègues sont en attente de description, comme celles
appartenant à la famille tamajaq-tawallammat et tamajeq-tayart.
Il faut toujours se rappeler que pour certaines parties de l’aire berbère, la
situation linguistique n’est toujours pas très bien définie et qu’il faudrait aussi
envisager des enquêtes pour déterminer combien de variétes sont effectivement
encore parlées et être sûr qu’il n’y ait pas de variétés qui nous échappent.
Conclusion
La liste que nous venons de faire et qui prend en considération l’état de vitalité
de ces langues et la présence de descriptions, nous montre la nécessité de les
étudier, même si elles sont considérées comme minoritaires.
Une documentation complète de toutes les variétés encore en vie représenterait
un avancement important dans le domaine de la recherche (aussi bien dans les
études descriptives que typologique) et pourrait nous donner plus d’informations
sur le fonctionnement général de la langue berbère, nous permettant de pousser
ultérieurement les études comparatives synchroniques qui, associées à celles
diachroniques, constituent un outil fondamental pour certains aspects de la langue.
En plus, un travail de ce genre donnerait plus de prestige aux langues, comme le
siwi, que le locuteur même commence à regarder comme peu utile par rapport à la
langue officielle (l’arabe dans ce cas).
Les membres de la communauté pourraient se sentir encouragés à commencer,
eux-mêmes, à travailler sur leur propre langue, produire des outils à utiliser avec
les enfants (pour qu’ils apprennent dès l’enfance à respecter leur langue
maternelle) et ensuite collecter du matériel (audio et vidéo surtout) à disposition
des générations futures.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES (SIWA)4
BASSET, René, 1890, Le dialecte de Syouah, Leroux, Paris.
HORNEMANN, Frederick, 1802, The Journal of Frederick Horneman's Travels,
from Cairo to Mourzouk, The capital of the Kingdom of Fezzan in Africa, in
the years 1797-8, G. and W. Nicol, London.
LAOUST, Emile, 1932, Siwa : son parler, Leroux, Paris.
LEGUIL, Alphonse, 1986, « Notes sur le parler berbère de Siwa (I) », in Bulletin des
études africaines, INALCO, 5-97.
___1986, « Notes sur le parler berbère de Siwa (II) », in Bulletin des Études
Africaines, INALCO, 5-42.
NAUMANN, Christfried, 2011, Acoustically Based Phonemics of Siwi (Berber), PhD
thesis, Leipzig.
_____, 2013, Acoustically based phonemics of Siwi (Berber). Berber Studies,
Rüdiger Köppe, Cologne.
SEYMOUR, Walker, 1921, The Siwi language, K. Paul, Trench, Trubner & Co., Londres.
SOUAG, Lameen, 2010, Grammatical Contact in the Sahara: Arabic, Berber, and
Songhay in Tabelbala and Siwa. PhD thesis, School of Oriental and African
Studies (SOAS), London, 519 p.
_____, 2014, « Berber and Arabic in Siwa (Egypt): A Study in Linguistic Contact », in
Berber Studies, vol. 37, Rüdiger Köppe, Cologne.
VYCICHL, Werner, 2005, « A sketch of Siwi Berber (Egypt) », in Berber Studies,
vol. 10, Rudiger Köppe, Cologne, 160-168.
Références bibliographiques sur la documentation linguistique
AUSTIN, Peter - SALLABANK, Julia, 2011, Cambridge Handbook of Endangered
Languages, Cambridge University Press, Cambridge.
GRENOBLE, Lenore - WHALEY, Lindsay, 1998, Endangered Languages: Language
Loss and Community Response, Cambridge University Press, Cambridge.
_____, 2006, Saving languages. An introduction to language revitalization,
Cambridge University Press, Cambridge.
HIMMELMAN, Nikolaus, 1998, « Documentary and descriptive linguistics », in
Linguistics, 36, de Gruyter, Berlin, 161-195.
JOST, Gippert - HIMMELMANN, Nikolaus - MOSEL - Ulrike, 2006, Essentials of
language documentation, Mouton de Gruyter, Berlin.
MOSELEY, Christopher, 2007, Encyclopedia of the World’s Endangered
Languages, Routledge, London.
4 Pour une bibliographie complète (jusqu’au 2005) sur Siwa et le siwi, voir Werner Vycichl, 2005,
« A sketch of Siwi Berber (Egypt) », in Berber Studies, vol. 10, Rüdiger Köppe, Cologne, 160-168.

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Documentation d’une langue en danger : le berbère de Siwa
Sites utiles
http://www.hrelp.org
http://www.mpi.nl/resources/data/dobes
http://www.unesco.org/culture/languages-atlas/
http://corpafroas.tge-adonis.fr/
http://www.ethnologue.com/
http://glottolog.org/
http://www.ogmios.org
http://www.elar-archive.org/index.php
http://www.hrelp.org/languages/resources/orel/index.html
http://orientalberber.wordpress.com/about/
ABSTRACT
Linguistic documentation is a new domain in linguistics which has been
enjoying great success in the last years, mainly because it is so well adapted to the
study of endangered languages. It is based on the theory of Himmelman (1998)
who insists on the difference between linguistic description and linguistic
documentation and on the importance of having a big corpus of varied and
spontaneous oral data. This model can be adapted to endangered Berber languages,
until now very little described.

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NOURA TIGZIRI
Apport de l’informatique dans l’aménagement
de la terminologie
L’aménagement de la langue amazighe est toujours d’actualité. Après dix ans
d’introduction de l’enseignement de la langue amazighe dans le système éducatif
algérien et quatorze ans de son introduction à l’université, les questions relatives à
son aménagement restent toujours d’actualité.
Si beaucoup de travaux de recherche sont effectués par les berbérisants dans le
sens de l’aménagement du corpus (lexique et écriture principalement), il n’en
demeure pas moins qu’aucun travail de collecte de ses travaux n’a été fait.
La langue amazighe qui était jusqu’à un passé récent, une langue
essentiellement orale, a vu son passage l’écrit et son enseignement rencontrer
d’énormes problèmes dus essentiellement à un manque d’outils didactiques tels les
dictionnaires. S’il est vrai que des glossaires ont vu le jour, que des terminologies
foisonnent sur le terrain, il n’en demeure pas moins, qu’aucun de travail de
collectes, de dépouillement, d’analyse de toutes ces données n’a été réalisé jusqu’à
ce jour afin de disposer d’une source unique et complète.
Des chercheurs, des praticiens de la langue produisent des terminologies de
spécialité sans aucune concertation, si bien qu’on se retrouve souvent en présence
de nombreux termes pour désigner la même chose ! Ce constat est d’autant plus
gênant qu’il n’existe aucune institution ayant une autorité morale et académique
telle une académie par exemple, pour tester tous ces mots nouveaux et pour enfin
trancher et faire adopter par tous les usagers, le terme accepté et admis.
Il apparaît urgent à ce stade, si on veut faire avancer les choses, de faire une
pause pour voir toutes ces terminologies, en faire le dépouillement, les analyser
afin de disposer d’une source unique pour faciliter le travail d’aménagement. Il y a
lieu aussi d’instaurer une coordination entre les différentes institutions concernées
dans la création terminologique.
Partant de ce constat, nous avons essayé de regrouper toutes ces créations
terminologiques dans une base de données, qui sera une ressource linguistique
unique et consultable par tout chercheur intéressé par ce domaine. L’avantage

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Apport de l’informatique dans l’aménagement de la terminologie
d’utiliser l’informatique, tel l’élaboration d’une base de données, est de regrouper
toutes les créations terminologiques, ce qui facilite le travail du chercheur qui
n’aura qu’à consulter une seule source au lieu de perdre un temps précieux à
chercher les différentes sources qui ne sont pas toujours disponibles facilement.
Notre article présente une base de données de la langue amazighe contenant la
terminologie de spécialité (linguistique, littérature, civilisation, informatique,
medias, terminologie).
Les objectifs de cette recherche sont la mise à disposition d’apprenants un
dictionnaire aussi complet que possible de la langue amazighe, en regroupant
toutes les sources existantes mais éparpillées, la connaissance de la variation afin
de la prendre en charge dans la base de données. Ce qui conduira forcément à un
travail d’aménagement, principalement du lexique et de la grammaire et enfin
accompagner l’intégration de l’amazighe dans l’enseignement, la recherche et les
médias algériens en mettant à la disposition des formateurs et des usagers de la
langue amazighe, une base de données qui répond à leurs besoins.
Les matériaux utilisés proviennent d’un dépouillement systématique de toutes
les sources existantes (glossaires, lexiques, manuels, etc.) et d’enquêtes sur le
terrain. Pour compléter la base de données, nous avons utilisé notamment la
terminologie utilisée par les enseignants au niveau des établissements de
l’éducation (primaire, moyen et secondaire) et des départements de langue et
culture amazighes (Tizi Ouzou, Bouira et Bejaïa) et d’autres sources non publiées
engagées par les enseignants universitaires, pour répondre aux besoins
terminologiques au niveau des cours et des travaux de recherches. En effet, chaque
mémoire (magister, licence) comporte un lexique de spécialité.
Dans la mise de cette base de données, le chercheur ne fait pas uniquement un
travail de mise en place d’un dictionnaire avec tous les outils théoriques et
méthodologiques qui s’imposent, mais il élabore aussi un travail d’aménagement
de l’écriture et du lexique. En effet, en récoltant les différentes sources sur
lesquelles on a travaillé, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas que le lexique
qui posait des problèmes d’aménagement mais aussi l’écriture. Pratiquement,
chaque producteur avait sa propre écriture, aussi, on était appelé à faire en même
temps un travail d’aménagement de l’écriture afin de l’homogénéiser tout au moins
pour notre base de données.
Avec la création des départements de langue et culture amazighes à Tizi-Ouzou
en 1990 et Bejaïa en 1991, l’introduction de la langue amazighe dans le système
éducatif en 1995 et la création au Maroc en 2001 de l’Institut Royal de la Culture
Amazighe, les enseignants et les chercheurs se trouvent dans l’obligation de
répondre aux besoins de la langue en matière de la terminologie de spécialité.
En matière du lexique, plusieurs initiatives individuelles ont été publiées dans
plusieurs domaines :

Page 139
Noura Tigziri
139
• Ahmed Adghirni - Abdellah Afulay - Lahbib Fouad, 1996, Amawal
azerfan. Lexique juridique français-amazighe, Rabat.
• Meftaha Ameur (et.al.), 2009, Vocabulaire des médias, Publications of
IRCAM, Rabat.
• Abdelaziz Berkai, 2002, La terminologie linguistique en tamazight,
Magistère de berbère, Université de Bejaïa.
• Kamal Bouamara, 2007, Amawal n tunuγin n tesnukyest. Lexique de la
rhétorique, HCA, Alger.
• Abdallah Boumalk - Kamal Naït Zerrad, 2009, Vocabulaire grammatical
amazighe, IRCAM, Rabat.
• Mohand Mahrazi, 2011, Dictionnaire d’électrotechnique Français-Tamazight,
Éditions ENAG, Alger.
• Kamal Naït-Zerrad, 1998, Amawal amasyan n tmaziγt: asuqel n sin
yehricen ineggura n weqran : Lexique religieux berbère et néologie: un
essai de traduction partielle du Coran, Centro Camito-Semitici, Milan.
• Kamel Saïd, 2006, Lexique amazighe de géologie, IRCAM, Rabat.
• Mohand Akli Salhi, 2011, Petit dictionnaire de littérature, Odyssée, Tizi-
Ouzou.
Schéma de l’architecture globale de la base de données :
Super correcteur
Groupe A
Groupe B
Groupe C
02 correcteurs
02correcteurs
02 correcteurs
Mbre1 Mbre2
Mbre 1 Mbre2
Mbre1 Mbre2
Le système de la base de données est composé de deux espaces de travail, l’un
pour l’utilisateur lambda et l’autre pour l’utilisateur expert de la langue.
L’utilisateur lambda ne peut que consulter le système. L’utilisateur expert de la
langue peut ajouter des définitions et des mots au système et d’autres éléments
qu’on vera plus loin.

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Apport de l’informatique dans l’aménagement de la terminologie
La base de données comprend deux espace essentiels :
A. Espace utilisateur lambda
Comme déjà dit cet espace permet uniquement la consultation et donc ne donne
à aucun moment l’oportunité de modifier ou d’ecrire dans le système.
La Page d’accueil donne accès à deux modes de recherche :
- Chercher le mot dont l’orthographe en kabyle est donnée dans le champ
« Mot » ;
- Chercher le mot dont la definition en français comporte le mot donné dans
le champ « Mot ».
Pour chercher le mot en kabyle, on ecrit donc l’orthographe du mot dans le
champ « Mot » et on clique sur le bouton « Chercher ». Cela nous donne un ècran
où on voit la liste des définitions correspondantes au mot recherché. Quelques
informations initiales sont associées à chaque definition. Pour avoir les détails du
mot il faut cliquer sur le lien (en forme de paire de lunette) présent à gauche de
chaque définition. Après avoir cliqué sur ce lien on aura un écran dans lequel on
voit toutes les informations concernant cette définition.
Fonctionnement de la base de données :
La page d’accueil se présente avec un identifiant et un mot de passe qu’il faut
renseigner pour accéder à l’alimentation de la base des données (saisie des entrées).
Pour chaque entrée saisie (ici, tigawt), nous devons donner tout ce qui se
rapporte à la classe des noms comme le genre, le nombre, l’état, le nom simple, le
nom dérivé, le nom composé, etc.
Enregistrement des entrées :
Pour chaque entrée saisie, nous donnons aussi le numéro et la catégorie de la
lexie, le groupe qui l’a saisie, le nom et le statut du membre qui a alimenté la lexie
ainsi que la date, le membre qui l’a modifiée ainsi que la date, enfin le statut de la
lexie ; valid. pour la lexie validée, ouverte pour la lexie qui n’est pas encore validée
par le correcteur.
B. Espace membre :
Dans cet espace, on peut ajouter, modifier, supprimer des mots et des
définitions. La page d’accueil se démarque par la présence de menu à gauche de
l’écran et la présence de la barre d’information en haut de l’écran. Comme
informations, on voit principalement l’identifiant de l’utilisateur et l’identifiant de
son groupe de travail.
Pour ajouter un mot on clique d’abord sur le bouton [Ajouter/Modifier un mot].
On obtient un écran où on écrit le mot qu’on veut ajouter au système. Et on clique

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sur le bouton « Chercher ». On obtient sur la page suivante un écran où apparaît la
liste des définitions déjà disponibles dans le système. Dans le jargon du système on
parle de « proposition ».
Chaque proposition est caracterisée par un numéro unique. On voit aussi pour cette
même proposition son auteur, sa date de création, sa date de modification, …etc.
On peut soit consulter les propositions déjà enregistrées dans le système, soit les
modifier ou encore les suprimer.
Pour ajouter une nouvelle proposition on clique sur le lien « nouvelle
proposition ». Cela nous accès à un écran où on saisit les différentes informations
concernant la proposition qu’on veut ajouter et en final, on clique sur le bouton
« Enregistrer ». Pour ajouter une autre proposition on clique à nouveau sur le
bouton « Ajouter / Modifier un mot » et on refait les mêmes opérations.
Le système est colaboratif donc conçu de sorte à ce que plusieurs personnes
« expert » puissent travailler ensemble pour la mise à jour du dictionnaire. Pour
cela le système offre des outils de comunication et intègre une messagerie qui
permet aux membrex de s’envoyer mutuellement des messages. Le système offre
aussi un mécanisme de gestion de droit d’accès et de hiérarchisation des accès.
Cela permet de créer des groupes de travail dirigés par les membres les plus
experimentés.
Le système offre aussi un outil de comunication contextuelle qui s’intègre
parfaitement dans le processus d’élaboration des propositions (définitions de mots).
Conclusion
Au terme d’une première analyse des données (issues de plusieurs sources
précitées), nous constatons ce qui suit :
• Grande variation dans la création terminologique:
– À l’université
– Dans les écoles
– Dans les médias
– Entre les pays concernés (Maroc, Algérie…)
Comme exemple d’analyse, nous voyons par exemple qu’en ce qui concerne la
terminologie scolaire, nous retrouvons trois termes pour désigner le mot « stylo » :
amru, imru, amaru
D’après la structure du berbère, on sait que le préfixe am renvoie au nom
d’agent : (amakwer (voleur), amuḍin (malade).
Alors que S renvoie au nom d’instrument asaru « genre de ceinture qu’on met
autour de la taille », asagwum « jarre ». Aussi, on se demande pourquoi on a utilisé am
réservé dans la formation du nom d’agent pour construire un nom d’instrument !

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Apport de l’informatique dans l’aménagement de la terminologie
Deuxième exemple d’analyse :
Pour désigner la tension d’un son, deux termes sont en concurrence. En
Algérie, le terme admis pour désigner la tension est tussda « pression », dans le
sens « appuyer avec force » ; dans le dernier ouvrage de terminologie élaboré
en collaboration entre l’IRCAM et l’INALCO (2009), le terme proposé est
uddis.
Or en Algérie, il y a un terme utilisé pour désigner la composition et c’est
tuddist qui vient de tuddes qui est un jeu de composition. Alors, on se pose la
question de savoir quel terme utiliser pour ne pas risquer de nous éloigner des
parlers locaux et provoquer des confusions !
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DE BASE
ADGHIRNI, Ahmed - AFULAY, Abdellah - FOUAD, Lahbib, 1996, Amawal azerfan.
Lexique juridique français-amazighe, Rabat.
Amawal n tusnakt, lexique de mathématiques, 1984, Tafsut, Tizi-Ouzou.
Amawal. Lexique berbère-français, 1980, Imedyazene, Paris.
AMEUR, Meftaha (et.al.), 2009, Vocabulaire des médias, Publications of IRCAM,
Rabat.
BERKAI, Abdelaziz, 2002, La terminologie linguistique en tamazight, Magistère de
berbère, Université de Bejaïa.
BOUAMARA, Kamal - ALLAOUA, Rabhi, 2000, Amawal n tussna, Université de
Bejaïa.
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BOUMALK, Abdallah - NAÏT ZERRAD, Kamal, 2009, Vocabulaire grammatical
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_____, 1991, Manuel de linguistique berbère, Éditions Bouchène, Alger.
_____, 2003, « Autour de la racine en berbère : statut et forme », in Folia
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_____, 1996, Manuel de linguistique berbère –II : syntaxe et diachronie, ENAG-
Éditions, Alger.
CORTADE, Jean-Marie, 1967, Lexique français-touareg, dialecte de l’Ahaggar,
Arts et métiers graphiques, Paris.
DALLET, Jean-Marie, 1985, Dictionnaire français-kabyle : Parler des At
Menguellat, SELAF, Paris.
DELHEURE, Jean, 1987, Dictionnaire ouargli-français, SELAF, Paris.

Page 143
Noura Tigziri
143
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TAÏFI, Miloud, 2002, Dictionnaire Tamazight- français (parlers du Maroc
Central), L’Harmattan, Paris.
ABSTRACT
The Amazigh language was until recently, essentially an oral language, saw its
passage writing and teaching face enormous problems due not only to a lack of
teaching tools such as dictionaries, manuals etc. ... but also to the lack of a proper
terminology. While it is true that glossaries emerged that terminology abound on
the field, the fact remains that no work collection, tabulation, analysis of all this
data has been achieved to date in order to have a complete source.
We present a project to the making of a dictionary or database of the Amazigh
language containing the specialty terminology (language, literature, culture,
information, media, academic terminology, etc.). To do this the researcher does not
just work for setting up a dictionary with all the theoretical and methodological
tools that are required, but it also develops a work of writing and vocabulary.
The materials used are from a systematic review of all existing sources
(glossaries, dictionaries, manuals, etc.)
This work is limited to making an inventory and consolidate all the proposals on
specialty terminology available in Tamazight in all Varietal. Our data base will
facilitate the work of examination of the developers when they work on the
terminology to be.

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144
Apport de l’informatique dans l’aménagement de la terminologie

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MOHAND TILMATINE
Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh.
Le cas des exonymes
L’aménagement linguistique de la langue amazighe fait l’objet depuis de
nombreuses années d’un intérêt soutenu de la part des chercheurs du domaine. Ces
derniers n’ont pas attendu la reconnaissance institutionnelle pour commencer à
réfléchir sur ce sujet.
Des travaux antérieurs ont traité dans d’autres contextes des aspects liés à la
problématique de la toponymie en contexte amazigh. Plus concrètement, ces
travaux ont abordé les points suivants.1 Éléments d’approximation à la toponymie
amazighe du point de vue de l’absence totale de la composante amazighe dans les
politiques toponymiques algériennes mais aussi dans les institutions internationales
comme résultat d’une politique d’arabisation monolithique et exclusive.
1. L’importance de considérer la toponymie comme un patrimoine identitaire
immatériel tel que prôné par les instances internationales et la nécessité de sa
sauvegarde.
1
Mohand Tilmatine, 2010, « Aspects de la standardisation de la langue amazighe : la
Toponymie », Kamal Naït-Zerrad (ed.), in La standardisation du berbère à la lumière des évolutions
récentes en Europe et dans le Nord de l’Afrique, in Actes du Colloque organisé à l’Inalco, Paris, 6-7
Octobre 2008, in Revue des Études Berbères, Vol. 5, 2010, 185-198 ; Mohand Tilmatine, 2011,
« Toponymie amazighe et Standardisation : réflexions préliminaires », in Actes du Colloque
international sur La standardisation de l’écriture amazighe, Boumerdès du 20 et 23 Septembre 2010,
Alger, Haut Commissariat à l'Amazighité, Éditions Alpha, 125-144 ; Mohand Tilmatine, 2012, « Une
terminologie amazighe de la toponymie? Éléments d'approche », in Actes du colloque Aménagement
Linguistique: bilan et perspectives, Université de Tizi-Ouzou, 12-17 Mars, 2012, in ILES d Imesli,
N°4, 81-116 ; Mohand Tilmatine, 2013, « Politique linguistique et toponymie: quelle place pour
l’Amazighité en Algérie ? », in Le nom propre maghrébin de l’homme, de l’habitat, du relief et de
l’eau, in Actes du colloque international organisé par le Haut-Commissariat à l’Amazighité en
partenariat avec le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle du 21 au 23
Novembre 2010, sous la direction de Ouerdia Sadat Yermeche et Farid Benramdane, CRASC, Oran,
63-79.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
2. La nécessité de préparer le terrain et d’investir ce champ aussi bien du
point de vue des instruments et des appareillages nécessaires pour une correcte
prise en charge de ce projet de récupération de ce patrimoine.
3. L’importance d’intégrer ce champ de la connaissance dans les efforts qui
se font maintenant depuis des années dans le but de normaliser et de standardiser la
langue amazighe.
4. Il a déjà été dit dans un autre contexte que les travaux sur la standardisation
de la langue amazighe ne se sont pas encore vraiment penchés sur cette question.2
Dans le même travail, des propositions avaient été avancées afin de défricher le
terrain. Cette contribution, dans la lignée des travaux antérieurs, tentera d’aborder
la question de l’extension des efforts de standardisation linguistique à des
domaines comme la toponymie et plus généralement l’onomastique, en se
concentrant sur les exonymes.
Standardiser le berbère ou le kabyle
Parler de standardisation linguistique en onomastique nous renvoie forcément à
d’autres problèmes plus classiques et qui affectent également ce sujet : s’agira-t-il
d’exonymes qui vaudraient pour une ou quelques variantes berbères : kabyle,
chleuh ou rifain, ou bien sommes nous en train de parler de standardisation
d’exonymes pour un usage pan-amazigh?
Les exonymes, de par leurs caractéristiques spécifiques du point de vue culturel,
historique ou sociologique, forment un champ linguistique généralement lié
davantage à des variantes linguistiques du berbère. Il est clair que nous avons
affaire à un segment déterminé et donc relativement délimité du système
linguistique. Par ailleurs, ce lexique connaît un irrésistible processus de
transformation dû à un usage déterminé, d’une part, par les évolutions sociales et
culturelles, les échanges et les relations plus ou moins fréquents entre deux
communautés linguistiques et, d’autre part, par une instabilité du fait que les usages
peuvent différer suivant les locuteurs : cercles de vielles personnes sédentaires
et/ou analphabètes vivant en milieu rural versus jeunes, alphabétisés, connectés au
monde des technologies de l’informatique et de la communication moderne.
Cette instabilité lexicale et dans l’usage est en fait aggravée par l’absence d’un
statut pour la langue berbère et d’une politique de planification linguistique qui puisse
assurer, par exemple, la fixation d’un usage déterminé.
La convergence de ces facteurs débouche sur des usages fluctuants des
exonymes mais également sur le recours à des emprunts massifs à l’arabe ou au
français.
2 Mohand Tilmatine, 2011, op. cit., 125-126.

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Mohand Tilmatine
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Ainsi, dans l’exemple Lpari exonyme en kabyle (pour l’endonyme ‘Paris’),
nous avons affaire à un usage typiquement kabyle qui s’oppose par exemple à
[Pari] en arabe dialectal d’Alger ou à [Bârîz] en arabe standard. En revanche,
Lpari peut être concurrencé par d’autres variantes plus proches de l’endonyme
français dans le cas de kabylophones cultivés et francophones [Pari] avec des
variantes d’ouvertures sur la première voyelle.
Ce terme existe en kabyle en raison d’une émigration très ancienne et très
répandue parmi les Kabyles qui constituent une des communautés les plus
anciennes et les plus nombreuses parmi les nord-africains résidents en France. Les
constants voyages allers et retours entre la France et la Kabylie ont stabilisé un
usage connu de toutes les couches sociales des kabylophones, à tel point que des
variantes plus « ironiques » ou intimes comme Faffa sont largement répandues
dans l’usage linguistique kabylophone.3
Un autre point dont il faudrait tenir compte dans cette phase d’urgence à
laquelle est confrontée la langue amazighe, c’est le fait que la situation de
dispersion des parlers berbères, cette fois, ne joue pas forcément en faveur de la
langue dans la mesure où les mots et les termes ont connu des fortunes diverses
selon les dialectes. Cette situation fait que certains parlers disposent ou peuvent
disposer d’un exonyme que d’autres dialectes ne possèdent pas. L’inexistence d’un
exonyme commun explique à son tour le recours aux variantes arabes en général :
bârîz, dans notre cas.4 Eu égard à la grande influence de l’arabe sur les langues
amazighes, il n’est guère étonnant de voir que la majorité des exonymes importants
correspondent aux formes arabes, dialectalisées : fransa, almanya, ṭalyan, spanya,
langlîz (France, Allemagne, Italie, Espagne… ). D’autres exonymes, en revanche,
passent plutôt par le biais du français : marikan (l’Amérique) et non amîrika,
l’Autriche [Lɔtriʃ] et non an-namsâ’… Il existe un flottement assez net dans
l’usage qui fait que les usagers passent facilement d’une forme arabisée à une
forme francisée. La différence dans le cas du kabyle est que les usagers ajoutent
souvent un générique ‘Pays’ avant le spécifique : tamurt n langlîz, tamurt n laswis
(Angleterre, Suisse).
D’un autre côté, l’homogénéité relative des dialectes amazighs peut conduire,
dans certains cas, à des formes d’exonymes communes sans intervention sur la
langue. Ainsi des noms de pays comme Landuci en rifain : iraḥ γar Landuci ak
3 Titre d’un des premiers romans en langue kabyle de Rachid Aliche, 1986, Faffa. Ungal, Éditions
Fédérop, Lyon.
4 Edmond Destaing, 2007, Dictionnaire français-berbère. Dialecte des Beni Snous, L’Harmattan,
Paris, 263.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
wfransis–iğa itḥarab aki-sen « Il est parti en Indochine, il combattait aux côtés des
Français ».5 Un usage similaire du terme est fait en kabyle.
Comme pour le travail sur les néologismes en général, une démarche possible
serait d’inclure les autres parlers amazighs et en épuiser les ressources en vue
d’étoffer un lexique, pour le moment pas du tout élaboré, non seulement en
fouillant dans les mémoires, mais surtout en pratiquant, en quelque sorte, une
archéologie linguistique. Cette tâche ne sera pas insurmontable dans la mesure où il
existe tout de même une homogénéité interdialectale parfois bien surprenante. La
tâche pourrait cependant s’avérer plus difficile que pour la néologie linguistique en
général comme le montrent des exemples comme Lpari, qui, dans d’autres variantes,
est plutôt connu dans sa forme arabe. Ainsi les variantes amazighes du Maroc
utilisent presque exclusivement les variantes arabes : Lmeγrib, Ameγrabi pour
Lmerruk, Amerruki pour ‘Maroc’ et ‘Marocain’ respectivement, utilisés en kabyle.
Nous avons donc, à priori, une situation qui nous rappelle les débuts du travail
sur la néologie et qui a conduit les chercheurs berbérisants à opter pour les ‘blocs
régionaux’ (chleuh, rifain, kabyle, etc.) En laissant la porte ouverte à une
convergence future dans le cas des néologismes.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, il est clair que les travaux - du
moins publiés - sur les exonymes sont absolument rares pour ne pas dire
inexistants.
Tous ces paramètres mettent le chercheur devant une situation très difficile au
départ surtout qu’il ne peut se baser sur aucune expérience préalable dans ce
domaine.
Durant l’époque de l’Observatoire Catalan de la Langue Amazighe (OCLA,
2007-2010), nous avions lancé dans le cadre de l’instance qui chapotait cet
observation un projet d’élaboration d’exonymes en langue amazighe.
Malheureusement, la fermeture de cette institution a empêché ce projet de voir le
jour, même si certaines listes avaient commencés â être élaborées.
Glossaire de termes pour la normalisation des noms géographiques
Avant d’aborder le thème des exonymes il semblerait utile de clarifier certains
concepts terminologiques.
Rappelons de prime abord que tous les concepts onomastiques suivants et qui
seront utilisés dans ce travail se feront dans le cadre des définitions fixées dans le
Glossary of Terms for the Standardization of Geographical Names du Groupe des
5 Mohammed Serhoual, 2001-2002, Dictionnaire tarifit-français, Thèse de doctorat d’État ès
Lettres. Option : Linguistique. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Abdelmalek
Essaâdi, Tetouan, 276.

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Mohand Tilmatine
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Experts des Nations Unies pour les Noms Géographiques (Glossaire de Termes
pour la normalisation des noms géographiques, voir bibliographie).
Selon cet ouvrage de référence, l’onomastique (onomastics) sera définie comme
« la science qui a pour objet l’étude des noms ainsi que l’activité du processus de
dénomination » (Le fait de donner des noms) ou bien selon le même Glossaire
(entrée Nº 249, p. 20) :
a) The science that has as its object the study of →names.
b) The activity or process of giving names.
Il est clair que les noms incluent toute sorte de toponymes :
- Nom propre, entrée nº 246 du Glossary est défini comme un « Mot ou groupe
de mots servant à désigner un individu, un lieu ou une chose et à les distinguer
des êtres de même espèce. Exemples : Albert, Beijing, Budapest ».
- Odonyme, entrée nº 247 est un « Nom propre qui désigne une voie de
communication ». Exemples : Via Appia (route historique) ; A-6 (autoroute);
Unter den Linden (avenue) ; Darb al-Hājj (chemin de pèlerinage) ».
- Normalisation dans l’entrée nº 311 est définie de la manière suivante :
a) Etablissement, par une autorité toponymique, d’un ensemble de règles et de
critères normatifs applicables par exemple au traitement uniformisé des
toponymes.
b) Traitement d’un toponyme suivant un ensemble d’éléments normatifs
donnés.
- Normalisation des noms géographiques (‘Standardization of geographical
names’ en anglais) est définie dans l’entrée 312 de manière générale comme un
travail de « Normalisation des noms géographiques. Fixation d’un ou de
plusieurs noms par une autorité toponymique, accompagnés de leur orthographe
normalisée, pour désigner une entité géographique donnée, ainsi que des
modalités d’emploi de cette forme ou de ces formes graphiques. Dans un sens
large, on parle de normalisation des toponymes ».
- Normalisation nationale des noms géographiques (‘National Standardization
of geographical names’), est, dans l’entrée nº 314, est définie par ce même
ouvrage comme la « Normalisation des noms géographiques à l’échelle d’un
État, relativement à l’usage des noms de lieux ressortissant à sa juridiction
territoriale ».
- Normalisation internationale des noms géographiques (‘International
Standardization of geographical names’) est définie dans l’entrée nº 313 du
Glossary comme une « activité qui vise une uniformisation optimale des formes
orales ou écrites de la majorité des noms géographiques terrestres et, dans un
sens large, des toponymes extraterrestres : soit : 1) par la normalisation
nationale ; soit 2) par convention internationale, fixant également les
équivalents dans les diverses langues et systèmes d’écriture ».

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
- Romanization / romanisation est, enfin, compris dans l’entrée 280 du Glossary
comme la « Translittération d’un ou de plusieurs toponymes d’un alphabet non latin
en un alphabet à caractères latins, assortis au besoin de signes diacritiques. Des
systèmes de romanisation approuvés par le Groupe d’experts des Nations Unies
pour les noms géographiques existent pour les écritures suivantes : amharique;
chinois; cyrillique bulgare, macédonien, russe et serbo-croate; devanagari; farsi;
grec; hébreu; khmer; thaï. Exemple : Aθήνa, Athína; Москва, Moskva...».
Le contexte idéologique et l’arabisation
Il faut rappeler à cet effet qu’un des problèmes principaux de la toponymie et
plus généralement du mal onomastique algérien, est la politique d’arabisation et de
ses choix politiques6 qui voyaient dans la langue arabe, sacralisée par ailleurs, une
« cause nationale ». La Charte Nationale algérienne et plus tard la toponymie
algérienne en feront la langue exclusive de référence avec de très rares remises en
cause de la primauté de l’arabe comme langue de départ et d’origine des
toponymes, mais surtout avec des textes et des décrets qui rendront obligatoire la
transcription en ‘phonétique arabe’ des prénoms et des noms de villes et villages.7
La conséquence directe sera le fait que les toponymes et les anthroponymes en
général, utilisés en berbère en Afrique du Nord sont majoritairement adaptés et
‘normalisés’ (si l’on veut dire..) Selon des critères linguistiques basés sur l’arabe
classique (al Bulayda = Blida!) Et le français, les deux seules langues reconnues
officiellement par les États nord-africains.
Chose très importante, lorsque l’on sait que la toponymie, prise dans son
acception la plus large possible, et dans la mesure où elle suppose l’application de
stratégies de marquage et de contrôle d’un territoire, dans une langue donnée - ici
dans l’unique langue officielle - peut être considérée sans aucun doute comme un
acte politique. Ceci vaut naturellement a fortiori pour la nomination des personnes.
Ajoutons que peu de choses ont vraiment changé à cet égard au Maroc, et ce,
malgré l’officialisation de l’amazigh dans ce pays voisin, depuis la modification
constitutionnelle de juin 2011.
Qu’est-ce un exonyme?
Nous pourrions nous amuser à chercher dans divers dictionnaires courants et
nous serions étonnés de ne pas trouver de définitions relatives à ce terme, ni
6 Mohand Tilmatine, 2013, op. cit., 67-68.
7 Journal Officiel de la République Algérienne Démocratique et Populaire (JORADP),1981,
« Décret nº81-26, 81-27 et 81-28 du 7 mars 1981 », in 20e année, numéro 10 daté du 10 mars 1981.

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d’ailleurs à son antonyme : l’endonyme. Le terme et l’usage du concept et de
ses implications sont complexes à tel point qu’ils font l’objet de travaux
spécifiques.8
La définition officielle du terme « exonyme », loin de susciter un grand
consensus, présente quelques problèmes dont se fait l’écho.9 Selon le Groupe
d’experts des Nations Unies le terme est défini de la manière suivante (entrée nº
081) :
« Nom géographique utilisé dans une langue pour désigner un accident
géographique situé en dehors du territoire dont cette langue est la langue officielle,
et de forme différente de son nom dans la ou les langues officielles du territoire où il
est situé ».
Exemples : Londres, Florence sont les exonymes français de London et de
Firenze; Parigi est l’exonyme italien de Paris, tandis que la version romanisée
Moskva de Москва n’est pas un exonyme, pas plus que le pinyin Beijing, alors que
Pekin est un exonyme. L’Organisation des Nations Unies recommande de n’utiliser
qu’un minimum d’exonymes dans l’usage international. Voir aussi > nom
traditionnel.
Cette définition des exonymes par une instance internationale comme le Groupe
de Experts des Nations Unies pour les Noms Géographiques (GENUNG)10 sous
l’égide des Nations Unies porte en elle des problèmes symptomatiques d’une
situation maitrisée par les États-Nations et excluant les nations sans états.
Dit d’une autre manière, et comme nous le rappelle Jordan,11 cette définition de
l’exonyme se base sur le critère de la langue officielle et donc sur le statut des
langues. Or, il est clair que le statut officiel d’une langue ne peut pas constituer un
critère dans la mesure où il ne tient pas compte des langues minoritaires ou
minorisées ou qui - tout simplement ne sont pas reconnues officiellement, comme
c’est encore le cas pour la langue berbère en Algérie en 2014.
Néanmoins, malgré les difficultés que présentent le terme et son application il
ne fait pas de doute que les exonymes touchent des disciplines bien diverses
comme la cartographie (formes standardisées), l’onomastique pour l’intérêt
étymologique ou historique, la linguistique générale pour les questions de
8 Peter Jordan - Orožen Adamič Milan - Woodman, Paul (eds.), 2007, « Considerations on the
definitions of “endonym” and “exonym” », in Exonyms and the International Standardisation of
Geographical Names. Approaches towards the Resolution of an Apparent Contradiction (= Wiener
Osteuropa Studien, 24), LIT Verlag, Wien-Berlin, 95-105.
9 Paul Woodman, Exonyms and UNGEGN : An unhappy history, in Idem, 81-87.
10 En anglais: United Nations Group of Experts on Geographical Names:
http://unstats.un.org/unsd/geoinfo/UNGEGN/default.html.
11 Peter Jordan - Orožen Adamič Milan - Woodman, Paul (eds.), 2007, op. cit., 96.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
transcription phonologique ou phonétique, mais aussi d’autres disciplines comme
les sciences sociales et anthropologiques pour des aspects comme les contacts
culturels, les idéologies subjacentes, la pragmatique, l’histoire des exonymes, leur
rôle dans la société, etc.
Enfin, rappelons que les instances internationales recommandent, par ailleurs,
de limiter au maximum les directives pour l’usage des exonymes, objectif général
des Nations Unies :
« Any guidelines for the use of exonyms were not in line with the general goal of the
UN to reduce the use of exonyms ».12
Standardiser les exonymes ?
Les exonymes n’ont pas fait jusqu’à présent l’objet des travaux sur la
standardisation de l’amazigh. En revanche, l’existence d’une expérience et
d’institutions internationales qui se dédient à ce sujet permettraient aux spécialistes
berbérisants de profiter des résultats de leurs travaux et de voir dans quelle mesure
leurs recommandations peuvent être applicables et bénéfiques pour la langue
amazighe.
Il serait recommandable de donner la priorité - comme le fait par ailleurs le
GENUNG et la Commission des Exonymes - aux formes dont l’usage est attesté,
que ce soit du point de vue écrit (plus rare dans le cas de l’amazigh), ou beaucoup
plus évident, dans les usages oraux et ceci dans une ou diverses variantes de la
langue amazighe. Nous avons déjà vu le cas de Landuci « Indochine » ; Fransa,
Marikan.
Dans le cas des noms étrangers qui ne possèdent pas d’équivalent ou de forme
connue dans une langue amazighe, nous proposons, conformément aux
recommandations des Nations Unies, une adaptation basée sur la forme du nom
dans la langue d’origine.
Dans la décision à prendre quant au degré d’adaptation de ces noms et des critères à
appliquer à chacun d’eux, on tiendra compte de l’importance culturelle, politique,
économique par rapport à l’amazigh, de sa proximité géographique et culturelle etc.,
ainsi que du système graphique et phonologique de la langue de départ. Souvent le pas
qui précède l’adoption d’un exonyme passe par le truchement d’une langue
intermédiaire plus proche : généralement le français ou l’arabe. Une des tâches du
12 Austrian Academy of Sciences, Institute of Urban and Regional Research, and Austrian Board
on Geographical Names, 2011, « Criteria for the use of exonyms – a next approach », in United
Nations Group of Experts on Geographical Names, Twenty-sixth session, Vienna, 2-6 May 2011,
Submitted by Austria, Item 14 of the Provisional Agenda, Activities relating to the Working Group on
Exonyms, Working paper Nº 64, 3.

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153
travail de normalisation consisterait justement à développer des critères spécifiques
pour forger ces exonymes à partir de critères à élaborer.
Les modes de formation des exonymes sont multiples : traduction, adaptation
orthographique ou phonétique, etc., mais la moindre différence avec le nom local,
dans la notation de signes diacritiques par exemple, entraîne de fait la création d’un
exonyme.
Comme pour le cas des emprunts, plusieurs cas de figures peuvent se présenter
dans une situation de standardisation linguistique.
Les exonymes peuvent être analysés du point de vue linguistique d’abord à
travers le critère phonétique et phonologique et ensuite à travers de sa forme
orthographique ou sa forme écrite.
Du point de vue phonétique et phonologique
Du point de vue phonétique, il est clair que l’usage des exonymes est tributaire
du matériel phonétique et phonologique disponible dans une langue donnée.
Si le système phonétique et phonologique du berbère ne dispose pas, par
exemple, d’opposition dans la durée vocalique ou bien de la voyelle française /o/, il
est clair que malgré toute notre volonté pour la reproduction de la forme originale,
le berbérophone aura des problèmes pour une reproduction parfaite du son. Ceci
dit, nous nous trouvons face à des réalisations correctes, même si la voyelle comme
telle n’est pas considérée comme faisant partie du système vocalique berbère. Ainsi
elle est réalisée sans problème dans des emprunts comme [lpor n l-dzayer] ‘le port
d’Alger’, mais également dans des cas de ‘contamination’ de l’emphase : ṭomatic
‘tomate’ ; beṭṭu ‘partage’, etc.
La même question se pose lorsque le système phonologique kabyle ne connaît
pas certaines oppositions comme dans les cas des
- des bilabiales sourde et sonore /p/ et /b/ ; et
- des labio-dentales sourde et sonore /f/ et /v/.
Ceci explique la tendance, fréquente chez les monolingues kabyles, à effectuer
une adaptation phonologique, c’est-à-dire, à assimiler le phonème /b/ existant dans
sa langue maternelle aux deux phonèmes /p/ et /v/ du français comme dans les
exemples suivants :
- lbusṭa pour ‘poste’ ; lbrifi pour ‘préfet’
- tabalizt pour ‘valise’.
Dans certains autres cas, le graphème f réalise le phonème /v/ comme tfoiyaji
pour tu voyages.
C’est aussi le cas de l’exonyme lpari. Il ne fait pas de doute que sa réalisation
est bel et bien existante. D’ailleurs, ce phonème existe du point de vue phonétique
comme une variante du /b/, dans le langage des femmes par exemple.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
Du point de vue graphématique et de la transcription
Là encore, la question des exonymes nous rappelle certains problèmes abordés,
mais non définitivement réglés par les travaux sur la standardisation de l’amazigh.
Ainsi, dans une des dernières réunions dédiées exclusivement au système de
transcription, l’écriture des noms propres qui contiennent les graphèmes /p/, /v/,
/o/ avait été abordée tout en résumant les débats antérieurs sur la question.13
La synthèse du rapport de la réunion de 1996 considérait sous le point 8 (Noms
propres) cette question dans les termes suivants :
« Les noms propres non berbères devront faire l’objet d’une codification
systématique ultérieure. Toujours pour préserver la fonction identificatoire, on
n’hésitera pas à utiliser les caractères “p, v, o...” dans la notation des noms propres
étrangers ».
Cette position avait été ensuite relativisée dans la version de 1998 (point 8) pour
adopter une attitude nettement moins claire et définitive :
« L’alphabet berbère courant recommandé ne comporte pas certaines lettres comme
“p”, “v” et “o” (pour le berbère Nord), on peut se demander s’il est indiqué et
prudent de les employer dans les noms propres étrangers. La réflexion devra être
poursuivie sur ce point ».
Le colloque de 2007 en reprenant le débat sur ce point prend plus clairement
position en faveur de la notation du /p/, mais aussi du /v/ (p. 11).
La question du /p/ est plus cruciale, même si elle n´a jamais fait l´objet d´un
débat sérieux. En effet, outre les noms propres et les toponymes, le /p/ apparaît
souvent dans le lexique amazigh, notamment en rifain. D´ailleurs, il est intéressant
de relever que mêmes les auteurs les plus spécialisés adoptent des positions
distinctes à ce sujet.
Ajoutons, par ailleurs, que certains dialectes - notamment le kabyle et le rifain -
montrent une plus grande tolérance au /p/ que d’autres - notamment le tachelhit -
qui l’adapte systématiquement en /b/.
Dans une perspective globale, l´utilité du /p/ semble évidente, car outre les très
nombreux cas en rifain (comme par exemple aplaṭu “le plat” ; playa “plage” ;
13 Mohand Tilmatine, 2007, « Standardisation de la langue amazighe : la graphie latine » in Actes
du colloque international sur la standardisation de l’écriture amazighe ; Synthèse des travaux,
Barcelone, 26-28 avril 2007, Linguamón-Casa de les Llengües, Barcelona, in
http://www10.gencat.cat/casa_llengues/binaris/sintesis_primercolloquiestandarditzacio_amazic_tcm3
02-78342.pdf

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pinṣar “réfléchir” ; puntu “point” ; panwilu “mouchoir” ; papa “pain”, etc., l´usage
du /p/ semble très recommandable, notamment dans les cas cités des noms propres
et des toponymes. Que faire sinon d´un Harry Potter ? Un Harry Butter ? ».
Le texte termine l’argumentation avec la recommandation suivante :
Pour les mots étrangers qui ne sont pas intégrés dans la langue amazighe,
notamment les noms propres de personnes et les toponymes, on propose, dans une
notation usuelle, l’introduction des graphèmes /p/ et /v/, par ex. (Harry) Potter,
Vankuver.
Ces exemples pourraient, bien entendu, être élargis à bien d’autres et qui
montrent la nécessité d’introduire ces graphèmes, et pourquoi pas ces phonèmes
dans le système phonologique du berbère, même si leur occurrence est presque
exclusivement limitée aux emprunts ou aux exonymes. Dans le cas contraire, le
système de transcription actuel nous obligerait à rendre d’une manière très peu
suggestive certains toponymes comme dans les exemples suivants :
Porto/Porto
* burṭu
* Abirun ?
Pau
* Bu
La Paz
* La bat (le /z/ espagnol est une interdentale
fricative :/ṯ/)
Pô (Hydronyme en Italie) * Bu
Valparaiso
* balparayisu
Denver
* Dinbir/Danbir
Autant d’arguments qui pousseraient à reprendre les recommandations de la
synthèse de 2007 et d’insister sur les avantages qu’il y aurait à prévoir l’inclusion
des consonnes /p/ ; /v/ et de la voyelle /o/ dans le système de transcription de
l’amazigh spécialement en ce qui concerne les questions d’onomastique en général
et celles des exonymes en particulier.
Noms propres
Ces observations valent également pour les noms propres et gentilés. Là encore,
l’expérience de la standardisation de la langue amazighe ne s’est pas encore dédiée
à ce sujet et ne donne que des recommandations assez vagues. Aucune grammaire
ne lui dédit une attention particulière. Ainsi, comme on peut l’imaginer, là aussi, le
poids de l’arabe se manifeste assez clairement dans l’usage extrêmement courant
de la nisba arabe, suffixe en - i qui exprime l’origine ethnique ou géographique :
amarikani de marikan+i ‘americain’, aṭalyan-i ‘italien’, etc.. Alors que les gentilés
traditionnels berbères sont intégrés selon les règles de la morphophonologie du

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
berbère et suivent les règles de formation de l’adjectif. On peut alternativement
utiliser les préfixes (noms dépendants) : u-/ult, at- ; sut-, ist- : u-mira (originaire du
village de Mira) ; at-mangellat (orginaires/les gens de Manguellat) ; sut tewrirt ‘les
femmes de Tawrirt’,14 ult trudant ‘originaire de Taroudant’.15
Une autre forme courante de l’adjectif relatif (nisba) est une reprise du nom
d’origine : azaraz (originaire des Izarazen) ; aglawu (originaire des Glawa) ;
ayanniw (originaire des At Yanni); awzal (originaire des Id-Awzal), etc.
Les dialectes berbères forment de cette manière les adjectifs gentilés : rifain :
aliman (Allemand); aspanyu (Espagnol) ; afransis (Français).16 De la même
manière se forment les gentilés locaux : ajennad (de la tribu des At Jennad),
azayan (de la tribu des Zayan).
Malgré la grande extension de la nisba arabe, ce procédé demeure très productif
dans d’autres parlers amazighes plus conservateurs comme le touareg : Fulan (-i),
du groupe Fulan) > ăfollan ; Hausa > esăwăγ ; Arabe > arab.17
D’autres noms de pays pourraient être construits selon le même modèle :
Nom du pays
Correspondant
en amazigh
Ethnonyme
Belgique
Beljik
Abeljik/t-t
Brazil
Brazil
Abrazil/t-t
Bretagne
Briṭanya
Abriṭun/t-t
Cambodge
Kambuğ
Akambuğ/t-t
Cameroun
Kamirun
Akamirun/t-t
Catalogne
Katalunya
Akatalan/t-t
Caucase
Kawkaz
Akawkaz/t-t
Celte/-tique
Aselti
Aselti/t-t
Espagne
Spanya
Aspanyu/t-t/
Portugal
Berdqis18
Aberdqis/t-t
14 Jean-Marie Dallet, 1982, Dictionnaire kabyle-français (parler des At-Mangellat, Algérie),
SELAF, Paris, p. 819 ; 794.
15 Robert Aspinion, 1953, Apprenons le berbère : initiation aux dialectes chleuhs, Éditions F.
Moncho, Rabat, 31.
16 Esteban Ibañez, 1959, Diccionario Español-Senhayi (Dialecto bereber de Senhaya de Serair),
Instituto de Estudios Africanos, Madrid, 28 ; 169 et 185.
17 David Sullow, 2001, The Tamasheq of North-East Burkina Faso, Rüdiger Köppe Verlag,
Cologne, 262.
18 Le terme Berdqis apparait par exemple dans la page Web de l’ambassade du Maroc en
Australie qui parlant du « mur des Portugais », le cite simplement comme le mur de Berdqis
(Portugais), in
http://www.moroccoembassy.org.au/?q=morocco%E2%80%99s-goulmima-pearl-desert

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Mohand Tilmatine
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Bien entendu, les cas ne sont pas toujours aussi simples. Une institution ou
d’une autorité normative spécialisée et formée de berbérisants serait la seule
garantie pour un travail cohérent et pour élaborer une liste similaire qui pourrait
servir par la suite de référence dans tous les domaines de la communication et de la
connaissance.
Il serait utile à cet effet de se baser sur les orientations et surtout sur les
matériels élaborés pas le GENUNG, tels que le Glossaire de termes pour la
normalisation des noms géographiques, déjà cité, la liste des noms de pays (List of
Country Names 2002), mais aussi d’autres documents comme celui qui résume les
résolutions adoptées par les huit conférences des Nations Unies sur la
Normalisation des Noms Géographiques (1967, 1972, 1977, 1982, 1987, 1992,
1998, 2002) et qui est disponible online sur le lien suivant:
http://unstats.un.org/unsd/geoinfo/ungegn/docs/uncsgnresolutions-fr.pdf.
Pour ce qui est de l’Algérie et particulièrement des noms de pays en amazigh,
des propositions dans ce sens avaient été faites dans des travaux antérieurs.19
Conclusion
Blocs régionaux : une toponymie kabyle
De manière générale, les questions de toponymie demeurent encore des
desiderata dans les efforts en vue de la standardisation de la langue amazighe. Là
encore, il se précise que les efforts de standardisation devraient privilégier les
variantes régionales ou les blocs régionaux, tel que le recommandent les synthèses
des travaux sur la standardisation de 1996, 1998 (INALCO, Paris) et repris par
celles de 2007.20
19 Mohand Tilmatine 2012, op, cit., 81-116.
20 Mohand Tilmatine, 2007, op. cit., 80.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
Fig. 1. Odonyme à Tizi Ouzou, Kabylie. Photo : M. Tilmatine, mars 2013
Cette rencontre recommande dans ses Principes généraux et remarques
préliminaires (point 3.2.) de donner la priorité à lŽélaboration de standards écrits
régionaux, mais aspirer à développer un système de transcription commun à tous
les dialectes d´où la distinction dès le départ entre un discours qui portera sur la
graphie (commune) et celui qui portera sur la langue, basée, elle, sur des variantes
et blocs régionaux.
Les efforts devraient donc s’étendre au travail sur une variante déterminée.
Dans ce cas, il ne fait pas de doute que la Kabylie présente les meilleurs atouts
pour le dynamisme qui la caractérise par rapport aux autres régions berbérophones
que ce soit du point de vue des avancées politiques ou de la production
linguistique, mais également des potentialités humaines et matérielles disponibles
et mobilisables dans la région.
Le travail sur la standardisation devrait, par conséquent, s’étendre à d’autres
domaines de la langue comme la toponymie et ses différents champs d’application.
Des noms berbères, mais ‘écrits en arabe’
Il est important de s’inscrire dans le cadre des efforts qui se font au plan
international afin d’homogénéiser les travaux, la terminologie et les critères, même
si l’absence d’une reconnaissance de la langue - qui ne saurait tarder en Algérie -
limitent grandement les effets et la visibilité du travail des berbérisants dans ce
domaine.

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Mohand Tilmatine
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La situation politique et l’absence de statut pour la langue amazighe empêche la
création des conditions favorables pour le développement d’une politique
onomastique et toponymique en Algérie et particulièrement en Kabylie où la
demande d’une prise en compte de l’identité locale est manifeste depuis de
nombreuses années. En effet, c’est la seule région du pays où la présence
d’odonymes en kabyle et dans un système de transcription romanisé - en graphie
latine - du berbère est partout visible.
Ce fait, par ailleurs, se déroule dans un contexte très confus, dans la mesure où
l’État n’a toujours pas autorisé officiellement l’usage d’odonymes en kabyle et en
transcription tifinagh ou romanisée, puisque le décret nº81-26, 81-27 et 81-28 du 7
mars 1981 est toujours en vigueur et ce malgré la récente adoption par le
gouvernement algérien d’une liste de 300 prénoms amazighs sur un total de 1000
remis par le Haut-Commissariat à l’Amazighité (HCA : http://hca-dz.org/) dans ce
sens.
À cet effet, il est symptomatique de relever que cette reconnaissance a été
assortie d’une condition préalable que le ministre algérien n’a pas manqué de
rappeler : « enregistrer les noms des nouveaux nés en arabe » et donc en prenant
comme base le système phonétique arabe.21
En cela, le ministre ne faisait rien d’autre que d’appliquer l’article 3 du décret
du 7 mars 1981 portant établissement d’un lexique national des prénoms (JORADP
1981), malgré la reconnaissance de cette liste.
Absence d’autorités toponymiques nationales représentatives
Cette situation est d’ailleurs manifeste dans la mesure où il n’existe pas non
plus une politique de normalisation des noms propres ou des toponymes en Algérie
en général. De nombreux travaux des spécialistes en toponymie n’arrêtent pas
depuis des années dénoncer une situation qui est vécue comme:
« [..] Une anarchie totale dans la transcription graphique arabe ou arabisée,
française ou francisée des noms propres algériens, avec des variantes
morphologiques incohérentes et arbitraires d’un même nom, y compris ceux figurant
dans des documents officiels ».22
21 « Ould Kablia se mêle de l’écriture des prénoms amazighs », Le Matin, 25/07/2013
http://www.lematindz.net/news/12190-ould-kablia-se-mele-de-lecriture-des-prenoms-amazighs.html.
(14/04/2014).
22 Brahim Atoui, - Farid Benramdane, - Nour Eddine Saoudi, 2002, « Meeting, Conférence et
Symposium ; Point 6 (2002) », in Huitième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des
noms géographiques, Berlin, 27 Août-5 Septembre 2002, Point 6(c) de l’ordre du jour provisoire,
Réunions et Conférences: Réunions, Conférences et Colloques Nationaux sur la Toponymie, in

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
Il est clair que les conséquences de cette anarchie, que reconnaissent également
les médias comme le quotidien algérien el-Watan,23 se compliquent au niveau
international par la reconnaissance des difficultés qu’implique l’utilisation d’un
système de translittération dit de « Beyrouth ».
Ces difficultés - inhérentes au système en tant que tel - sont reconnues
aujourd’hui par les pays dits « arabes » comme l’Algérie, dont le représentant cite -
enfin - la présence dans ces pays de populations non arabophones, sans cependant
avancer dans le sens d’une reconnaissance de ces langues et surtout dans celui de
leur prise en compte sur le plan international.24
Une autorité toponymique spécifiquement amazighe ?
À l’absence d’une politique toponymique s’ajoute dans le cas de l’Algérie
l’inexistence d’une véritable autorité toponymique locale et spécialisée en
toponymes amazighes qui puisse faire un travail de normalisation des noms
géographiques berbères.
http://unstats.un.org/unsd/geoinfo/UNGEGN/docs/8th-uncsgn docs/inf/8th_UNCSGN_econf.94_INF.
34.pdf [14.04.2014].
23 «Appellation des rues et des édifices publics : Anarchie, fantaisie ou calculs politiciens…», in
El Watan, 26.09.10, in
http://www.elwatan.com/archives/article.php?id_sans_version=91856 (consulté le 10/09/2014)
24 Brahim Atoui, 2012, «The issue of the Romanisation System for the Arab Countries: Between
Legitimacy and Practices. Which Solutions? », in Tenth United Nations Conference on the
Standardization of Geographical Names, New York, 31 Juillet - 09 Août 2012, Submitted by the
Arabic Division, Item 13 (a) of the Provisional Agenda, Writing Systems and pronunciation:
Romanization, Prepared by Brahim Atoui, Vice Chair UNGEGN, Chair Task Team for Afrika.

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Fig. 2. Trilinguisme à Ouzellaguène (Kabylie).
Photo: http://assalas.centerblog.net/rub-Ouzellaguen-.html
L’implication de la politique, de la société civile, de l’Université et de la
population est importante pour la mise en œuvre d’une pratique odonymique plus
cohérente. Une autorité toponymique kabyle pourrait faire le travail de
coordination de ces efforts et surtout pratiquer une politique de normalisation au
sens du Glossary et qui est définie de manière générale comme un travail de
normalisation des noms géographiques (dans le sens de ‘norme’ d’usage), de
fixation d’un ou de plusieurs noms, accompagnés de leur orthographe normalisée,
pour désigner une entité géographique donnée, ainsi que des modalités d’emploi de
cette forme ou de ces formes graphiques.
Une telle autorité pourrait travailler avec une autorité nationale qui pourrait,
ainsi, participer à une politique internationale de normalisation des noms
géographiques de par le monde qui puisse refléter la diversité linguistique et
culturelle en Algérie. Les modèles d’organisation similaires sont légion dans le
monde. Ainsi en Espagne, dans le Pays Basque, c’et l’Académie de la Langue
Basque qui se charge des questions de toponymie, d’onomastique et d’exonymie.25
La Catalogne dispose également d’une Oficina d’Onomàstica au sein de la
Secció Filològica de l’Institut d’Estudis Catalans26 et depuis 2001 d’une Comissió
de Toponímia de Catalunya.27
25 http://www.euskaltzaindia.net/index.php?lang=es.
26 http://www.iec.cat/coneixement/entrada_c.asp?c_epigraf_num=163.
27 http://www20.gencat.cat/portal/site/territori/menuitem.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh
Ainsi, l’Espagne a pu éviter les problèmes en déléguant ces compétences
toponymiques et onomastiques à des délégations régionales, bien plus à même de
réaliser un travail qui implique des connaissances linguistiques, culturelles et
civilisationnelles locales. Bien entendu, l’Espagne n’est pas l’Algérie, mais ce cas,
parmi tant d’autres, nous démontre que les chemins existent.
Loin de suivre des exemples de ce genre, les autorités algériennes et nord-
africaines en général, persistent dans l’exclusive de la référence arabe. Il n’est donc
guère étonnant de voir que le système romanisé, tel qu’il est en usage au sein des
instances internationales comme le GENUNG, se base sur un alphabet qui, à son
tour, diffère de l’alphabet à base latine en usage en Kabylie depuis plusieurs
dizaines d’années.
Or, le concept de Normalisation internationale des noms géographiques tel que
défini dans l’entrée nº 313 du Glossary est une activité qui vise une uniformisation
optimale des formes orales ou écrites des noms géographiques soit par la normalisation
nationale ; soit par convention internationale, fixant également les équivalents dans les
diverses langues et systèmes d’écriture.
Choses absolument ignorées jusqu’à présent par les actuels décideurs de la
politique algérienne en matière de toponymie.
Comme on le voit, les problèmes des exonymes en Algérie - extensibles aux
pays d’Afrique du Nord - sont tributaires d’une démocratisation du pays et de
l’instauration d’une véritable politique toponymique qui prenne en charge sans
complexe et sans aprioris idéologique la diversité linguistique et culturelle du pays.
Tout le reste suivra.
BIBLIOGRAPHIE
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ASPINION, Robert, 1953, Apprenons le berbère : initiation aux dialectes chleuhs,
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Août-5 Septembre 2002, Point 6(c) de l’ordre du jour provisoire, Réunions et
Conférences: Réunions, Conférences et Colloques Nationaux sur la
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ATOUI, Brahim, 2012, «The issue of the Romanisation System for the Arab
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165
YERMECHE Sadat, Ouerdia - BENRAMDANE, Farid (eds.), 2013, « Le nom propre
maghrébin de l’homme, de l’habitat, du relief et de l’eau », in Actes du
Colloque International organisé par le Haut-Commissariat à l’Amazighité,
en partenariat avec le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et
Culturelle du 21 au 23 novembre 2010, CRASC, Oran.
ABSTRACT
The standardization work of the Amazigh language, which began for decades is
now focused on the language itself and particularly on graphics issues without
really addressing the standardization of specific segments of the Berber language
system.
This communication will attempt to explore one of these fields still not invested
by the standardization work of the Berber language: Onomastics more particularly
place names.

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Onomastique et aménagement linguistique de l’amazigh

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COMPTES RENDUS
Amar Ameziane, Tradition et renouvellement dans la littérature kabyle,
L’Harmattan, Paris, 2013, 209 p.
L’objet de cet ouvrage est l’analyse des rapports qu’entretient la littérature
kabyle contemporaine avec la littérature traditionnelle. Ces rapports sont
problématisés comme un lieu privilégié aussi bien de la survivance de la littérature
traditionnelle que de l’émergence de la littérature contemporaine. L’auteur soutient
que l’émergence de cette dernière est intimement liée à l’essoufflement de la
première. À cet effet, il analyse l’évolution du système générique traditionnel et
constate sa « désagrégation ». Il affirme aussi, à travers l’étude des différentes
relations intertextuelles entre les nouveaux textes littéraires et les textes et genres
traditionnels, que ces derniers fécondent les premiers.
Ameziane adopte dans son analyse une approche textuelle, située dans le
cadre de la poétique telle que définie par Genette. En décrivant « les types de
relations transtextuelles que les auteurs kabyles contemporains établissent avec la
littérature traditionnelle par la transformation de textes anciens ou, tout
simplement, par la réactualisation des motifs littéraires traditionnels » (p. 24),
l’auteur examine tour à tour, les différentes convocations textuelles dans deux
romans (le proverbe dans le roman Iḍ d wass d’Amar Mezdad et la légende dans
le roman Lwali n udrar de Belaïd At-Ali), dans la poésie médiatisée et dans une
nouvelle (le mythe dans la nouvelle D tagerfa i aγ-tt-igan). À un autre niveau,
l’auteur étudie également les transformations liées aux agents poétiques à travers
la convocation des deux figures de sens: ameddah et amedyaz. Il montre que la
fonction sociale du poète n’est plus ce qu’elle était. L’auteur en conclut que le
poète, à l’image de Lounis Aït Menguellet, remet en cause les certitudes
collectives en considérant que la « nouvelle figure du poète n’est pas celle d’un
compositeur de panégyriques, mais d’une parole singulière qui peut “agresser”
autrui pour le faire réfléchir » (p. 172).
Pour illustrer ces transformations génériques et saisir leur portée dans la
littérature kabyle, Amar Ameziane adopte une démarche comparative en étudiant la
poétique de ces genres dans leur contexte d’origine avant de mesurer les
transformations qu’ils subissent dans les textes écrits.

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168
Comptes rendus
À travers un choix ciblé et judicieux de textes littéraires, l’auteur examine la
manière dont les auteurs contemporains se réapproprient de la tradition littéraire
orale pour composer leurs textes. S’appuyant sur la confrontation du texte de Lwali
n udrar de Belaïd At-Ali à l’architexte de la légende hagiologique traditionnelle,
Ameziane soutient que le roman de Belaïd est construit par imitation parodique de
la légende traditionnelle. Cette parodie s’accompagne d’un discours satirique
bouleversant ainsi aussi bien la poétique traditionnelle que les représentations
sociales. En relevant les indices de la parodie et de la satire dans ce texte, il conclut
que Belaïd At-Ali démystifie le phénomène de la sainteté en s’attaquant aux
conventions du genre traditionnel. Il y a lieu de noter ici que l’expression
parodique s’accompagne par moments de celle de l’ironie.
L’étude de la réappropriation du mythe dans la nouvelle de Mezdad présente
pratiquement la même conclusion que celle de la réécriture de la légende. La nature
monologique des genres traditionnels cède la place au dialogisme dans les genres
contemporains. Ainsi, les rapports observables entre la littérature traditionnelle et
la littérature contemporaine définissent la polyphonie structurante des nouveaux
textes et genres kabyles, aussi bien au niveau des procédés discursifs qu’au niveau
de la poétique.
En conclusion, l’ouvrage d’Amar Ameziane est d’un apport certain et
considérable à l’examen (analyse) du couple tradition / modernité dans la littérature
kabyle (et berbère en général) et, plus globalement, à l’étude de l’évolution et de la
transformation des littératures des cultures en mutation progressive du régime de
l’oralité à l’écriture.
HAKIMA BELLAL - MOHAND AKLI SALHI
Hend Sadi, Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique, Éditions Achab,
Tizi-Ouzou, 2014, 280 p.
Le livre de Sadi est un essai sur un débat qui a eu lieu dans les années cinquante
mais qui a eu un impact conséquent aussi bien sur la critique littéraire que sur
l’enseignement de la littérature en Algérie postcoloniale. Il se veut une critique de
la critique de l’un des premiers romans algériens d’expression francophone.
Comme telle, et à la faveur de la mise en contexte sociohistorique et idéologique de
ce débat et de la mise à disposition du lecteur d’aujourd’hui des documents
exposant les positions des uns et des autres, il participe à une sorte d’introduction à
l’histoire de la critique littéraire algérienne avant et après l’indépendance.
Dans cet essai, l’auteur retrace la polémique qui a porté sur le roman de
Mouloud Mammeri, La Colline oubliée, paru aux éditions Plon en 1952. Pour
exposer cette polémique, il situe le contexte d’apparition du roman de Mammeri et
note particulièrement les agents qui y participent. D’un côté, le roman était

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apprécié aussi bien par la presse coloniale (ce roman a figuré dans la sélection des
prix Femina à Paris, et a été couronné à Alger par le prix des quatre Jurys) que par
une partie de la presse nationaliste algérienne. De l’autre côté, il est violemment
accueilli par des intellectuels algériens s’exprimant dans le Jeune musulman,
organe francophone de l’association des Oulémas algériens. Dans son livre, Sadi
recherche les motivations de cette offensive. D’une part, il se demande, pourquoi ce
roman n’a pas été lu comme un texte littéraire et, de l’autre, il cherche à
comprendre les raisons de l’acharnement médiatique du Jeune musulman contre ce
roman. L’auteur de cet essai soutient que, d’un côté, la dimension berbère
véhiculée dans le roman de Mammeri est la cause principale qui a déterminé sa
réception négative des critiques du Jeune Musulman et, affirme que d’un autre
côté, les principes idéologiques soutenus dans ce journal vont structurer le socle de
la critique universitaire de l’Algérie post indépendante.
L’essai se compose de deux parties. La première intitulée Une œuvre enchantée
est consacrée à la réception de l’œuvre tant par la presse coloniale que par la presse
des partisans de la révolution. La seconde partie, Le procès, relate la polémique
entre trois intellectuels algériens (Mohand Cherif Sahli et Mustapha Lacheraf d’un
côté, Mouloud Mammeri de l’autre) sur le roman de ce dernier, et l’impact des
positions du journal Jeune musulman sur le champ littéraire postcolonial.
L’ouvrage de Sadi présente également des annexes riches (de la page 133 à la page
272) contenant tous les textes relatifs à cette polémique de la période 1952-1953, et
ce dans le but de donner au lecteur des matériaux qui lui permettent de construire
sa propre lecture.
Pour développer sa critique, Sadi propose au lecteur un ensemble cohérent
d’arguments. Il commence d’abord par relater progressivement tous les textes qui
ont accueillis et salué la Colline oubliée de Mammeri et La grande maison de Dib
dès leur apparition. À l’exception du Jeune musulman, des journaux, qu’ils soient
proches des institutions de la colonisation tel que La dépêche quotidienne
d’Algérie, L’effort algérien et Le journal d’Alger ou partisans du nationalisme
algérien à savoir l’hebdomadaire communiste algérien Liberté et la revue Terrasse,
n’ont, par-delà les orientations idéologiques des uns et des autres, à aucun moment
détecté dans l’œuvre de Mammeri quelque chose qui servait d’une manière ou
d’une autre une cause colonisatrice. Bien au contraire, souligne l’auteur, ils ont
salué le fait qu’un fils authentique de l’Algérie obtienne un grand prix littéraire car
il s’agit d’indigènes qui cessent d’être des éléments de décor (…) Des indigènes
qui vivent, aiment et souffrent comme les autres hommes.
Dans la deuxième partie, Le procès, l’auteur revient sur les trois articles publiés
dans journal Le jeune musulman. Il s’agit de Chronique d’une mise à mort d’Amar
Ouzegane, La colline du reniement de Mohand-Cherif Sahli et La colline oubliée
ou les consciences anachroniques de Mostefa Lacheraf. Sadi affirme d’abord que

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ces critiques se concentrent sur la réception du roman et les rumeurs colportées
plutôt que sur son contenu. Ce qui l’a amené à situer le contexte historique et à
replacer les enjeux de l’époque à laquelle a paru le roman car, selon lui, la crise
berbériste de 1949 a pesé lourdement pour donner un impact substantiel à
l’offensive lancée contre l’œuvre. En effet, si c’est seulement dans le Jeune
musulman, que l’on accuse Mammeri de régionaliste et d’adhésion au projet
colonialiste c’est parce que, selon Sadi, la ligne éditoriale de ce journal est arabo-
islamiste et antiberbère.
Pour saisir les positions de ces intellectuels critiques, Sadi compare d’abord
dans de brèves biographies Mammeri, qui est imprégné d’une culture ancestrale, à
Lacheraf, nourri dès son enfance de la culture arabo-musulmane. Il évalue, ensuite,
les positions du journal Jeune musulman, face aux deux romans édités dans la
même année, La colline oubliée de Mammeri dont les événements se déroulent en
Kabylie et La grande maison de Mohamed Dib dont la trame du récit se déroule
dans un quartier de Tlemcen. L’auteur se demande, légitimement, pourquoi ce
Journal refuse à la Kabylie de Mammeri le droit d’incarner la patrie algérienne et
l’accorde à la Tlemcen de Dib en laquelle il voit l’image de « l’Algérie entière » ?
Pourquoi tresser de couronnes de laurier à Dib et passer sous silence la terre et le
sang de Mouloud Feraoun un autre écrivain kabyle édité comme Dib au Seuil ?
Par ailleurs, l’auteur place la critique de l’Égyptien Taha Hussein à la fois
comme une critique strictement littéraire et idéologiquement neutre et comme un
argument d’autorité incontestable. Il rappelle que pour cet écrivain de renommée
internationale, le remarquable roman de Mammeri s’inscrit dans l’attente de
l’événement porteur d’innovation à même de sortir la colline de l’oubli qui
l’enveloppe.
Sadi récuse donc toutes les accusations avancées à l’encontre de Mammeri et de
son roman. En écrivant que Mammeri mettra longtemps à convenir publiquement
qu’il doit son excommunication à la berbérité de son roman, l’auteur confirme que
la berbérité du roman est perçue comme la vraie raison de la polémique. Par
ailleurs, l’orientation idéologique, arabo-musulmane, dans laquelle est inscrite
l’Algérie après l’indépendance a grandement influencé la critique littéraire qu’elle
soit universitaire ou journalistique. Les intellectuels qui se reconnaissaient dans le
courant de Lacheraf ont, d’après l’auteur, emprisonné la critique littéraire
algérienne des années 70-80 dans des schèmes idéologiques.
En conclusion, Sadi propose un livre de qualité remarquable de par la richesse de
son exposé, la clarté de l’analyse et de son style. Par une succession d’arguments, il
fait ressortir les enjeux idéologiques qui ont servi à condamner La colline oubliée et
son auteur, et à sceller la réception littéraire dans un modèle de lecture tirant sa
validité (légitimité même) d’une perception idéologique de l’acte créatif.
OURDIA BOURAI

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Amar Mezdad, Tettḍilli-d ur d-tkeččem : ungal [roman], Ayamun, Bgayet,
2014, 210 p.
Tettḍilli-d ur d-tkeččem est le quatrième roman d’Amar Mezdad. Il se veut une
mosaïque révélant le mode de vie de la société kabyle. C’est aussi une radiographie
minutieuse d’une culture où prédominent le conflit entre deux mondes, le monde
de la tradition et celui de la modernité. Ces deux mondes sont confrontés pour
mettre à nu une configuration sociale où l’identité kabyle est fortement ébranlée
par les vicissitudes et les aléas de l’existence des personnages. La dignité qui fait
asseoir l’identité d’autrefois est rongée de l’intérieur, selon les dires de certains
personnages du roman, par l’acculturation et un soupçon d’assimilation (arabo-
islamique et/ou étrangère) ; les repères des uns et des autres se trouvent quelque
peu perturbés. Mais des hommes, c’est le cas des personnages principaux de ce
roman, résistent aux fléaux de la haine de soi et d’acculturation qui tentent de
balayer des siècles de civilisation. L’attachement des personnages à Taqbaylit
(kabylité : culture et langue) fait renaitre le Phénix de ses cendres.
Le roman relate l’histoire d’un voyage d’Alger à un village de Kabylie.
Meziane reçoit un coup de téléphone de son ami Utudert lui signifiant d’aller le
rejoindre avec leur ami Said dans son village. La communication fût coupée avant
même que Meziane ne comprenne le motif de ce déplacement. Très tôt dans la
matinée, les deux amis, le cœur serré, prennent la route pour rejoindre Utudert dans
son village natal, convaincus qu’ils se rendaient à l’enterrement de Na Megdouda,
la mère de Utudert. Mais une fois arrivés sur place, ils comprennent enfin qu’ils
étaient conviés à assister à la cérémonie de remariage de ce dernier. La durée du
voyage de Meziane et de Said d’Alger jusqu’au village d’Utudert constitue
l’espace-temps durant lequel le lecteur découvrira aussi bien la personnalité des
personnages de ce roman que les événements de l’histoire présentée sous forme de
tableaux.
Utudert, Said et Mezian sont trois jeunes kabyles liés à jamais par une grande
amitié depuis leur passage à l’université. Tous trois partagent les mêmes
convictions culturelles et politiques. Le destin les a donc réunis dans un univers
intellectuel pour mener ensemble un combat pour la reconnaissance de la culture
amazighe en général et de son statut en tant que noyau identitaire en particulier.
Utudert, un intellectuel très attaché à ses racines kabyles, très imprégné des valeurs
ancestrales de sa société, rêve de publier un livre dans sa langue kabyle. Il espère
décrocher un grand prix littéraire et rehausser ainsi sa langue au rang des grandes
langues pratiquées dans le monde. Mais des problèmes conjugaux viennent
contrecarrer ses desseins. Utudert ne rate aucune occasion pour s’abreuver de la
richesse de son patrimoine culturel; il sait et le dit si bien que l’homme qui se
détache de sa langue, par conséquent de sa culture, deviendra un éternel vulnérable
à l’endoctrinement ravageur. Said, intellectuel de son état, très influencé par les

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idées de Utudert, attaché à la conservation de la tradition, et ne conçoit le progrès
qu’à travers ses racines culturelles kabyles, mais n’arrive pas à imposer ses valeurs
au sein de sa famille (sa femme pourtant villageoise s’est démarquée de sa culture
en prénommant sa fille « Sabrina »). Meziane, enseignant de mathématiques à
l’université, grand militant de la cause amazighe, n’est, quant à lui, convaincu que
par le seul pouvoir de la science pour faire sortir ses concitoyens kabyles de la
précarité dans laquelle ils vivotent depuis des siècles.
La vie des personnages qui peuplent l’histoire de ce roman est racontée, en
petits bribes, le temps que durera le voyage des deux amis, Said et Mezian. C’est
au lecteur que revient la tâche d’assembler les différents tableaux afin de constituer
le puzzle de l’histoire de chaque personnage et au final de l’histoire de ce roman.
C’est ainsi que le lecteur apprend, entre autre que Utudert, montagnard de son état,
résident à Alger, marié avec une jeune et belle algéroise d’origine kabyle se
retrouve très vite pris au piège, tel un insecte, par un conflit culturel entre lui et sa
femme ainsi que sa belle-famille. Ce conflit d’apparence anodin, le conduit
inéluctablement au divorce. Cet état de fait s’est soldé par le sacrifice, au passage,
de leur garçon d’à peine deux ans.
Dans son roman, Amar Mezdad renoue le lecteur avec le charme parfois
ensorcelant de sa culture ancestrale. Par ailleurs, il le rapproche et le familiarise
avec la culture universelle à travers les diverses références citées ; le romancier
Charles Dikens, Pickwick, pour parler du « syndrome de pickwick » (p. 9),
Bunuelet Hitchcock (p. 89), Bacchus (p. 99), Ushuaia (p. 111), Lapalisse (p. 125)
et Brunhild. Ce dernier personnage est évoqué en rapport avec une épopée
allemande que l’auteur a développée tout au long d’un chapitre (pp. 59-61). Il
s’agit alors d’une analyse adoptée par les psychiatres dans la classification des
femmes (complexe de Brunhild) et à laquelle se réfère le docteur Legziri, ami et
personne très respectée par Utudert, pour aider ce dernier à mieux comprendre sa
vie de couple. Quant à La Joconde, œuvre d’art célèbre de Léonard de Vinci, elle est
citée pour signifier l’émerveillement de la beauté de certaines femmes kabyles
rencontrées dans le récit : « je crois que la Joconde est kabyle ! » (p. 112), s’exclame
Meziane dans son rêve et Said, qui renchérit plus tard, pour accompagner
l’émerveillement de Meziane, tombé sous le charme de Ferroudja (p. 183).
Amar Mezdad met en évidence un thème particulièrement d’actualité. Il s’agit
du déracinement que vit une partie du peuple kabyle par rapport à sa langue, à sa
culture et à ses valeurs. Ce déracinement prend forme à titre d’exemple dans le
sabir linguistique (mélange entre plusieurs langues utilisées par les kabyles) et dans
le choix des prénoms aux enfants (la femme de Utudert a prénommé son garçon
« Abinus », mot turc qui veut dire « esclave », et ce à l’insu de son mari qui voulait
lui attribuer le prénom de son défunt père « Mohand Arezki », prénom trop
archaïque à ses yeux).

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Au niveau de l’écriture romanesque, il faut rappeler que l’auteur déroule et fait
connaître ses préoccupations au lecteur au fur et à mesure du temps qu’a duré ce
voyage de Meziane et Saïd pour rendre visite à leur ami Utudert. Il insiste sur
toutes les questions restées en suspens concernant les revendications culturelles et
identitaires kabyles. L’écriture est donc, pour Amar Mezdad, une sorte de
pérégrination dans les méandres de l’univers des mots et de la subtilité discursive
de la langue kabyle où prévalent les proverbes et le style imagé.
Dans Tettḍilli-d ur d-tkeččem, Amar Mezdad ouvre une lucarne pour éclairer les
combles dans lesquels est incarcérée la culture du peuple kabyle. Par le pouvoir de
la langue et la force des mots, des années de patrimoine jaillissent de la bouche des
personnages du roman et sont consignées pour faire revivre le thésaurus de cette
communauté kabyle longuement ligotée par les vicissitudes de son existence amère
et douloureuse.
FARIDA HACHID
Mohand Arab Aït Kaci Idγaγen n tefsut : Tullisin [Nouvelles], Akma, Tizi-
Ouzou, 2014, 248 p.
Intitulé Idγaγen n tefsut, ce recueil de nouvelles est le deuxième de Mohand
Arab Aït Kaci, après celui qu’il a publié en 2011 : Ṭaṭabaṭaṭa,1. Constitué de 05
nouvelles : Tanekra (7-36), Arejjaq (37-71), Taflukt (72-121), Lbiru (122-200) et
Idγaγen n tefsut (200-248), le présent recueil porte le titre de la cinquième nouvelle.
L’écriture de Mohamed Arab Aït Kaci aborde des thèmes très répandus dans la
littérature kabyle tel l’amour, l’argent, les conflits entre les individus, la cause
berbère, le phénomène de « harraga », etc. Cet auteur exprime, dans l’un de ces
textes, Arejjaq, que son écriture porte sur des thèmes très courants qui reflètent le
quotidien. Selon cet écrivain, chaque auteur doit témoigner et représenter d’abord
la période dans laquelle il vit.
Les titres de ces nouvelles sont en relation avec la trame des récits. Certains, ils
expriment un sens dénotatif que le lecteur saisi dès la première lecture, voire même
au début de la lecture. D’autres, ils expriment un sens connotatif que l’auteur
décode d’une manière inattendue dans le récit (tout au long de la lecture).
L’histoire du premier texte Tanekkra (littéralement le réveil mais peut
également s’interpréter révolte et / ou prise en conscience) tourne autour d’une
interprétation d’un rêve que Lekhder (personnage principal). Le seul souci de ce
dernier est, depuis son réveil, de trouver la personne qui l’avait remonté du puits
dans lequel il était tombé (dans son rêve). Vers la fin de l’histoire, il s’est rendu
compte que cette personne n’était autre que lui-même et qu’il ne pouvait compter
1 Mohamed Arab Aït Kaci, 2011, Ṭaṭabaṭaṭa, Tullisin, Editions Mehdi, Tizi Ouzou.

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sur aucune autre personne que sur soi-même. Quant au deuxième texte Arejjaq
(herbe qui colle aux vêtements des moissonneurs), le titre a un sens connotatif que
le lecteur doit attendre la fin de l’histoire pour décoder la signification.
Le titre renvoie, dans ces premières pages, à Jedjiga, la femme de Nourdine. De
mauvais comportement, elle était à l’origine de la souffrance de ce dernier qui la
supporte car sa belle-famille est riche. Après la mort de son beau-père, Nourdine
divorce. Le lecteur comprendra que la comparaison avec cette herbe qui colle aux
vêtements des moissonneurs s’applique aussi bien à Nourdine (la fin du texte) qu’à
sa femme (le début du texte). C’est dans une lettre insérée à la fin de l’histoire que
le lecteur prend connaissance de la version de Nourdine. C’est le narrateur qui a
demandé à ce dernier après lui avoir transmis le texte de son histoire.
Taflukt (la barque) le titre de la troisième nouvelle du recueil. La barque était le
moyen par lequel Samira a pu rejoindre son mari Rachid. La plupart des
événements de l’histoire se sont déroulés dans des lieux autres que la barque tel la
maison de Samira, les "allers-retours" qu’elle faisait pour préparer son projet de
traverser clandestinement la Méditerranée.
Lbiru (le bureau) est la nouvelle plus longue de ce recueil. L’histoire mise en
scène porte sur la vie de Rezki, un employé d’assurance, partagé entre son amour et
son travail. Le hasard a fait qu’il tombe amoureux de deux sœurs, Salima et Nadia.
La première étant son premier amour de temps où il faisait ses études à l’université.
Il était prêt à sacrifier toute sa vie pour elle, mais elle avait choisi de l’abandonner
pour un autre homme bien aisé. La deuxième est celle qui a fait naitre en lui, à
nouveau, les sentiments d’amour qu’il avait exclu de sa vie depuis son échec avec
Salima. C’est au bureau que Rezki trouvait le remède pour ses pensées confuses
quoiqu’au départ, il souffrait de la maltraitance de son patron qui n’est autre que le
père des filles.
Idγaγen n tefsut (les pierres du printemps) est la dernière nouvelle. Ce titre nous
renvoie immédiatement aux évènements du printemps noir. Le narrateur, dans ce
texte, est le personnage principal, qui participe à tous les événements du récit. Ces
derniers sont narrés simultanément à leurs déroulements. La nouveauté de ce récit
réside dans l’organisation de l’intrigue située dans la pensée du personnage
principale ; cette pensée (attitude du personnage vis-à-vis des émeutes et de leurs
motifs) change au fur et à mesure avec l’évolution des événements de l’histoire.
Ces nouvelles sont racontées dans un style attirant, qui fait naître le suspense
qui pousse le lecteur à vouloir connaitre la fin de l’histoire. Une fin que l’auteur
oriente vers l’inattendu. Cette complexité se manifeste également au niveau de
l’organisation de l’intrigue, qui se répartie dans la plupart des textes en parties, à la
manière du roman. L’écriture de Mohand Arab Aït Kaci pose de ce fait la
problématique de l’identité générique de ces textes. Nous y retrouvons une
narration lente à cause de plusieurs digressions et descriptions concernant à la fois

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les personnages, les lieux et certaines scènes. À titre d’exemple le quatrième texte,
Lbiru, est fractionné en neuf parties avec un nombre important de personnages tout
en les dotant d’une grande épaisseur psychologique. L’ancrage des histoires dans la
réalité de l’auteur s’annonce non seulement par les personnages et leurs
caractéristiques mais aussi par le nom des lieux et leur description tels que
l’université de Hasnaoua, le quartier de Tizi n wuccen, Saint-Lazare, Bulimaṭ,
Jardin d’essai, etc.
Ce recueil, tout comme le premier de l’auteur, se présente comme un bon
échantillon pour l’étude des transformations et des hésitations génériques de la
prose kabyle littéraire.
SAIDA MHAND SAIDI
Brahim Tazaghart, Inig Aneggaru : ungal [roman], Tira Éditions, Bejaïa,
2012, 277 p.
Inig Aneggaru [littéralement : le dernier voyage] est le deuxième roman de
Brahim Tazaghart.2 Après son premier roman Salas d Nuja, Brahim Tazaghart
nous fait voyager une nouvelle fois dans l’univers de l’écriture romanesque en
kabyle à travers une nouvelle histoire participant de la thématique amoureuse.
Celle-ci, comme dans Salas d Nuja (à qui le texte de Inig Aneggaru ne manque pas
de faire des clins d’œil), se présente comme la toile de fond de l’histoire mais
prenant une tournure différente. Celle d’une histoire d’amour impossible entre
Tiziri et Yuba. Deux personnages qui se heurtent au poids des mœurs et des
coutumes de même qu’à un passé chargé de secrets inavoués. L’histoire de Inig
Aneggaru s’élabore sous forme d’un voyage à la quête de cette vérité à travers les
nombreuses rétrospections dans le passé des personnages. Un voyage qui par la
même occasion, nous laisse explorer les tréfonds d’une Algérie en pleine mutation,
2 Originaire de Tazmalt, de la wilaya de Bejaïa, Brahim Tazaghart est l’auteur d’une
œuvre littéraire considérable. L’une de ses principales caractéristiques est qu’elle épouse
plusieurs genres littéraires. Son premier recueil de nouvelles Lǧeṛṛat (« Les traces ») parait
en 2003 suivi de son premier roman Salas d Nuja, en 2004. Ce dernier fit l’objet d’une
traduction en langue arabe, la première dans son genre dans le cas du roman kabyle. En
2006, il publie chez Azur Éditions, son premier recueil de poésie Akkin i tira (« Au-delà de
l’écriture »). En 2008, parait Taknisya zeggaɣen deg wagens amellal, une traduction du
recueil de poésie en langue arabe Karaza Hamra ala bilatin abyad (« Cerise rouge sur un
carrelage blanc ») de la poétesse syrienne Maram Al Masri. Amulli ameggaz et Takemmict
n wakal représentent les deux derniers recueils de poésie de l’auteur, publiés
respectivement en 2010 et 2012. La même année, c’est-à-dire en 2012, Brahim Tazaghart
fait paraître son essai qu’il intitule L’Algérie, entre craintes et espoirs. Questionnements sur
cinquante ans de lutte pour la démocratie, Éditions Tira, Bejaïa.

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bataillant entre valeurs traditionnelles et modernité, entre les affres et les
aspirations de tout un peuple.
L’histoire débute sur une scène, celle du départ de Tiziri pour la France. Cet
envol qu’elle s’apprête à prendre pour Paris (laissant derrière elle son époux
Mehdi) est la concrétisation d’un rêve qu’elle nourrissait depuis fort longtemps. Le
lecteur ignore, à première vue, les raisons de ce voyage. C’est à partir de là, que
commence le coup d’envoi des différentes rétrospections servant à reconstituer les
pièces de ce puzzle à travers les témoignages des différents personnages. Ceux-ci,
narrant à chacun leur tour, des épisodes de leurs vie, lèvent le voile sur des
histoires d’amour impossible, des traditions et des mœurs cultivées jusqu’à
l’obsession, des secrets entravant l’union de Tiziri et de Yuba, son premier amour.
Au regard de cet échec, Yuba finit par s’installer en France, au grand désespoir de
Tiziri qui ne jura plus que par le désir d’y aller un jour, à son tour. Sans doute est-
ce là que réside cet engouement obsessionnel pour ce voyage. Un rêve, qu’elle
paiera au prix de son époux, de son mariage et de sa vie. En effet, Tiziri meurt,
assassinée lors d’une attaque terroriste au bord de l’avion en direction de Paris.
Collectant témoignage après témoignage, un journaliste, Tahar, vient enquêter sur
cette affaire auprès des proches et des amis de la jeune femme. Son enquête se
transforme vite en un ouvrage, un projet d’écriture romanesque. Ce personnage
Tahar, que l’on ne découvre que dans le dernier chapitre du roman, s’érige en
auteur fictif, présentant l’histoire sous forme de témoignages, reléguant ainsi la
narration à chacun des personnages de l’histoire. Ce qui explique la mise en abyme
dans l’écriture de texte. Cet aspect-là sera l’une des signatures de ce roman.
La thématique amoureuse qui sert de toile de fond à l’histoire s’articule
principalement autour des deux personnages de Tiziri et de Yuba. D’emblée, le
lecteur est mis au courant de l’échec de cette relation vu que l’histoire s’ouvre sur
une scène présentant Tiziri aux côtés de son époux Mehdi. Cela ne diminue en rien
l’intérêt du lecteur pour les évènements à venir car celui-ci comprend vite que les
raisons derrière cet échec représentent le noyau de l’intrigue. Les origines non
maraboutiques de Yuba ainsi que certains conflits familiaux, viennent dans un
premier temps, expliquer et révéler cet échec. Mais des secrets plus profonds
demeurent encore dans l’ombre. Des secrets sur lesquels les témoignages des
différents personnages mettront la lumière. En effet, par une reconstitution
généalogique, le lecteur découvre que Yuba n’est autre que le demi-frère de Tiziri.
La révélation de ce secret au lecteur constitue l’un des plus grands rebondissements
de l’histoire.
Inig Aneggaru regorge d’histoires d’amour impossible dont Tiziri et Yuba ne
sont qu’un modèle : Mehdi et Nayla, Sliman et Ɛelǧa, ou encore Tiziri et Mehdi,
sont autant de relations qui finissent par céder sous le poids de la société et de ses
traditions. Comme si l’auteur, par cette panoplie de modèles, voulait brosser une

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image d’une population faisant face à des normes sociales imposées, avec toute la
difficulté qu’elle rencontre à pallier traditions anciennes et valeurs modernes. Par
ailleurs, le texte de Inig Aneggaru ne manque pas de faire appel à la thématique
identitaire tant prisée par les romans kabyles. La question de la langue et de
l’identité amazighes fait surface dans le discours des personnages. La condition de
la femme kabyle y occupe, aussi, une bonne place. C’est pourquoi, la thématique
amoureuse n’est en réalité que le fil conducteur sur lequel se greffe une multitude
de thématiques secondaires. Elle agit comme une enveloppe servant à englober
plusieurs préoccupations de l’Algérie contemporaine. En effet, au-delà des
différents flash-back dans le passé des personnages, amenant des rétrospections
dans l’époque de la guerre de libération nationale ou encore celle du printemps
berbère de 1980, le roman Inig Aneggaru s’insère dans l’Histoire contemporaine.
Le choix d’une fin tragique, par le biais d’une attaque terroriste s’emparant d’un
avion, est un clin d’œil aux évènements internationaux qui sévissent ces dernières
années les sociétés modernes. L’auteur repousse les limites de son écriture pour y
intégrer une dimension historique nouvelle.
S’il fallait noter le point fort de Inig Aneggaru, l’originalité du style narratif
adopté est sans aucun doute un élément à relever. Le choix de ce style nous
rappelle à bien des égards Tagrest Urγu d’Amar Mezdad.3 Cette enquête
journalistique que l’on découvre vers la fin de l’histoire de Inig Aneggaru,
structure tout le roman. Les chapitres, portant chacun le nom du narrateur-
personnage, représentent des témoignages rapportant des faits, des épisodes
relatant des bribes du passé, des évènements dont se sert le lecteur pour
reconstituer l’histoire. En termes de style narratif, Brahim Tazaghart innove. Le
lecteur ne se retrouve plus guidé par un narrateur omniscient lui tenant la main tout
au long du déroulement des évènements, lui prodiguant une manière de lire et de
comprendre l’histoire. Bien au contraire, dans ce roman, une certaine compétence
est implicitement octroyée au lecteur, à qui revient la tâche, de reconstituer la
généalogie des rapports entre les différents personnages dans cette mosaïques de
témoignages. Le passage d’un chapitre à un autre est corollaire au passage d’un
personnage à un autre, c’est-à-dire, d’une instance narrative à une autre. Cette
alternance ainsi que les différentes rétrospections auxquelles parfois n’est pas
préparé le lecteur, contribuent davantage à brouiller les pistes et à rompre la
linéarité de l’histoire. Ces interférences dessinent parfois certaines ambigüités
lorsque de nouveaux personnages sont introduits, et prennent paroles sans que le
lecteur ne sache les situer dans le système des personnages. Mais ces éléments
concourent tous à présenter une écriture travaillée, complexe et originale.
3 Amar Mezdad, 2000, Tagrest Urγu, Édition Ayamun, Bejaïa. Pour une lecture de
roman voir Mohand Akli Salhi, 2012, Études de littérature kabyle, Enag, Alger, 155-157.

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Le choix d’une narration intradiégétique et homodiégétique, basculant d’un
personnage à un autre, s’accompagne naturellement d’un ensemble de techniques
que mobilise un tel choix. Le lecteur ne s’étonnera pas du nombre de monologues
intérieurs, de rétrospections que fournit le texte. En l’absence d’un narrateur
unique, les personnages s’auto-présentent donnant ainsi accès à leurs pensées les
plus profondes. Certaines scènes sont parfois racontées par plusieurs personnages,
dévoilant ainsi des regards et des angles de vue différents. De nombreuses
digressions sur la vie des personnages sont notables, mais elles ne sont guère
aléatoires mais bien des pièces maîtresses servant d’outil à cet assemblage. En
effet, ces différents témoignages ne dévoilent pas tout de l’histoire, et c’est au
lecteur que revient la tâche d’en rassembler les différentes pièces.
Les longs discours narratifs qui servent habituellement de cadre à de nombreux
romans kabyles paraissent, à première vue, absents dans Inig Aneggaru. Ces
développements narratifs que N. Berdous présentait comme le foyer du discours
idéologique des auteurs et servant leurs besoins revendicatifs, accordent à l’écriture
romanesque kabyle le cachet d’une écriture de la contestation.4 Dans Inig
Aneggaru, la primauté est accordée, aux prises de parole des personnages. Ce
roman présente par là une autre stratégie d’écriture. Ce discours idéologique,
contestataire que l’on connait beaucoup dans les romans kabyles, est également
présent dans Inig Aneggaru. Il se trouve disséminé, éclaté, inséré dans ces prises de
paroles ; s’offrant au lecteur sous une structure polyphonique, délaissant par là le
« monologisme » narratif.
De par son style original et sa structure complexe, ce roman est un voyage au
cœur des préoccupations de la société kabyle moderne. Sa langue fluide et
compréhensible, joignant, à la fois, quelques néologismes aux archaïsmes et
localismes de la langue kabyle, concourt à faire de ce roman un texte très agréable
à la lecture. Inig Aneggaru fera, sans doute, date dans l’histoire de l’écriture
romanesque en kabyle.
NABILA SADI
Amar Ameziane (dir.), Les cahiers de Belaïd At-Ali. Regards sur une œuvre
pionnière, Tira Éditions, Bejaïa, 2013, 103 p.
Cet ouvrage collectif, dirigé par Amar Ameziane, aborde l’étude d’une écriture
singulière dans la littérature kabyle. Singulière car elle est tout d’abord pionnière et
fondatrice, tant au plan historique qu’au plan poétique, de la littérature
contemporaine en kabyle. Singulière également parce qu’elle n’a pas cessé depuis
4 Voir le compte rendu de Nadia Berdous du roman Ass-nni d’Amar Mezdad, publié
dans La Dépêche de Kabylie du 26 Juillet 2006.

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Comptes rendus
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ses premières éditions de susciter des intérêts grandissants et changeants tout au
long des six dernières décennies. Articles, mémoires et thèses lui sont de plus en
plus consacrés. Cet ouvrage apporte de nouveaux éclairages sur cette écriture
qualifiée justement d’œuvre pionnière.
Outre l’introduction d’Amar Ameziane présentant le dossier (l’importance des
écrits de Belaïd At-Ali et introduction des contributions), six contributions le
composent. Trois d’entre elles abordent, chacune à sa manière, les écrits de Belaïd
At-Ali sous l’angle de l’histoire littéraire. Les trois autres interrogent ces écrits de
point de vue poétique. Ces dernières optent judicieusement pour une approche
textuelle tentant d’y repérer les nouveautés poétiques.
Consacrée à la biographie de Belaïd At-Ali, la contribution Mohand Ibrahim
présente des données intéressantes sur l’homme écrivain et son contexte familial.
Outre la présentation proprement biographique qui situe l’auteur, cette contribution
présente également, par la nature des renseignements sur Belaïd At-Ali des intérêts
pour l’étude textuelle et / ou poétique. L’univers affectif dans ses textes, par
exemple, provient en grande partie de cet environnement familial. Il est à rappeler
que les grandes innovations de Belaïd At-Ali se situent justement dans la poétique
de ses textes (voir contributions Sadi, Mohand Saidi et Ameziane). La désignation
et la description des personnages, entre autres, sont exploitées de cet
environnement (familial et villageois). Ces faits textuels et leurs référents sociaux
et familiaux sont mis en exergue dans les contributions de Mohand Saidi dans le
cas du Tafunast igujilen et dans la contribution de Sadi pour le texte Jeddi.
La contribution de Salhi tente d’argumenter l’importance de l’œuvre de Belaïd
At-Ali dans l’histoire littéraire kabyle en proposant des repères socio-
anthropologiques (conditions socio-historique d’apparition de la création, modes
de communication littéraire, le profil de l’auteur) et poétiques (émergence de
nouvelles textualités et réactions de l’auteur face au patrimoine littéraire de sa
société). L’ensemble de ces repères constituent des balises (localisation
temporelle des nouveautés aussi bien biographique que poétique) pour une
périodisation littéraire (soit en termes de champ littéraire soit en termes
d’évolution historique).
L’étude de Rachid Titouche essaie de situer l’écriture de Belaïd At-Ali en
catégorisant la relations des textes de ce dernier par rapport au couple tradition et
modernité. L’auteur de la contribution propose trois attitudes de Belaïd At-Ali dans
ses écrits : fidélité à la tradition, révision de la tradition et écart de la tradition.
À cette première perspective (historique et globalisante) les trois autres
contributions sont des analyses textuelles qui prennent en charge l’étude des
aspects poétiques. Celle de Sadi est une étude intéressante de la poétique du texte
Jeddi. Elle analyse le paratexte, la relation du contenu avec la réalité (l’effet du
réel), le statut du narrateur et la catégorie du personnage. L’analyse de ces points

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Comptes rendus
conduit à une conclusion qui concerne, d’un côté, le genre (nouvelle) de ce texte et,
de l’autre, l’important travail d’écriture de Belaïd At-Ali.
Le texte de Mohand Saidi aborde, lui tout comme celui d’Ameziane, la
problématique du genre, les catégories de la description et de l’espace dans le texte
Tafunast igujilen et leur impact sur l’identité générique du texte. L’usage qu’en fait
Belaïd At-Ali de ces deux catégories balance le texte d’une classe à une autre : du
conte traditionnel au conte écrit.
Partant d’une analyse serrée des aspects de la satire et des détails descriptifs du
personnage principal du texte Lwali n udrar, Amar Ameziane en conclut à la valeur
parodique de l’écriture des traits définitoires de la légende hagiologique. L’auteur
de cette étude soutient également que la parodie est accompagnée par moment par
la satire et l’ironie.
En somme, de par les lectures proposées, cet ouvrage constitue un nouveau
éclairage de l’œuvre de ce pionnier qu’était Belaïd At-Ali et le rend un peu plus
visible. D’autres dossiers similaires, sur le même auteur ou sur d’autres, sont
vivement à encourager.
MOHAND AKLI SALHI

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LES AUTEURS
Mahmoud Amaoui : Maitre-assistant au Département de Langue et Culture
Amazighes de l’Université de Bejaïa (Kabylie). L’histoire des langues berbères (à
travers les documents littéraires, les documents lexicographiques, les grammaires et
autres traités d’orthographe) ainsi que les questions liées à leurs standardisations
constituent ses principaux domaines d’intérêt.
Hakima Bellal : Maître-assistante de littérature au Département de Langue et
Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Après une étude sur l’évolution
de la recherche en poésie kabyle, elle mène sa recherche doctorale sur les écrits de
Belaïd At-Ali face à la tradition littéraire kabyle.
Fatima Boukhris : Linguiste, enseignante chercheur au Département de Langue et
Littérature françaises, Faculté des lettres et des sciences humaines, Université
Mohamed V-Agdal-Rabat. Ex-Directeur de recherche à l’IRCAM jusqu’à 2010.
Co-auteurs d’ouvrages collectifs, auteurs de plusieurs articles sur la langue, la
littérature et les expressions artistiques amazighes.
Ouerdia Bourai : Maître-assistante de littérature au Département de Langue et
Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Son Magistère propose une
lecture sémiotique d’Asfel de Rachid Aliche. Son doctorat porte sur la
problématique de l’identité dans les écrits de Mouloud Mammeri.
Anna Maria Di Tolla : Professeur de Langue et littérature berbères et Histoire
contemporaine des berbères à l’Université “L’Orientale” de Naples. Auteur de
nombreux articles qui portent sur la littérature berbère orale. Elle est Directeur de la
série Studi Africanistici. Quaderni di Studi berberi e libico-berberi.
Mansour Ghaki : Titulaire des cours Civilisations préislamiques de l'Afrique du
Nord et L’Afrique punique, à Université L’Orientale de Naples. Auteur de
plusieurs travaux traitant de l’épigraphie libyque et néopunique, de l’histoire et des

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Les auteurs
composantes de la civilisation libyque (architecture funéraire, croyances,
organisation politique, symbolique, etc.). Parmi ses publications : Les haouanet de
Sidi Mhamed Latrech, INP, Tunis 1999, 249 pages.
Farida Hachid : Maître-assistante de littérature au Département de Langue et
Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Après un Magistère consacré
aux aspects poétique du roman Iḍ d wass d’Amar Mezdad, elle s’intéresse
actuellement aux œuvres de Mohia Abdellah.
Hachem Jarmouni : Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres Saïs, Université
de Fès. Filière d’études amazighes. Titulaire de Doctorat, Département de Langue
et de Littérature françaises, Thèse intitulée : Anthologie analytique de la poésie
berbère du Maroc central.
Saïda Mohand-Saïdi : Maître-assistante de littérature au Département de Langue
et Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Après un Magistère sur la
poétique du conte Tafunast igujilen de Belaïd At-Ali, elle s’intéresse au genre de la
nouvelle en kabyle.
Khadija Mouhsine : Professeur de littérature française à La Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines - Université Mohamed V-Agdal- Rabat - Directrice du
Laboratoire L.A.S. « Littérature, Art et Société ». Responsable du Master « Langue
et Culture Amazighes ». Auteur d’une thèse de doctorat d’état sur le conte berbère
(tachelhit), poétique du récit. Auteur de plusieurs articles sur la littérature orale et
la littérature écrite amazighe.
Samira Moukrim : Professeure de l’enseignement supérieur assistante (MCF) -
Université Sidi Mohammed Ben Abdellah, FLSH-Fès Saïs, Filière des études
amazighes LLL (Université d’Orléans), Dipralang (Université Paul-Valéry
Montpellier), ELLAM (Université Mohammed V-Rabat) ; 2011/02/02 :
Qualification aux fonctions de Maître de Conférences, France ; 2010/04/12 :
Doctorat en Sciences du Langage-Linguistique à L’Université d’Orléans ; 2008-
2011 : Attachée d’enseignement et de recherche (ATER) à l’Université d’Orléans ;
2006-2008 : Chargée d’enseignements à l’Université d’Orléans ; Coordinatrice des
modules ‘Linguistiques’, Filière des études amazighes, FLSH-Fès Saïs ; Membre
du Comité de rédaction de la revue ALMISBAHIYA, FLSH-Fès Sais.
Kamal Naït-Zerrad : Professeur des Universités (Langue et linguistique berbères).
Unité de recherche LACNAD (Langues et Cultures du Nord de l’Afrique et
Diasporas). Titres universitaires principaux : 2003 : Habilitation à diriger des

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Les auteurs
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recherches (INALCO, Paris) ; 1996 : Doctorat de l’INALCO (Paris) en langue,
littératures et civilisation berbères ; 1995 : Doctorat de l'INPG (ENSERG,
Grenoble) en Optique, Optoélectronique et Micro-ondes.
Nabila Sadi : Maître-assistante de littérature au Département de Langue et Culture
Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Elle a soutenu un Magistère sur la
poétique de l’identitaire dans le roman kabyle. Sa recherche actuelle porte sur la
problématique du romanesque kabyle.
Mohand Akli Salhi : Maître de Conférences de littérature au Département de Langue
et Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Ses recherches portent sur la
métrique, les transformations littéraires en kabyle et sur l’enseignement de la
littérature. Il est auteur de trois ouvrages : Poésie féminine traditionnelle de Kabylie
(Enag, Alger, 2011), Études de littérature kabyle (Enag, Alger, 2011) et Asegzawal
amezzyan n tsekla [Petit dictionnaire de littérature], l’Odyssée, Tizi-Ouzou, 2012.
Valentina Schiattarella : Doctorat en Linguistique berbère (2010) - École Pratique
des Hautes Études, Paris, sous la direction d’Amina Mettouchi ; bénéficiaire d’une
bourse pour un projet de documentation du siwi (berbère d'Egypte), ELDP-SOAS,
Londres (2012-2013); Laurea Specialistica en Sciences des Langues, Histoire et
Culture de la Méditerranée et des Pays Islamiques, Università degli Studi di Napoli
L'Orientale (Italie) 110/110 cum laude (2007-2009).
Noura Tigziri : Professeur de linguistique berbère au Département de Langue et
Culture Amazighes de l’Université de Tizi-Ouzou. Directrice du laboratoire
« Aménagement et enseignement de la langue amazighe ». Sa formation de base
d’ingénieure polytechnicienne lui permet, en plus du domaine de spécialité
phonétique/phonologie, de l’investir aussi dans tout ce qui concerne le traitement
automatique des langues. Elle dirige plusieurs thèses et mémoires de magister. Elle
dirige aussi des projets de recherche nationaux et internationaux. Elle suit aussi dans
plusieurs comités d’experts au niveau national dans la recherche et l’évaluation.
Mohand Tilmatine : a obtenu son doctorat en Philosophie, Linguistique et
Langues et Cultures Romanes de la Wilhems-Universität Münsteren en Allemagne.
Il a été enseignant dans les Universités d’Alger, de Karlsruhe et de la Freie
Universität Berlin en Allemagne. Il est actuellement Professeur des Universités en
Langues et Cultures berbères à l’Université de Cádiz en Espagne.

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Prodotto da
IL TORCOLIERE • Officine Grafico-Editoriali d’Ateneo
UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI NAPOLI “L’Orientale”
Dicembre 2014